SYNECO : Aide à l’économie sociale, au non-marchand ou aux deux ?

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Pierre Georis (anciennement secrétaire général au MOC)

L’ASBL SYNECO est une agence-conseil en économie sociale reconnue par la Wallonie. À ce titre, elle offre différents services d’information, d’assistance et d’accompagnement à des entreprises d’économie sociale, existantes ou en perspective (aides à la création). Elle relève du périmètre des associations et entreprises du MOC.

La contribution qu’on lira relève du témoignage réflexif, à partir d’une position particulière. L’auteur des présentes lignes a été administrateur de SYNECO de 1995 à décembre 2020. Il en a exercé la présidence à partir de 2012. À partir de cette même année 2012, il a collaboré à la politique éditoriale de l’ASBL. À l’écriture de la présente (2023), cette collaboration se poursuit toujours[1]. Il ne s’agit donc pas du témoignage d’un exécutif, acteur de l’action quotidienne. Mais de quelqu’un qui s’est trouvé pendant 25 ans dans l’environnement proche de l’action, en particulier celui où il s’agit d’être interlocuteur de l’exécutif, pour débattre des orientations stratégiques ou des options politiques. Le mandat est lié aux fonctions exercées par ailleurs par l’auteur : les AID qu’il dirigeait en début de période sont un dispositif du MOC clairement inscrit dans l’économie sociale ; la fonction ensuite de secrétaire général du MOC impliquait de s’occuper de la gestion d’une association relevant explicitement de son périmètre de responsabilité. Au-delà de la mise en récit d’une période de l’histoire de l’ASBL, on essayera de répondre à la question : en quoi SYNECO est-il un « révélateur » du positionnement du MOC dans le champ de l’économie sociale.

Économie sociale

Une mise en contexte est le préalable de la mise en récit. Il existe plusieurs façons de définir l’économie sociale[2], ce qui rend d’emblée le sujet compliqué ! Les acteurs belges sont cependant grosso modo en accord sur une définition qui combine deux approches d’abord distinctes. D’une part, une approche juridique et institutionnelle. Il s’agit d’y inclure toutes les formes pertinentes de statuts d’entreprises : les coopératives, les mutuelles, les associations et fondations. Autrement écrit : on regroupe tout ce qui n’a pas le profit pour finalité première. D’autre part, une approche normative, qui caractérise les principes que lesdites structures ont en commun :

  • La finalité est de service aux membres et à la collectivité plutôt que de profit.
  • La gestion est autonome : on n’est donc pas dans un service organisé par l’État.
  • Le processus de décision est démocratique, selon le principe « une personne = une voix » plutôt que « une action = une voix »
  • La primauté est donnée aux personnes et au travail sur le capital dans la répartition des revenus. On préfère offrir des ristournes aux usagers ou affecter les bénéfices à des fins sociales ; s’il y a rémunération du capital, ce sera de manière limitée.

La notion « solidaire » a vocation à « ramasser » les quatre principes en un seul mot, ce qui explique que, dans l’espace francophone tout au moins, la tendance est de plus en plus à parler de « l’économie sociale et solidaire ». Par le fait même, il y a aussi ouverture à un large informel. Car plein de choses se passent aussi, qui ont à voir avec l’économie, mais se jouent en dehors de toute structure juridique : l’aide dans le cadre familial, épauler un voisin dans son déménagement, faire une course pour une personne âgée, organiser un groupe d’achat, cultiver ses légumes dans un potager collectif…

Le choix de « mixer » les deux approches[3] présente l’avantage de sortir du champ ce qu’une facilité de langage nomme « les fausses ASBL » (ou « les fausses coopératives »), par exemple un café ASBL qui organise le deal de drogues (la vraie finalité est le profit) ou la milice d’extrême-droite qui aurait statut d’association (on sort du champ de la démocratie).

Tiers secteur

À l’international, on utilise « tiers secteur » : pour les non francophones, la notion est plus compréhensible que la traduction littérale de « économie sociale », tout en permettant d’appréhender, même intuitivement, qu’on réfère à un espace qui n’est ni le marché lucratif, ni l’État.

Non-marchand

Une notion qui comprend « non » se donne une définition d’abord « en creux » : est non-marchand tout ce qui n’est pas marchand. Mais que fait-on des très nombreuses situations hybrides, qui mêlent ressources marchandes et non-marchandes (en particulier des subventions publiques) ? Il n’y a pas de consensus sur la réponse à donner, ce qui complique les débats. Les scientifiques[4] s’accordent sur : secteur privé et public chaque fois qu’il y a combinaison de but non lucratif et ressources non-marchandes ou mixtes. La comptabilité nationale quant à elle répond en resserrant la condition lorsqu’il y a ressources mixtes : est non-marchande l’activité dont le produit des ventes ne permet pas de couvrir au moins 50 % des coûts de production. Ce critère est repris dans les législations régionales wallonne et bruxelloise : c’est à partir de lui qu’on va distinguer des situations assez proches. Ainsi, les entreprises d’insertion sont dans le marchand et ont l’autorisation d’un chiffre d’affaires illimité. Les entreprises de formation par le travail, quant à elles, relèvent du non-marchand dans la mesure où 50 % de leurs ressources ne sont pas procurées via leur chiffre d’affaires économiques : si elles franchissent cette frontière, elles basculent dans l’entreprise d’insertion et doivent s’adapter à des conditions sensiblement différentes pour leur fonctionnement, leur agrément et leurs subventions publiques. Depuis le tournant du 21e siècle, pour des raisons d’image et de communication, les acteurs du « non-marchand » tendent à faire évoluer la notion vers « profit social ». Il s’agit principalement de « positiver » le sujet.

Positionnement des champs l’un par rapport à l’autre

« Économie sociale » et « non-marchand » ne désignent donc pas des réalités identiques, même s’il existe un large espace d’intersection. En définitive, il existe un champ englobant : le non-lucratif (par opposition au lucratif), qui concerne le secteur privé tout autant que l’étatique d’une part, qui peut être marchand autant que non-marchand d’autre part. Là-dedans, l’économie sociale occupe tout l’espace du secteur privé non lucratif (qu’il soit marchand ou non-marchand). Le non-marchand quant à lui occupe tout l’espace des activités à but non lucratif mobilisant des ressources exclusivement non-marchandes ou des ressources hybridant marchand et non-marchand (que ce soit organisé par l’État ou le secteur privé). L’espace d’intersection entre les deux est l’économie sociale non-marchande.

Un point de tension : quelle économie sociale les gouvernements doivent-ils soutenir ?

Il ne faut pas se tromper : de manière générale, les gouvernements soutiennent le non-marchand autant que le marchand ; la question n’est pas celle de la présence/absence de soutien « en soi ». Lorsqu’il s’agit d’économie sociale cependant, une tension se manifeste autour de la priorité souvent affirmée de soutien au marchand, qui plus est dans un objectif principal de mise au travail de personnes éloignées de l’emploi. La controverse existe. Des acteurs de l’économie sociale trouvent l’approche pertinente, d’autres craignent une délégitimation du soutien au non-marchand. En tout état de cause, la Wallonie est dans l’option du soutien à l’économie sociale marchande. Elle s’observe jusqu’à sa manière de soutenir les agences-conseil en économie sociale : elles doivent montrer que leurs activités d’accompagnement concernent à plus de 50 % des entreprises marchandes. C’est en particulier le positionnement du MOC dans cette controverse qui sera questionné dans notre récit.

Une ASBL baladeuse

La CSC s’était déjà engagée dans des luttes sociales d’autoproduction/autogestion d’entreprises fermées, restructurées, en tout cas mal en point. Elle avait initié la Fondation André Oleffe (FAO) pour soutenir la dynamique. Mais, en 1988, la faillite des Galeries namuroises, entreprise issue des Galeries Anspach et gérée par la FAO, a fracturé la collaboration. La FAO s’est détachée de la CSC qui cherchait à y reprendre de contrôle. La CSC a alors créé une nouvelle ASBL afin d’assurer un service de soutien à l’entreprenariat d’économie sociale : SYNECO.

Les débuts ont été modestes : une personne, Ghislain Dethy, provenant de la CSC et un bureau à Namur, dans les locaux du MOC. Quelques années plus tard, 1993, pour des raisons que l’auteur ignore, l’ASBL a été transférée dans les locaux du Mouvement ouvrier chrétien national, sous la nouvelle direction de Philippe Joachim. Elle a eu statut de service du MOC, son directeur étant associé aux différentes instances et aux lieux de coordination du Mouvement[5].

En 1995, en suite d’une absence de résultat conjointe à du conflit avec le directeur, l’outil fait à nouveau l’objet d’un réaménagement : il est cette fois transféré dans le périmètre du groupe ARCO et Françoise Robert en est nommée directrice[6]. Le siège social est à Ciney, dans les locaux de l’EPC (Économie populaire de Ciney). Le groupe ARCO « fonctionne sur deux jambes » : une ASBL PROCURA est le pendant flamand de SYNECO. Les directeur et directrice siègent chacun dans le conseil d’administration de l’autre en sorte de faciliter les synergies. ARCO a veillé à composer le conseil d’administration en prenant en compte non seulement lui-même (l’ASBL était présidée par Marc Tinant, membre francophone du comité de direction du Groupe) mais aussi ses entreprises filiales (banque, assurances et EPC), et encore les organisations CSC et MC, ainsi que le MOC, tous représentés par des responsables nationaux. Cette composition organisait la coexistence des cultures marchande et non marchande dans la même ASBL.

Saut qualitatif

La réorganisation en ARCO avait sa logique : permettre à l’ASBL d’aide et de conseil d’être adossée à un réseau significatif et expérimenté. Même si l’équipe SYNECO de l’ère ARCO (et ultérieurement MOC) a toujours été d’un volume modeste à très modeste (maximum quatre ETP salariés), elle pouvait s’appuyer sur un réseau assez large de personnes susceptibles d’apporter leurs expertises pour répondre à une gamme diversifiée de questions. La visibilité en est devenue nettement meilleure, par une politique de publications scientifiques à la qualité reconnue, l’appel au membership, l’offre de conseils aux membres.

Débutée en 1996, la politique de publication est passée par des éditeurs associés successifs. Elle a pris la dénomination significative de « Non-Marchand. Management, droit et finance ». Le slogan accompagnant SYNECO étant d’ailleurs lui-aussi : « Au service du non-marchand ». Guère de doute quant à la cible « marché » de la publication : c’est plus le non-marchand que l’économie sociale.

L’appel au membership a donné des résultats variables. Clairement, il y a un « noyau dur » d’adhérents stables, de l’ordre de 300 à 350 organismes. S’y ajoutent des adhérents « volatiles » : souvent des organismes qui s’affilient pour bénéficier d’un service objectivement bon marché le temps que soit résolu un problème particulier. Des effets de législation peuvent jouer : lorsque la loi de 2002 sur les ASBL a imposé une adaptation des statuts de chacune, on a observé une explosion des adhésions, pour faire vérifier ce qu’il convenait d’apporter comme changements et les formulations retenues, puis non renouvellement de la cotisation. Pour les acteurs salariés de SYNECO, ça a été un peu compliqué à vivre d’un point de vue émotionnel.

Les conseils aux membres étaient tout simplement gratuits lorsque la réponse ne nécessitait aucune investigation particulière, et sur devis lorsque la demande était plus importante. C’est pour ces conseils que le réseau d’expertise ARCO pouvait être sollicité, qui allait piocher dans ses ressources propres, auprès de l’homologue flamande PROCURA, mais aussi beaucoup à la banque BACOB ainsi qu’aux Assurances Populaires, sans oublier (plus occasionnellement) l’EPC et les autres organisations du MOC. Évidemment, tout cela était grâcieux sans l’être complètement : en particulier les expertises des entreprises bancaire et d’assurances étaient aussi des formes d’investissement dans une perspective de conquêtes de nouveaux marchés, avec le soutien de leur propriétaire ARCO. Le non-marchand est cible (certes non exclusive) dans une perspective de croissance d’un marché marchand particulier.

Pour se financer, outre une aide directe du groupe ARCO, l’ASBL a trouvé reconnaissance comme agence-conseil en économie sociale par et pour la Région wallonne[7]. Mais celle-ci créait une dissonance : la reconnaissance était « économie sociale », qui plus est avec objectifs principalement « marchands » et « Wallonie » tandis que le positionnement « marché » de SYNECO était « non-marchand » et « Bruxelles » tout autant que « Wallonie ». Le collectif salarié recevait dès lors des ordres de mission contradictoires selon qu’il se retrouvait devant son conseil d’administration ou devant les interlocuteurs publics wallons, avec d’un côté comme de l’autre des personnes pas toujours enclines à comprendre qu’il s’agit de trouver un espace de compromis qui puisse permettre aux travailleurs et travailleuses d’avancer dans un minimum de sérénité. Les uns (une part du conseil d’administration) se concentraient sur l’augmentation du nombre de membres – principalement non-marchands – de l’ASBL en considérant chaque adhésion comme un accroissement potentiel de leur propre part de marché marchand ; les autres (les contrôleurs de la Région wallonne) ne prenaient en considération que les accompagnements d’entreprises d’économie sociale marchande. Pendant ce temps, les affilié.e.s demandaient « simplement » que leurs questions soient prises en charge, peu importe « les lignes » imposées à l’agence-conseil par ses deux donneurs d’ordre. Autrement écrit : un personnel tiraillé entre trois injonctions : à laquelle donner la priorité ? comment les combiner ou arbitrer ?

SYNECO-Bruxelles

Un peu en réponse partielle au problème d’une reconnaissance publique circonscrite à l’action sur le territoire de la Wallonie, à partir de 1995, une ASBL SYNECO-Bruxelles a investigué le terrain bruxellois[8]. Sans réalisation significative, celle-ci n’a pas eu une existence trépidante[9] et est vite tombée en sommeil profond (2001) avant d’être dissoute volontairement le 14 décembre 2011[10].

Un interlocuteur collectif

Le soutien à l’économie sociale marchande en Wallonie est notamment passé par la reconnaissance d’une série d’agences-conseil. La question de la construction d’un interlocuteur collectif pour compte du (sous-)secteur des agences s’est rapidement imposée à l’actualité. Du point de vue de l’autonomie associative, c’est d’importance car renforçant une position : un interlocuteur collectif permet de garantir un minimum de cohésion entre acteurs plutôt que la dispersion des points de vue et des revendications face au gouvernement. En corollaire, le gouvernement est moins en possibilité de jouer de l’arbitraire dans ses décisions ; il y a négociation d’un cadre, le même pour tout le monde, pas imposition de celui-ci. Du point de vue du gouvernement, la perte relative de pouvoir est compensée par le confort d’avoir un interlocuteur, et un seul, pour la régulation.

Dans cette affaire, la situation de SYNECO a été très délicate. Deux guet-apens se sont dessinés ; chacun d’eux réalisé aurait suffi à écarter l’agence-conseil du « pilier chrétien » de toute négociation politique ! Pour « exister » autrement que dans un petit espace réservé, pour rester interlocuteur sur pied d’égalité avec les autres et avec le pouvoir politique, il y avait nécessité d’écarter les deux dangers.

Dès le début des échanges et négociations autour du projet de décret wallon sur les agences-conseil, la question des réseaux est devenue cruciale. L’intention du gouvernement était d’imposer de faire partie d’un réseau comme condition à la reconnaissance (ce sera confirmé dans le décret définitif). Un réseau a instantanément eu une existence de fait : le socialiste avec FEBECOOP comme « tête de file »[11]. Une série d’agences-conseil étaient pour leur part pluralistes et pouvaient assez aisément s’organiser en réseau. Du côté du pilier chrétien, il y avait des activités mais très centrées sur le non-marchand et pas de réseau d’agences-conseil à faire valoir : SYNECO était plutôt isolé ; associer la FAO, alors en crise totale, manquait de crédibilité. Voilà le premier piège : faute d’avoir un réseau propre, SYNECO n’aurait plus eu qu’à se fondre dans un des deux autres et dès lors à disparaître comme interlocuteur politique ; il n’y avait en effet aucune chance qu’il puisse devenir tête de file des socialistes et des chances très relatives de le devenir chez les pluralistes.

Dans le monde pluraliste, « Solidarité des alternatives wallonnes »[12] (SAW) s’est vite positionné comme l’agence la plus « activiste ». Mais pour occuper quel rôle ? Celui de la « tête de file » des pluralistes à l’instar de FEBECOOP côté socialiste ? Ou bien, précisément au nom du pluralisme affiché, l’ASBL avait-elle vocation à représenter tout le monde (c’était le rêve que caressait le management de SAW) ? Il ne faut pas faire un grand dessin : imaginer que la relativement petite structure indépendante SAW puisse parler au nom du pilier socialiste ne témoignait pas d’un grand réalisme. Côté chrétien, le « pilier » étant pour la circonstance circonscrit au MOC et à ses organisations[13], on n’était pas plus favorable, c’est le moins qu’on puisse écrire[14]. Qu’une partie prenante particulière parle pour le compte de toutes : c’est le second piège.

Une partie politique complexe et tendue s’est jouée : SYNECO courant un réel risque de marginalisation, si pas d’expulsion de fait des lieux où on traite des politiques de soutien à l’économie sociale, il fallait que l’interlocuteur collectif soit in fine composé de trois acteurs ! Pas simplement des deux qui pouvaient se prévaloir d’être tête de file d’un réseau. Le positionnement de SYNECO était d’autant plus compliqué qu’au contraire de FEBECOOP, il n’était pas très soutenant du principe de priorisation à l’économie sociale marchande. Les pluralistes quant à eux, n’étaient pas vraiment contraires à la priorisation : tout était en place pour considérer qu’un organisme « au service du non-marchand » s’excluait de lui-même de cet espace particulier. Quelques interlocuteurs ayant pris la mesure du risque, l’une ou l’autre fédération MOC est sortie du bois, et quelques ASBL locales ont été créées[15], en sorte de pouvoir positionner SYNECO également en tête de réseaux.

Le réseau SYNECO

Le réseau a été un moment circonscrit dans le temps mais nécessaire pour faire exister SYNECO dans la négociation politique. Outre la tête (SYNECO proprement dit), on enregistrait quatre membres.

    • CEDEGES, dans le périmètre du MOC de Liège-Huy-Waremme, a été active dans l’économie sociale de 1997 à 2005, spécialement autour des circuits de recyclage ; la liquidation de l’ASBL a été clôturée en 2009[16].
    • COPRONAM, à partir de 1994, a été la structure dans le périmètre du MOC de Namur. Relativement à l’enjeu ici décrit, la structure est largement restée vide d’activités propres. Elle a été dissoute en 2021[17].
    • La Picarde, quant à elle créée en 1991 dans le périmètre du MOC du Hainaut occidental, a été active très largement en réponse à des demandes du non-marchand local. L’ASBL a été à son tour mise en liquidation en 2013 mais ses activités, ainsi que la personne employée, ont été intégrées dans le CIEP Hainaut occidental[18].
    • La Fondation André Oleffe gardait de l’activité malgré sa situation de crise. Le MOC y est entré en piste en 1997 en sorte d’en gérer « l’atterrissage », c’est-à-dire une « dissolution propre ». Celle-ci s’est clôturée en 2006. Le temps où de l’activité propre a continué à être menée (en l’occurrence jusque 2003), la FAO a été identifiée comme membre du réseau.

Pour ce qui est de l’inscription durable de SYNECO comme interlocuteur légitime, l’opération « réseau » a été une pleine réussite. C’est bel et bien un trio qui a fait fonction d’interlocuteur collectif au nom des agences-conseil. Un développement rapide s’est finalisé dans la foulée : la constitution, en décembre 2007, d’un interlocuteur collectif cette fois pour toutes les politiques d’économie sociale en Wallonie et à Bruxelles : ConcertES, acronyme de « Concertation des organisations représentatives de l’économie sociale »[19]. Dès sa création, la plateforme a été élargie à une série d’autres acteurs que les agences-conseil, notamment des fédérations de l’insertion socioprofessionnelle ou des entreprises de travail adapté[20], ce qui a aussi eu pour vertu de diluer les tensions entre un plus grand nombre d’interlocuteurs (et de faire en sorte que ce ne soient pas toujours les mêmes configurations). ConcertES est désormais un « chapeau » wallon et bruxellois que toutes les parties se sont données : ce n’est pas l’une d’entre elles qui est devenue la « chef » de toutes les autres ; cela contribue incontestablement à la sérénité entre tous et dès lors à la bonne coopération.

Pour ce qui est du réseau SYNECO proprement dit, dès qu’on oublie sa fonction nécessaire à un moment précis de l’action politique, l’évaluation est plus complexe : il serait peu correct de conclure que rien d’intéressant ou d’utile s’y soit passé ; des personnes ont réellement mouillé leurs chemises, et il y a eu de l’efficacité. Il s’est néanmoins agi d’un ensemble de trop petites structures que pour « tenir la distance » sur la durée, même en obtenant le « renfort », si l’on ose le terme, de l’authentique « bras cassé » que représentait la FAO de l’époque. On a cessé de parler de « réseau SYNECO » en 2005. Une année où, par ailleurs, la politique éditoriale a été réorganisée sous un nouveau label : on a cessé de publier « Non-marchand » sous forme de (gros) trimestriel et/ou livres (fonction des éditeurs successifs) ; on a voulu offrir un service au plus proche de l’actualité des ASBL, sous forme d’une newsletter tous les 15 jours, complétée de publications collectives, c’est-à-dire de livres, traitant d’une thématique de façon approfondie et autour desquels des journées (ou demi-journées) de formation peuvent être offertes. Le tout sous le label « ASBL Actualités » (pour la newsletter ; avec une variante « Les dossiers d’ASBL Actualités » pour qualifier les livres thématiques édités avec EdiPro[21]). Passer de l’étendard « non-marchand » à celui « ASBL » n’est pas qu’une anecdote dans le (re)positionnement : la cible se définit autrement, plus précisément. Les ASBL en effet participent de l’économie sociale … dont elles représentent le versant non-marchand[22].

Retour au MOC

Fin 2011 : décision de dissolution volontaire des sociétés financières du groupe ARCO. Il n’a pas été nécessaire d’avoir de longues délibérations pour s’accorder sur « il faut sauver le soldat SYNECO »[23]. L’ASBL est retournée sous la responsabilité directe du MOC, avec deux de ses travailleurs (sur un total de quatre). Elle a été dite « adossée aux AID », ce qui avait une certaine logique puisqu’il s’agissait du pôle « économie sociale » interne au Mouvement. Derrière la logique cependant, une réalité plus triviale : Joël Gillaux, directeur AID cumulait désormais avec la fonction de directeur SYNECO. En l’occurrence, c’est d’un cumul de tâches qu’il s’est agi ; à aucun moment ça ne s’est accompagné d’un cumul de rémunération ! Autrement écrit, SYNECO fonctionnait avec un directeur bénévole part time par la force des choses (l’obligation d’équilibre financier après la perte du soutien d’ARCO)[24]. Fin 2017, lors du départ de Joël Gillaux, SYNECO a retrouvé un directeur salarié propre en la personne de Sébastien Cassart[25]. En même temps que revenant dans le MOC, le siège social de l’ASBL s’est (re)déplacé à Namur.

La partie du réseau d’expertise liée au Groupe ARCO et ses filiales étant de fait largement démantelée, celui-ci a continué à fonctionner sur une base plus restreinte, tout en s’élargissant néanmoins aux différents collaborateurs aux publications, en tout cas celles et ceux qui n’en étaient pas déjà. Moyennant cet ajustement, la continuité des services a été assurée ; on n’a pas enregistré de plaintes de la part des membres, leur nombre étant resté « dans les mêmes eaux » qu’avant pour ce qui concerne le « noyau dur ».

ASBL Actualités, mensuel et Dossiers

Début 2015, la périodicité de ASBL Actualités est devenue mensuelle : il était trop lourd de maintenir un rythme de quinzaine, a fortiori parce que les contributeurs « ne font pas que cela dans la vie » et déposent fréquemment leurs productions en-dehors des délais. En passant au mensuel, le problème des délais ne disparaît pas, mais la tension est quand même moins lourde sans que la qualité des contenus n’en souffre. Les publications ont les caractéristiques des revues scientifiques du fait de la qualité experte des auteur.e.s, l’échange des auteur.e.s entre eux sur les contenus à venir, à l’occasion des réunions trimestrielles du comité de rédaction, la relecture critique par un pair de toutes les productions avant publication. Le gros atout des publications (newsletters comme dossiers) est qu’elles mettent à disposition pour des prix très démocratiques et dans une forme qui se veut pédagogique, des informations pointues qui coûtent sensiblement plus chers si on les acquiert chez d’autres éditeurs ou prestataires. Les journées (ou demi-journées) de formation autour de chaque dossier facilitent en outre une « appropriation de matière » en peu de temps.

La situation a sensiblement évolué en 2016, à la suite de l’intégration de SYNECO dans un projet global de reconversion économique de la Basse-Sambre : en vertu de quoi, un subside FEDER (le Fonds européen de développement régional) a été reçu pour intervenir principalement en économie sociale. Le travail consiste d’une part en une intervention dans la reconversion du site Saint-Gobain à Sambreville, d’autre part à exercer un rôle d’animation économique sur les différents sites d’économie sociale en construction en Basse-Sambre, travail classique de l’agence-conseil mais aussi mise en relation d’acteurs et facilitation de leurs coopérations. C’est « fort » à un double titre : un projet de reconversion prévoit explicitement un « chapitre » pour l’économie sociale ; SYNECO reçoit un mandat de « pilotage » dudit chapitre. En même temps, c’est un facteur de fragilité, car un tel subside, même pluriannuel, ce qui a été le cas, n’a pas vocation à être reconduit à son terme, a fortiori si les résultats à mettre dans le tableur Excel officiel ne sont pas à la hauteur des attentes bureaucratiques : dans les ministères et à l’Europe, on continue à croire qu’il « n’y a qu’à » pour que des entrepreneurs nombreux se manifestent, ce qui n’est pas vraiment la réalité malgré les énergies qui sont investies. Toujours est-il que cette responsabilité locale nouvelle a fait se déplacer à Sambreville (Auvelais) le siège social de l’ASBL.

De péripétie en péripétie, la petite structure tient le coup, en faisant des choses intéressantes mais force est de constater que la cible atteinte, dans ses publications et services à ses membres tout du moins, est plus celui des ASBL non marchandes que celui de l’économie sociale marchande pure et dure (sans qu’il y ait pour autant absence dans le marchand !) – c’est un constat, pas un reproche. Par ailleurs, l’équilibre financier est précaire, il nécessite paradoxalement que de l’énergie soit dépensée pour sa survie propre autant que pour remplir la mission d’aide que lui délègue la Région.

De quelle politique MOC, SYNECO est-il le révélateur ?

Reste à répondre à la question de départ. Très déterminant : le MOC est tout à fait à l’aise et au taquet lorsqu’il s’agit de défendre et illustrer le non-marchand et y multiplier les prises d’initiatives. D’un point de vue structural, lorsque des coalitions d’acteurs tendent à n’avancer que sur le soutien à l’économie sociale marchande, le MOC monte systématiquement en ligne et « ferraille » pour défendre la légitimité du non-marchand. Il ne faut pas prendre cela pour de l’hostilité à l’économie sociale marchande, mais ça conforte néanmoins chez tout le monde, en interne comme à l’externe, que l’ancrage du MOC est prioritairement non-marchand. Cela n’empêche nullement une prise d’initiatives dans l’économie sociale, ainsi qu’en témoignent certains accompagnements de SYNECO ou certains développements à partir du réseau des AID, mais, en ce domaine, une « marge de progression » reste disponible.

Notes
[1] Comme membre du collectif éditorial et en produisant régulièrement des articles, principalement pour ASBL Actualités, secondairement pour les ouvrages collectifs Les dossiers d’ASBL Actualités.
[2] Les quatre parties « économie sociale », « non-marchand », « positionnement des champs l’un par rapport à l’autre » et « un point de tension : quelle économie sociale les gouvernements doivent-ils soutenir ? » sont un résumé de contenus plus amplement développés dans GEORIS P., « L’économie sociale, une définition », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 20, décembre 2022, https://www.carhop.be/revuescarhop/index.php/2022/12/13/leconomie-sociale-une-definition/.
[3] Cela a été formalisé de manière tout à fait explicite par le Conseil wallon de l’économie sociale, dès 1990, à l’occasion de la remise de son Rapport à l’Exécutif régional wallon sur le secteur de l’économie sociale. L’accord des membres s’appuyait naturellement sur une littérature et un travail scientifique préexistants.
[4] On vise ici les travaux par exemple de Jacques Defourny, Michel Marée, Sybille Mertens (ULg), Marthe Nyssens (UCLouvain).
[5] Par exemple les réunions du lundi matin, dite « de secrétariat général » qui coordonnent les chefs de services et les responsables nationaux.
[6] En toute fin de « période ARCO », Grégory Berthet lui succédera dans la fonction de direction.
[7] Ainsi qu’une subvention à l’emploi de type PRIME, ultérieurement devenue APE.
[8] Moniteur belge, 12 mai 1995.
[9] Un entrepreneur en économie sociale, Sadok Boudoukhane, déjà dirigeant d’une entreprise de construction, a accepté d’être la personne de référence pour Syneco-Bruxelles. Mais faute de parvenir à obtenir un agrément bruxellois de même nature que l’agrément wallon, il s’est, logiquement, recentré sur la gestion de sa propre entreprise.
[10] Moniteur belge, 2 février 2012. L’auteur des présentes lignes a été le liquidateur nommé pour procéder.
[11] Ne pas croire que tout y était facile entre le secteur coopératif, la FGTB et le parti. Des agences-conseil se sont faites de solides concurrences, en particulier entre celles créées dans le périmètre syndical et d’autres dans le périmètre du parti.
[12] Aujourd’hui renommée « Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises ».
[13] AGES (aujourd’hui STEP Conseil ASBL, intégrée au groupe STEP Entreprendre à Liège), une agence-conseil hors MOC, aurait pu être qualifiée comme relevant du pilier chrétien eu égard à la personnalité de son fondateur qui a exercé plusieurs mandats politiques sous bannière du Parti social-chrétien (PSC) puis du Centre démocrate humaniste (CDH). Ladite agence-conseil née par ailleurs dans le giron d’une Entreprise d’apprentissage professionnel/Entreprise de formation par le travail (EAP/EFT) active dans le réseau ALEAP (Association libre d’entreprises d’apprentissage professionnel) est restée sur la logique d’affiliation à un réseau pluraliste. La vérité est que, sur le dossier des réseaux d’agences-conseil, à notre connaissance, il n’y a jamais eu de concertation formelle entre le MOC et ladite agence.
[14] Enregistrons que nous sommes ici dans la description d’une tension de positionnement institutionnel entre plusieurs acteurs. L’exposer ne signifie pas que les acteurs explicitement identifiés faisaient du mauvais travail ! On est même tenté d’écrire : « au contraire ». Ni qu’il ne puisse y avoir estime et amitié. Il ne doit pas y avoir de malentendu à ce sujet.
[15] À vrai dire, il n’y a pas stricte concordance dans les dates de création (de 1991 à 1998) : il y a aussi eu « recyclage » de structures existantes (mais vivotantes) vers ce nouvel objectif.
[16] Numéro d’entreprise : 462 870 934. Formellement : statuts publiés le 26 mars 1998 ; clôture de liquidation le 27 octobre 2009 (Moniteur belge, 3 décembre 2009). L’ASBL n’avait plus d’activité lors de sa mise en liquidation.
[17] Numéro d’entreprise : 451 794 425. Statuts publiés le 10 février 1994. Dissolution judiciaire avec clôture immédiate par le Tribunal de l’entreprise de Liège, division de Namur, le 14 janvier 2021 (Moniteur belge, 21 janvier 2021).
[18] Numéro d’entreprise : 444 398 570. Statuts publiés le 13 juin 1991. Clôture de liquidation le 25 novembre 2013 (Moniteur belge, 15 janvier 2014).
[19] Numéro d’entreprise 895 045 526. Statuts publiés le 28 janvier 2008.
[20] CONCERTES, Membres. Une communauté d’acteurs diversifiée !, https://concertes.be/membres/, page consultée le 5 décembre 2023.
[21] Au début de la newsletter, EdiPro était coéditeur (avec SYNECO). Il a décidé d’arrêter fin 2015 pour se limiter à la coédition des livres. Depuis lors, SYNECO est seul à la manœuvre pour l’édition de la newsletter.
[22] Quoique l’activité marchande ne leur soit pas interdite (voir le cadrage théorique supra).
[23] Et quelques autres soldats également : Auxipar, EPC et SOFATO (cette dernière est une ASBL regroupant deux centres de vacances du mouvement ouvrier chrétien).
[24] Il y avait un directeur à SYNECO au moment du basculement d’ARCO vers le MOC, Grégory Berthet, déjà cité.
[25] Joël Gillaux est passé à la direction de Lire & Écrire Wallonie, fonction hautement stratégique pour le MOC. Depuis lors, la direction des AID est assumée par Éric Albertuccio. Sébastien Cassart était toujours directeur SYNECO à la fin de la période ici examinée (décembre 2020). Joris Fakroune lui a succédé au dernier trimestre 2023.

Pour citer cet article

GEORIS P., « SYNECO : Aide à l’économie sociale, au non-marchand ou aux deux ? », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°22 : L’économie sociale en Mouvement(s), décembre 2023, mis en ligne le 20 décembre 2023, https://www.carhop.be/revuescarhop/