Edito

1921-2021 : la loi Destrée sur la lecture publique a 100 ans. Cet anniversaire est l’occasion d’entrer dans l’histoire de cette lecture publique et surtout d’interroger en quoi celle-ci contribue à l’émancipation culturelle. Dès le 19e siècle, des lieux sont créés pour mettre des publications à disposition des milieux populaires. Des bibliothèques et des centres « de savoirs » s’ouvrent et des outils de classification et d’accès à l’information se développent dans un secteur qui se professionnalise de plus en plus. Avec le soutien du pouvoir central et des autorités communales, la lecture publique se déploie, revêt des formes différentes, afin de contribuer sans cesse à la conquête et à la construction de droits culturels. Ce numéro 17 de Dynamiques est aussi un appel aux chercheurs et chercheuses à investiguer ce large champ qu’est la lecture publique.

Bonne lecture !

Introduction au dossier : Quand la bibliothèque (s’)émancipe !

PDF

Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

L’histoire est jalonnée de moments clés : la loi relative aux bibliothèques publiques dite Loi « Destrée » du 17 octobre 1921 en est un. En précisant les règles de reconnaissance et de financement des bibliothèques publiques, elle affirme le principe d’un nouveau droit culturel à savoir l’accès gratuit aux livres et au savoir, pour tous et toutes, grâce aux bibliothèques publiques.

Jules Destrée (1863-1936) en a la paternité. Cette préoccupation dans son chef, n’est pas nouvelle. Avocat et homme de lettres, membre du Parti ouvrier belge, élu député en 1894, il rêve d’installer dans les lieux que fréquentent les ouvriers et ouvrières, comme les Maisons du peuple, une œuvre qu’il qualifie lui-même de « bienfaisance intellectuelle » à savoir une bibliothèque :

« Je donnerais vingt volumes. Cela ferait un premier noyau, le « fonds Destrée » autour duquel d’autres donations, des achats à certains jours, pourraient venir accroître peu à peu le substantiel réconfort de l’esprit. »[1]

Pour lui, l’émancipation économique et politique de la classe ouvrière ne peut se faire sans son complément, l’émancipation dans le domaine intellectuel, esthétique et moral[2]. Il insiste auprès des travailleurs et des travailleuses : « lisez des journaux mais aussi des livres ! »[3]

page de couverture de la brochure DESTRÉE J., Bibliothèques ouvrières, Bruxelles, Bibliothèque de propagande socialiste, 1901 (CARHOP, coll.).

Dans les gouvernements d’Union nationale de l’immédiat après-guerre 1918, Jules Destrée est ministre des Sciences et des Arts de décembre 1919 à novembre 1921. Il est à la tête d’un département qui comprend également l’enseignement ce qui lui permet d’articuler l’instruction publique obligatoire et le développement culturel pour le monde ouvrier. La loi du 17 octobre 1921 insiste sur le rôle des bibliothèques publiques. « J’ai toujours considéré la bibliothèque publique comme le complément indispensable de l’école », déclare-il, dans l’Exposé des motifs de la loi du 17 octobre 1921.[4] En donnant accès aux livres, les bibliothèques publiques prolongent la formation reçue à l’école ; leur action bienfaisante s’inscrit aussi dans un contexte social nouveau. La loi des huit heures de travail par jour et 48 heures par semaine, revendication portée par le mouvement ouvrier socialiste depuis 1890, est promulguée le 21 juin 1921. Cette loi fixe à un maximum de huit heures, la journée de travail salariée. Pour la première fois, les travailleurs et travailleuses gagnent une certaine maîtrise du temps. Aller à la bibliothèque publique devient une manière noble d’occuper par la lecture ce temps libéré, en fréquentant les salles de lecture ou chez soi, grâce au service de prêt de livres.

Le centenaire de la Loi « Destrée » a suscité de nombreuses initiatives dans le réseau de la lecture publique : un colloque[5] retraçant le cadre et les enjeux de la lecture publique aujourd’hui ; des articles comme celui de Jean Lefèvre évoquant la genèse de la loi et l’évolution du service de la lecture publique avec les décrets de 1978 et de 2009 sur la lecture publique.[6] De nouvelles publications abordent l’histoire sous l’angle des politiques culturelles menées par la Province de Liège à partir de 1863[7] ou par la Province du Hainaut, avec sa Commission provinciale des huit heures de loisir des ouvriers, en 1919.[8]

La démarche suivie dans ce numéro de Dynamiques est double. Il s’agit en premier lieu de situer le développement de la lecture publique comme un élément d’une politique de démocratie culturelle. À ce titre, il complète les numéros de Dynamiques[9] consacrés aux universités populaires ou ouvrières, syndicales ou féministes ou ouvertes, comme outils d’émancipation des classes populaires. Bruno Liesen est le spécialiste de l’histoire de la lecture publique en Belgique. Sa contribution donne le cadre nécessaire pour comprendre l’émergence des bibliothèques publiques et les premiers soutiens des autorités publiques pour favoriser leur essor. La loi sur les bibliothèques publiques de 1921 est une étape importante, mais non suffisante pour assoir le développement d’un véritable réseau de lecture publique de qualité, ouvert et accessible à tous et toutes ainsi qu’une professionnalisation du métier de bibliothécaire.

Le deuxième axe porte sur l’exploration de ressources disponibles pour contribuer à l’histoire de la lecture publique. À travers quelques études de cas, ce numéro parcourt les collections disponibles dans les centres d’archives privées ou publiques, les traces conservées dans les bibliothèques elles-mêmes ou la quête de témoignages auprès de bibliothécaires ou animateurs et animatrices sur les missions contemporaines.

Ayant défini ce cadre, il nous semblait incontournable d’offrir une tribune à Jacques Gillen, historien et archiviste au centre d’archives privées, Le Mundaneum, pour présenter l’utopie portée par Paul Otlet et Henri La Fontaine, inventeurs de la Classification décimale universelle (CDU). Ils sont tous deux des protagonistes infatigables de son développement (au niveau mondial) et de son appropriation par les bibliothécaires (au niveau national). Leur influence se prolonge jusqu’à aujourd’hui, puisque la CDU reste le mode de classement adopté par le réseau de la lecture publique en Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour prolonger l’essai, Jacques Gillen suggère quelques pistes de recherches possibles à partir des collections et archives conservées au Mundaneum.

Le CARHOP, en tant qu’association d’éducation permanente, accorde une grande importance à la rencontre de témoins et à la valorisation de leurs expériences. Le bibliothécaire-directeur de la bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode, Dominique Dognié, est un témoin privilégié de l’évolution du métier de bibliothécaire qu’il exerce depuis 1989. Lors de notre rencontre, il évoque le passé de sa vénérable institution : la bibliothèque populaire communale de Saint-Josse-ten-Noode ouvre ses portes en mars 1859. Elle serait une des premières bibliothèques populaires d’initiative communale, accessible aux habitant.e.s. Ce bibliothécaire passionné par son métier, a sauvé au gré des circonstances, quelques traces de cette ancienne bibliothèque. L’occasion nous est ainsi donnée de répondre à l’appel à contribution lancé par Bruno Liesen, de réaliser une monographie sur cette initiative publique locale. L’article consacré à la bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode retrace des fragments d’histoire de cette dernière. Créée comme prolongement des écoles primaires que la commune développe par ailleurs, elle est le fruit d’une volonté de conseillers communaux, militant pour l’instruction publique obligatoire, ainsi que de l’instituteur en chef des écoles primaires, qui s’y investit bénévolement. La bibliothèque populaire traverse les 19e et 20e siècles. Elle est reconnue et subventionnée en 1922-1923, en application de la Loi Destrée, ce qui lui donne un cadre organisationnel et professionnalise la fonction de bibliothécaire. Mais, ce sont le Décret du 28 février 1978, organisant le Service public de la lecture, et celui du 30 avril 2009 relatif au développement des pratiques de lecture organisé par le réseau public de la lecture et les bibliothèques publiques[10], qui opèrent une démocratisation de l’accès à la bibliothèque en mettant le livre à la portée du public. Ensuite, les missions s’élargissent en mettant l’accent sur la pratique de la lecture, en renforçant la participation et le développement interculturel respectueux de la diversité des publics qui la fréquentent.[11]

L’accès au livre ne passe pas nécessairement par l’institution “bibliothèque”. Certain.e.s n’en poussent jamais la porte. Des associations d’éducation populaire font le relais. Les conteurs et conteuses descendent sur le terrain, rencontrent les enfants et les parents dans les parcs, aux abords des écoles. Ils proposent un livre, une histoire à lire ou à imaginer. L’asbl La Ruelle a une longue pratique de bibliothèque de rue dans les milieux populaires et précaires. La rencontre avec son ancien directeur, Charles Vandervelden met en avant, la méthode pour amener le livre aux publics, enfants et parents, les plus éloignés de cette pratique de la lecture. Vu le déménagement imminent de l’association, les archives ont été déposées au CARHOP où elles sont classées et inventoriées.[12] Dans l’article « Des livres à lire, des histoires à partager, l’aventure de l’asbl La Ruelle », Catherine Pinon croise le regard du témoin et les documents d’archive et retrace la démarche d’émancipation culturelle proposée par l’association, à partir du livre, de l’écriture et de la création artistique qui en constitue un prolongement. Plus que jamais, les centres d’archives privées sont donc des possibles réceptacles des pratiques socio-culturelles qui font la richesse des initiatives en éducation permanente.

Pour inviter le lecteur et la lectrice à aller plus loin, ce numéro de Dynamiques se clôture par une invitation à la lecture d’un ouvrage récent et de qualité sur les bibliothèques. Florence Loriaux nous fait partager sa lecture de l’étude de Jean-Jacques Messiaen, consacrée à la politique culturelle de la Province de Liège, qu’elle salue comme un bel ouvrage.

Notes

[1] DESTREE J., Bibliothèques ouvrières, Bruxelles, Bibliothèque de propagande socialiste, 1901, p. 20. Ce petit opuscule reprend des articles de Jules Destrée publiés entre 1899 et 1900 dans le Journal de Charleroi et dans le journal Le peuple.
[2] Idem, p. 4.
[3] Idem, p. 20-21.
[4] Projet de loi relatif aux bibliothèques publiques, document parlementaire n°208, déposé à la Chambre, le 6 avril 1921, https://www.lachambre.be/digidoc/DPS/K3074/K30740012/K30740012.pdf, page consultée le 11 décembre 2021. Voir aussi DELFORGE P., « La loi de 1921 sur les bibliothèques : Jules Destrée, le précurseur », PRESENCE ET ACTION CULTURELLES, « Politique de lecture publique. Nouveau décret, nouvelles pratiques de lecture en Fédération Wallonie-Bruxelles », n° spécial des Cahiers de l’éducation permanente, Bruxelles, PAC éditions, 2011, p. 15-19.
[5] Le centenaire des bibliothèques publiques en Belgique : la « loi Destrée de 1921 ». Regards croisés entre passé et avenir, réalisation et nouveaux enjeux, séance académique organisée par la Ville de Bruxelles pour commémorer les 100 ans de la loi Destrée, 6 décembre 2021, http://edmondmorrel.be/?p=4507, page consultée le 17 décembre 2021.
[6] LEFÈVRE J., Le centième anniversaire de la loi « Destrée » instituant les bibliothèques publiques, Bruxelles, Institut Emile Vandervelde, 2021. (Collection Etat de la question), https://www.iev.be/#/Note_Analyse/Le_centieme_anniversaire_de_la_loi_Destree_instituant_les_bibliotheques_publiques/22194, page consultée le 11 décembre 2021.
[7] MESSIAEN J.-J., Lecture pour tous. Une histoire des initiatives de la Province de Liège en matière de lecture publique, Liège, Les Éditions de la Province de Liège, 2020.
[8] AGOSTI B., de BODT R., HOST M., PIERARD R., VANSTEENE D., 100 ans d’épopée culturelle en Province du Hainaut, 1919/2019. Aux sources des politiques culturelles : suffrage universel et action publique en matière d’éducation populaire, Cuesmes, Éditions du Cerisier, 2021.
[9] « Les initiatives d’éducation ouvrière au 19e siècle : de la démarche intellectuelle à la formation militante », Dynamiques, histoire sociale en ligne, n°4, décembre 2017, https://www.carhop.be/revuescarhop/index.php/category/revue-0/revue-04/.
[10] Moniteur belge du 5 novembre 2009.
[11] FÜEG J.-F., « La lecture publique en Belgique francophone, à la croisée des chemins », Bibliothèque(s). Revue de l’Association des bibliothécaires de France, juin 2011, n° 56, p. 71-79, https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/59998-56-nord-pas-de-calais.pdf#page=73, page consultée le 13 décembre 2021.
[12] PINON C., Relevé provisoire des archives de l’ASBL La Ruelle, Braine-Le Comte, CARHOP, 2021.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

COENEN M.-Th., « Introduction au dossier : Quand la bibliothèque (s’)émancipe ! », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°17 : 1858-2021. Quand la bibliothèque (s)’émancipe !, décembre 2021, mis en ligne le 17 décembre 2021. www.carhop.be/revuescarhop/.

Il y a 100 ans… la loi Destrée : La bibliothèque populaire devenait publique

PDF

Bruno Liesen (historien, ULB)

Comme son nom l’indique, la bibliothèque populaire s’adresse au « peuple », c’est-à-dire, à l’origine, aux gens les plus modestes : ouvriers et ouvrières, artisan.e.s, paysan.ne.s… Son objectif avoué est de poursuivre l’œuvre d’éducation et d’instruction commencée à l’école. Cette institution de lecture se développe dans notre pays dès le début du 19e siècle et prend son essor dans les années 1860, à la faveur de plusieurs facteurs convergents : l’instruction publique se généralise, les idées démocratiques gagnent du terrain, l’industrialisation progresse à pas de géant. Le marché du livre se transforme aussi et le livre, produit de luxe autrefois réservé aux élites sociales, devient un produit de masse.

Premiers frémissements

Le monde catholique, fort de son expérience dans le domaine de l’école, est à l’origine des premières réalisations dans le domaine des bibliothèques populaires, qui fleurissent dès les années 1830-1840. Il domine l’action dans ce domaine jusqu’au milieu du siècle. Ces bibliothèques dites « choisies » ou « de bons livres » sont en principe destinées à tous les catholiques mais à y regarder de plus près, leurs lecteurs et lectrices se recrutent essentiellement au sein de la bourgeoisie. Des sections gratuites destinées aux classes dites populaires ne s’ouvrent que sur le tard et peinent parfois à trouver leur public.

Quant aux communes, elles commencent à s’intéresser aux bibliothèques populaires à la suite du choc des révolutions de 1848. Celles-ci épargnent la Belgique mais secouent ses élites dirigeantes et les amènent à envisager les moyens susceptibles de mieux contrôler les classes laborieuses – dites « dangereuses » – notamment par le biais de l’instruction et de la moralisation. En 1848, Édouard Ducpétiaux, chantre du réformisme social en Belgique, propose au Conseil communal de Bruxelles d’établir une bibliothèque populaire à laquelle seraient adjoints des cours publics pour les ouvriers et ouvrières. Le projet bruxellois, qui s’inspire des Mechanics’ Institutes britanniques, est adopté sur le principe mais, freiné par d’obscures considérations budgétaires, il ne sera réalisé que quinze ans plus tard ! Dans d’autres communes du pays, des bibliothèques populaires communales sont ouvertes, à Andenne (1848), Vracene (1849), Furnes (1849), Termonde (1850), Verviers (1851). Jusqu’en 1862 cependant, l’initiative communale amène peu de créations.

Bibliothèque communale publique de Verviers, vers 1900. Carte postale ancienne, Aywaille, Desaix (Collection Bruno Liesen).

Le déclic de la circulaire Vandenpeereboom du 13 septembre 1862

Le 13 septembre 1862, Alphonse Vandenpeereboom, ministre de l’Intérieur dans le Gouvernement libéral Rogier-Frère-Orban, se fend d’une circulaire aux gouverneurs de province pour encourager les communes à créer des bibliothèques populaires, conçues comme un « complément » de l’école primaire. Là où l’action communale fait défaut, l’initiative privée est bienvenue. Cette première intervention de l’État dans le domaine de la lecture populaire « encourage » sans rien imposer. Nous sommes au temps de l’« État-gendarme » qui se borne à ses fonctions régaliennes. Cette circulaire est néanmoins à l’origine d’un important mouvement en faveur des bibliothèques populaires, largement dominé par l’initiative privée.

L’heure, cette fois, est aux libéraux. Dès sa fondation à Bruxelles en 1864, la Ligue de l’enseignement, vouée à la défense de l’école publique, obligatoire, laïque et gratuite, accorde aux bibliothèques populaires une place de choix dans les outils éducatifs destinés à prolonger la formation des classes laborieuses au-delà de l’école primaire. L’action de la Ligue, qui vise surtout la promotion de la lecture au sein des classes populaires, suscite la création de multiples bibliothèques. Elle innove à la fin du siècle en lançant un réseau de bibliothèques circulantes qui comptera jusqu’à 71 bibliothèques et sera couronné d’un « grand prix » à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1910. D’autres associations de tendance libérale, comme le Willemsfonds en Flandre ou la Société Franklin à Liège, s’inscrivent également dans ce courant en faveur de la lecture populaire. Le monde catholique ne va pas tarder à réagir en renforçant et en coordonnant mieux son action. Le Parti ouvrier belge (POB), fondé en 1885, crée à son tour des bibliothèques populaires, inspirées dans un premier temps par les réalisations libérales. En 1900, Jules Destrée – futur auteur de la loi sur les bibliothèques publiques – lance le projet de former une bibliothèque dans chaque Maison du Peuple. La création, en 1910, de la Centrale d’éducation ouvrière – future Présence et action culturelles (PAC) – contribuera à affranchir les réalisations socialistes du modèle libéral en les transformant en outils de formation des militant.e.s.

L’initiative privée ne se limite pas au monde associatif. L’instruction et la moralisation des classes laborieuses intéressent aussi, au premier chef, le monde industriel. Les dirigeants de plusieurs charbonnages notamment, prennent ou soutiennent de nombreuses initiatives d’ordre social et culturel, dans un esprit paternaliste. Il s’agit de promouvoir des valeurs morales comme la famille ou la tempérance, d’accroître la productivité en valorisant le travail, le respect de l’autorité et la discipline, de canaliser le comportement social et politique dans le sens de l’ordre établi, etc. La bibliothèque populaire trouve naturellement sa place dans la cité ouvrière, à côté de l’école primaire, des cours pour adultes, des logements ouvriers, de la boulangerie, des magasins de vêtements ou de denrées alimentaires, des bains et lavoirs publics, voire de l’église… édifiés autour du site de l’exploitation minière ou de la fabrique. En 1903, les gérants de Delhaize frères et Cie fondent un cours d’instruction primaire pour leurs ouvriers et ouvrières, complété par des excursions et une bibliothèque proposant des livres « bien choisis », des journaux et des revues illustrées, qui préfigure les futures bibliothèques d’entreprise[1]. Les initiatives prises par les ouvriers et ouvrières eux-mêmes sont beaucoup plus rares. Le seul exemple documenté est celui des Amis de l’instruction, société de lecture fondée en 1879 par vingt-cinq ouvriers des houillères de Courcelles, domiciliés à Souvret (Hainaut) et qui ouvrent une bibliothèque dans ces deux localités. Cette société est sans doute inspirée par l’association ouvrière du même nom fondée à Paris en 1861, bien que leurs liens n’aient jamais été établis avec précision[2].

Enfin, pour être complet, il faut mentionner les bibliothèques intégrées dans des institutions d’enseignement pour adultes. En 1866, Alphonse Vandenpeereboom – toujours lui – réforme les écoles pour adultes organisées par les communes, en réglementant le fonctionnement de la bibliothèque considérée comme « le complément indispensable »[3] de ces établissements. Il établit toutefois une distinction entre ces bibliothèques « spéciales », soumises à l’inspection scolaire, et les bibliothèques populaires communales. D’autres institutions d’éducation populaire, comme les extensions universitaires et les universités populaires, qui apparaissent au tournant du siècle, se dotent de bibliothèques où se donnent parfois des lectures publiques, comme dans les bibliothèques populaires. L’Extension universitaire de Bruxelles, créée en 1893, institue une bibliothèque circulante vers 1895. Les bibliothèques d’établissement d’enseignement pour adultes s’adressent au même public que les bibliothèques populaires et ont le même objectif d’élever le niveau intellectuel et moral des classes populaires par le biais du livre. La seule véritable différence est d’ordre institutionnel.

Des bibliothèques de « bons » livres

Les promoteurs des bibliothèques populaires leur assignent une double fonction d’instruire les masses populaires et de les « moraliser », autrement dit de les éduquer dans le sens d’une bonne hygiène morale et sociale.

La bibliothèque populaire est d’abord le complément de l’école, leitmotiv particulièrement présent dans le discours libéral. Charles Masson, avocat et conseiller provincial à Liège, le résume en ces termes en 1875 : « la bibliothèque populaire est le complément naturel de l’école primaire et de l’école d’adultes. Ces trois institutions se complètent et se fortifient (…). Il est presque impossible de les séparer sans danger, car elles constituent les trois bases de l’instruction publique »[4]. Très logiquement, l’instituteur est considéré comme le bibliothécaire idéal. Il est le mieux placé pour continuer à l’école d’adultes et à la bibliothèque populaire la « lutte contre l’ignorance » entamée à l’école primaire. C’est aussi le point de vue défendu par la Ligue de l’enseignement et il sera appliqué notamment dans le réseau des bibliothèques populaires de la Ville de Bruxelles.

Quant à la fonction « moralisatrice », elle est à l’œuvre non seulement dans le contenu des ouvrages, sélectionnés avec soin, mais aussi dans l’acte même de se rendre à la bibliothèque après sa journée de labeur pour y emprunter des livres. L’ouvrier ou l’artisan échappent ainsi à l’attraction fatale du cabaret et regagnent leur foyer où ils pourront partager avec les leurs les plaisirs de la lecture, en lisant des passages à haute voix ou en donnant des commentaires. Cette vision idyllique, chère au discours libéral, est partagée par les milieux catholiques et même par les promoteurs des bibliothèques populaires socialistes de la première génération. Il faut rappeler que la lutte contre l’alcoolisme occupe une bonne place dans les premiers combats menés par le Parti ouvrier belge.

Le monde des bibliothèques populaires n’échappe donc pas à la pilarisation qui imprègne l’ensemble de la vie socio-culturelle en Belgique. Cela se manifeste dans les discours tenus par les uns et les autres sur le « bon » et le « mauvais » livre. Le choix des ouvrages est au cœur des préoccupations des promoteurs et gestionnaires de bibliothèques populaires. L’accent est mis sur les ouvrages « instructifs ». Dans l’optique libérale en particulier, telle qu’elle est défendue par la Ligue de l’enseignement et mise en pratique dans le réseau de la Ville de Bruxelles, la bibliothèque populaire est conçue comme un « temple de la science » destiné à transmettre aux classes laborieuses la connaissance et les valeurs bourgeoises. Leurs catalogues reflètent clairement une volonté de démocratisation du savoir, mais suivant les normes de la classe dominante et dans un sens utilitariste. Il s’agit de former de bons citoyens, mais aussi de bons ouvriers, de bons techniciens, de bons agriculteurs, de bons pères ou mères de famille, etc. Quant aux livres dits « récréatifs », ils ont certes leur place, mais sont plutôt considérés comme une sorte de « produit d’appel », selon le principe du « qui a lu lira ». La littérature populaire, en revanche, est quasi unanimement bannie des bibliothèques populaires, toutes tendances confondues, car susceptible de heurter le sens moral[5].

Bibliothèque populaire centrale de la Ville de Bruxelles, 28 place Rouppe (©KIK-IRPA, Bruxelles). Ce bâtiment construit en 1909-1910 par l’architecte J. Hubrecht est actuellement occupé par une école. Il fait angle avec le siège historique de la Ligue de l’enseignement. En 1911, la première salle de lecture du réseau communal bruxellois est aménagée dans ces locaux. Jusqu’alors, seul le prêt à domicile est pratiqué.

Vers la bibliothèque publique

Au début du 20e siècle, les bibliothèques populaires sont remises en question par les tenants d’un mouvement réformiste qui s’inspire du modèle anglo-saxon de la free public library. La critique des bibliothèques populaires aboutit à une double constatation : leur nombre est insuffisant et leur organisation ne répond plus aux besoins. Paul Otlet et Henri La Fontaine, créateurs du Mundaneum, sont les figures de proue de ce mouvement de réforme, qui vise à « faire de nos bibliothèques dites “populaires”, de véritables “bibliothèques publiques” utiles à toutes les classes de la société »[6]. À la quatrième Conférence internationale de bibliographie, tenue à Bruxelles les 10 et 11 juillet 1908, ils présentent un rapport considéré de nos jours comme le premier manifeste de la bibliothèque publique moderne.

Leur projet est fondé sur le principe du réseau unique intégrant, au sein d’une ville ou d’une agglomération de communes, les bibliothèques de diverses natures : bibliothèques avec salles de lecture, bibliothèques de prêt à domicile, bibliothèques circulantes, bibliothèques scolaires. Leurs services doivent être connectés à l’école, aux institutions postscolaires et aux bibliothèques scientifiques. Les bibliothèques publiques sont appelées à collaborer les unes avec les autres : prêt entre bibliothèques, acquisitions en commun, publication de catalogues collectifs, préparation et diffusion de guides de lectures.

Devenue « publique », la bibliothèque s’inscrit dans une vision nouvelle, où elle est conçue comme institution d’éducation intégrale et permanente, instrument de démocratisation d’une culture universaliste ouverte à toutes et tous sans distinction. Les attitudes philanthropiques ou paternalistes sont évacuées, la fonction récréative est reconnue à sa juste valeur. Avant 1914, ce vaste projet de réforme reste lettre morte, malgré quelques réalisations isolées s’inspirant de ces principes[7].

Bibliothèque populaire centrale de la Ville de Liège : la salle de lecture et les bibliothécaires, vers 1908 (Collection Dieudonné Boverie)

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, qui voit exploser la demande de lecture, la nécessité d’une réforme des bibliothèques populaires se fait de plus en plus sentir. L’esprit de reconstruction nationale, l’instauration de l’instruction obligatoire jusqu’à l’âge de quatorze ans (loi du 19 mai 1914) et de la journée de huit heures (loi du 14 juin 1921) sont autant de circonstances favorables à la naissance de la première loi belge sur les bibliothèques publiques.

La loi Destrée

Jules Destrée (Collection privée)

La loi du 17 octobre 1921 est adoptée sur proposition de Jules Destrée, ministre des Sciences et des Arts. Comme d’autres textes législatifs marquants, le nom de son promoteur lui restera attaché, ce qui souligne son importance. Il est vrai que Destrée est une personnalité hors normes. Socialiste de la première heure – il est l’un des premiers députés du POB. –, il s’est fait le chantre de la cause ouvrière, d’une législation sociale, du suffrage universel et de l’enseignement obligatoire et gratuit. Il est aussi un fer de lance du mouvement wallon. Après avoir servi comme ambassadeur à Saint-Pétersbourg puis à Pékin pendant la Première Guerre mondiale, Destrée entre en 1919 dans le premier Gouvernement belge à participation socialiste et se voit attribuer le portefeuille des Sciences et des Arts, qui inclut l’Instruction publique.

L’ambition de sa proposition de loi est de « transformer le faisceau hétéroclite des bibliothèques, dites populaires, en un véritable service public »[8], sur le modèle anglo-saxon, ce qui implique une obligation de neutralité et donc une rupture par rapport aux divisions du passé. Comme le souligne Hugues Dumont dans sa thèse magistrale sur le pluralisme dans le droit public belge, « en soi, la logique du service public aurait dû conduire Destrée à imposer à chaque commune la création d’une bibliothèque publique ou au moins l’adoption d’une bibliothèque privée disposée à respecter la neutralité inhérente à tout service public, fût-il fonctionnel »[9]. Lors des travaux de la commission mise en place en 1920 pour préparer la loi, Destrée a été saisi d’un avant-projet qui allait dans ce sens, mais il y renonce en février 1921, pour ne pas heurter de front à la fois les défenseurs de l’initiative privée et plus encore ceux de la sacro-sainte autonomie communale. Selon la loi, les communes ont donc le choix entre plusieurs options : créer une bibliothèque publique, en adopter une, se satisfaire de l’existence d’au moins une bibliothèque libre dans leur ressort ou, en l’absence de toute bibliothèque reconnue, se contenter… de ne rien faire. Dans ce dernier cas de figure, la loi stipule que l’administration communale est tenue d’établir un des trois types de bibliothèques publiques « dès qu’elle sera sollicitée par des électeurs représentant le cinquième du corps électoral » (art. 2, § 2). Ce compromis à la Belge est le prix payé par Destrée pour obtenir une très large adhésion à son projet, voté à l’unanimité à la Chambre et par 65 oui, 20 non et 5 abstentions au Sénat.

En définitive, l’exigence de neutralité va se plier au principe de la liberté subventionnée, nettement avantagé par son enracinement historique et sociologique. La neutralité sera interprétée non pas dans le sens d’un réseau de bibliothèques publiques ouvertes à toutes les tendances, mais dans le sens d’un réseau constitué de bibliothèques reflétant chacune l’une ou l’autre de ces tendances en fonction des personnes qui les fréquentent et formant ensemble un réseau représentatif des différents courants idéologiques.

Quoi qu’il en soit, la loi Destrée représente une étape majeure dans l’émergence d’un service de lecture publique en Belgique. Avant la guerre, le pays comptait moins de 1 500 bibliothèques populaires dont l’organisation était laissée à l’initiative de promoteurs institutionnels ou privés et sans aucune coordination les unes avec les autres. Ces structures aux horaires très divers et aux collections hétéroclites étaient gérées par des personnes sans statut véritable et sans formation spécifique. L’État n’intervenait qu’avec parcimonie, surtout par des dons de livres. Sous le régime de la nouvelle loi, il devient un acteur de premier plan, tout en laissant une marge de liberté assez large à l’initiative communale ou privée. L’intervention financière de l’État constitue un élément déterminant du développement des bibliothèques. Celles-ci se multiplient, du moins jusqu’à la crise des années 1930. En contrepartie de leur reconnaissance, elles se soumettent à des règles de fonctionnement communes, destinées à garantir l’accès le plus large à la population. Les bibliothécaires bénévoles restent en place, mais le métier va se professionnaliser progressivement, grâce à l’instauration de filières de formation et de concours. À cet égard, la création d’un Conseil supérieur des bibliothèques publiques, dans la foulée de la loi Destrée, donnera des impulsions décisives.

Le nouveau régime des bibliothèques publiques conserve toutefois au moins deux axes de continuité avec le passé : le lien avec l’école et la pilarisation. Tout d’abord, la bibliothèque est toujours présentée comme complément de l’école. Dans son exposé des motifs de la loi du 17 octobre 1921, Destrée proclame : « J’ai toujours considéré la bibliothèque publique comme le complément indispensable de l’école ». C’est un lointain écho à la circulaire de son prédécesseur Jules Vandenpeereboom, qui désignait la bibliothèque populaire comme « le véritable complément » de l’école. Le principe de la liberté subventionnée, adopté pour les bibliothèques publiques comme pour l’ensemble des institutions d’éducation populaire, est d’ailleurs celui qui gouverne la politique scolaire. Ce principe convient parfaitement aux catholiques et aux libéraux. Le monde socialiste est plus divisé. Certains s’en accommodent, les autres préfèreraient l’instauration d’un véritable service public neutre, impliquant que l’État prenne lui-même en charge les bibliothèques plutôt que de se contenter d’un rôle d’encouragement. Ils comprennent toutefois qu’un tel bouleversement se heurterait à des obstacles insurmontables et se rangent donc à une solution plus réaliste, moyennant la mise en place d’un certain contrôle. En entérinant le principe de liberté subventionnée – seul consensus possible entre les trois grands mondes socio-politiques – la loi Destrée maintient intacte la pilarisation du système. Elle institutionnalise en un sens le régime ancien des bibliothèques populaires en permettant à celles-ci de bénéficier des aides publiques sans pour autant changer de nature, sans compter celles qui subsistent en dehors du cadre légal, qui reste facultatif.

Bibliothèque publique de la cité ouvrière des charbonnages du Bois-du-Luc à Houdeng-Aimeries, vers 1920. Carte postale ancienne, Bruxelles, Ern. Thill (Collection Bruno Liesen).

Dans l’entre-deux-guerres, la loi Destrée aboutit à créer des centaines de bibliothèques de tailles très variables, relevant le plus souvent d’un statut privé et affichant presque toujours une couleur idéologique ou philosophique bien déterminée. Les critiques sont unanimes pour constater le manque de cohésion de l’ensemble des bibliothèques publiques de diverses catégories et la dispersion de subventions dont les montants sont jugés dérisoires. En 1966, à l’occasion du 45e anniversaire de la loi Destrée, des voix s’élèvent pour dénoncer « la misère des bibliothèques publiques » et appeler à une réforme axée sur les besoins du public, qui mette fin à la « pulvérisation de l’effort financier », à la « concurrence des réseaux » et au fait que « le respect de la liberté locale telle qu’elle a été comprise par la loi Destrée a conduit à la folle injustice qui fait que certains citoyens ont une bibliothèque publique et d’autres pas »[10]. Selon ses détracteurs, la loi Destrée contribue à pérenniser les bibliothèques populaires et sa longévité inattendue a des effets néfastes sur l’élaboration d’un réseau de lecture publique digne de ce nom. Marcel Hicter, directeur général de la Jeunesse et des Loisirs au ministère de l’Éducation nationale et de la Culture, ne mâche pas ses mots : « j’ai (…) bon espoir que nous n’aurons pas à célébrer le cinquantième anniversaire de la Loi Destrée. Ce serait un signe grave, si nous étions amenés à le faire. Notre pays risquerait de tomber progressivement, par rapport à ses voisins, dans un état de sous-développement et de sous-équipement culturel »[11]. Les projets de réforme de la loi développés en 1956 et 1966 restent sans lendemain.

Il faut attendre la révision constitutionnelle de 1971, qui transforme la Belgique en État fédéral, pour voir s’engager enfin le processus qui aboutira à une réorganisation en profondeur de la lecture publique, compétence désormais transférée aux entités fédérées. Les décrets votés respectivement par la Communauté française, le 21 février 1978, et le Cultuurraad voor de Nederlandse Cultuurgemeenschap, le 6 juillet 1978, mettent fin au régime de la loi Destrée, qui aura donc vécu un bon demi-siècle.

Appel à chercheuses et chercheurs

Si la loi Destrée a fait l’objet de plusieurs études, l’histoire des bibliothèques populaires et des bibliothèques publiques dans nos régions reste encore assez peu exploitée par les historien.nes. Certes, beaucoup de travaux consacrés à des associations actives dans le domaine de l’éducation populaire/permanente, par exemple, abordent la question, mais sans toujours exploiter à fond les sources consacrées à cet aspect de leurs activités. Les bibliothèques créées à l’initiative des communes et des provinces mériteraient aussi des recherches plus systématiques[12].

En ce qui concerne les bibliothèques populaires avant la loi Destrée, il y a encore un important travail à mener pour dresser un inventaire, une cartographie de ces institutions. Les quelques statistiques publiées à l’époque posent de nombreux problèmes critiques et sont probablement très incomplètes ou erronées. Il reste aussi beaucoup à faire pour affiner notre connaissance de la sociologie des lecteurs, des lectrices, et des pratiques de lecture. L’étude du contenu des catalogues est une autre piste intéressante pour étayer ce que nous savons de l’offre de lecture proposée aux « classes laborieuses ».

Enfin, toute la période du régime de la loi de 1921 de même que celle du décret de 1978 sont des champs largement ouverts aux chercheurs et chercheuses. En 1999, dans un numéro de la revue Lectures consacré au 20e anniversaire du décret sur la lecture publique de 1978, j’avais publié un article intitulé « Y-a-t-il un historien dans la salle ? » qui lançait de multiples pistes à explorer pour un travail de mémoire, suggérant notamment d’interviewer les acteurs de la lecture publique pour constituer des archives sonores, de recueillir des témoignages photographiques, audio-visuels des locaux, des installations et des diverses pratiques de lecture et de culture initiées par nos bibliothèques, etc. Vingt ans et des poussières plus tard, cet appel reste toujours d’actualité. Formons le vœu que l’anniversaire célébré en 2021 lui donnera un nouvel écho !

Bibliographie

Depasse C., Historique et organisation des bibliothèques publiques en Belgique, Bruxelles, Ligue de l’enseignement, 1931.

Liesen B., Bibliothèques populaires et bibliothèques publiques en Belgique (1860-1914). L’action de la Ligue de l’enseignement et le réseau de la Ville de Bruxelles, Liège, Centre de Lecture publique de la Communauté française (C.L.P.C.F.), 1990.

Liesen B., « Y a-t-il un historien dans la salle ? », dans Le décret sur la lecture publique de février 1978. Déjà 20 ans ! Itinéraires et promesses (Lectures, hors-série), Bruxelles, CLPCF, 1999, p. 38-40.

Liesen B., « Des bibliothèques populaires aux bibliothèques publiques en Belgique : L’émergence d’un service public de lecture dans une société pilarisée », dans SANDRAS A. (éd.), Des bibliothèques populaires à la lecture publique, Lyon, Presses de l’Enssib, p. 327-372.

Valgaeren L., Plaats en taak van de openbare bibliotheek in Vlaanderen. Schets van de evolutie van volksbibliotheek naar openbare bibliotheek. Toekomstperspectieven, Anvers, Vlaamse Vereniging van Bibliotheek-, Archief- en Documentatiepersoneel, 1976 (Bibliotheekkunde. Verhandelingen aansluitend bij Bibliotheekgids, n° 33).

Van Aelbrouck A., Éducation populaire et bibliothèques publiques. Les conditions historiques, sociales et psychologiques de leur évolution, Bruxelles, Éd. de la Librairie encyclopédique, 1956.

Notes

[1] Bulletin de la Ligue de l’enseignement, 1909, p. 44-46.
[2] La première bibliothèque des Amis de l’instruction, fondée en 1861 dans le IIIe arrondissement de Paris, a été miraculeusement conservée dans son état d’origine jusqu’à nos jours. Ce lieu de mémoire a été le cadre en 1984 d’un important colloque international sur l’histoire de la lecture. L’association, toujours très active, a organisé un second colloque sur ce thème à la bibliothèque de l’Arsenal en 2014. Nombreuses ressources documentaires sur leur site Internet : https://bai.asso.fr
[3] Rapport au Roi annexé à l’arrêté royal du 1er septembre 1866 (Pasinomie, 4e série, t. I, Bruxelles, 1865-1866, p. 250-251).
[4] Masson C., « Les bibliothèques populaires », dans Revue de Belgique, XXI, 1875, p. 5-18 (cit. p. 8).
[5] À ce sujet, voir LIESEN B., « Le livre et ses lecteurs dans les bibliothèques populaires au XIXe siècle », dans Archives et bibliothèques de Belgique, LX/1-2, 1989, p. 121-136.
[6] La bibliothèque publique, I/1-2, 1908, p. 3.
[7] Sur l’intervention d’Otlet et La Fontaine dans la question des bibliothèques publiques, voir notre article LIESEN B., « De la bibliothèque populaire à la bibliothèque publique : le courant réformateur de la lecture publique en Belgique à l’aube du XXe siècle », dans Archives et bibliothèques de Belgique, LXVIII/1-4, 1996, p. 175-187.
[8] Charlier J., « Les bibliothèques », dans La Wallonie, le pays et les hommes, lettres-arts-culture, IV, [Bruxelles], La Renaissance du livre, 1981, p. 339-348 (citation, p. 341).
[9] Dumont H., Le pluralisme idéologique et l’autonomie culturelle en droit public belge, I, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis-Émile Bruylant, 1996, p. 220.
[10] Deprez M., « Quelques réflexions à propos des bibliothèques et de leur passé », dans La loi Destrée a 45 ans, 1966 (Cahiers J.E.B., n° 4), p. 247-256.
[11] Marcel Hicter, « Avant-propos », dans La loi Destrée a 45 ans, 1966 (Cahiers J.E.B., n° 4), p. 243.
[12] Pour la province de Liège, voir l’ouvrage récent de Missiaen J.-J., Lectures pour tous. Une histoire des initiatives de la province de Liège en matière de lecture publique, Liège, Éd. de la Province de Liège, 2021.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

LIESEN B., « Il y a 100 ans… la loi Destrée : La bibliothèque populaire devenait publique », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°17 : 1858-2021. Quand la bibliothèque (s)’émancipe !, décembre 2021, mis en ligne le 17 décembre 2021. www.carhop.be/revuescarhop/.

Paul Otlet et Henri La Fontaine, fondateurs du Mundaneum : des références pour les bibliothèques

PDF

Jacques Gillen (historien et archiviste, Mundaneum)

Paul Otlet (1868-1944), considéré comme le père de la documentation et un des précurseurs d’Internet, et Henri La Fontaine (1854-1943), Prix Nobel de la paix en 1913, sont incontournables dans l’histoire et le monde des bibliothèques. Quiconque entame une formation de bibliothécaire ou s’intéresse à l’histoire des bibliothèques ou de la bibliothéconomie se voit immanquablement, ne fût-ce que brièvement, confronté à ces deux juristes bibliographes, fondateurs de ce qui allait devenir le Mundaneum : l’Institut international de bibliographie (IIB). Créé en 1895, l’IIB devient, dans les années 1920, à la suite d’extensions et de l’ajout d’unités documentaires, le Palais mondial-Mundaneum, puis, plus simplement le Mundaneum (actuellement centre d’archives privées et espace d’expositions de la Fédération Wallonie-Bruxelles). L’IIB est le creuset dans lequel Otlet et La Fontaine ont développé des idées, des méthodes de travail et des outils qui se sont largement répandus dans les bibliothèques, non seulement en Belgique mais aussi sur le plan international. Dès les débuts, leurs travaux intègrent les bibliothèques publiques. Références en matière de bibliothéconomie, ils interviennent dans toutes les tentatives de réforme des bibliothèques publiques qui précèdent la loi Destrée de 1921.

La fiche bibliographique comme point de départ d’un vaste projet 

Paul Otlet et Henri La Fontaine sont animés d’idéaux universalistes et pacifistes. En filigrane de tous les projets qu’ils mènent au sein de l’IIB ou dans son sillage, figure l’idée que la connaissance doit être accessible à tous et toutes. Ils sont convaincus que la connaissance est un outil majeur (au côté du droit international) pour l’établissement d’une paix durable. Avec comme point de départ la bibliographie, ils étendent progressivement leur champ d’action dans le but de favoriser l’accès à la connaissance et sa diffusion.

Dès le début, la conception que se font Otlet et La Fontaine du partage de la connaissance intègre les bibliothèques publiques. Le savoir ne doit pas être à la seule destination des savants. La bibliothèque doit occuper un rôle actif dans la démocratisation du savoir : « La conservation des livres n’est plus envisagée comme une fin en soi. On se rend compte que c’est le lecteur qui crée l’utilité du livre. Le vrai rôle d’une bibliothèque apparaît alors de faire circuler les livres et non pas seulement de les conserver. Et cette circulation se fait dans deux directions, celle des études scientifiques et littéraires, d’une part, celle de la vulgarisation, d’autre part. Le mouvement démocratique renverse les anciennes conceptions et partout éclate un mouvement irrésistible en faveur des bibliothèques populaires »[1]. La bibliothèque doit être aidée en cela par les pouvoirs publics qu’Otlet interpelle dès 1907 en émettant le vœu de voir le ministère des Sciences et des Arts mener une politique en faveur du développement des bibliothèques publiques[2]. Lors de la Conférence internationale de bibliographie, tenue à Bruxelles en 1908, Otlet et La Fontaine présentent un rapport à ce sujet, considéré comme le premier « manifeste »[3] de la bibliothèque publique. Pour eux, la bibliothèque a un véritable rôle sociétal à remplir : « Tout ce qui touche au livre est « social » par excellence. La lecture est devenue un besoin de l’homme civilisé. »[4]

Lorsqu’il est créé à la fin du 19e siècle, l’IIB a pour principal objectif de mettre sur pied le Répertoire bibliographique universel (RBU), destiné à recenser sur des fiches bibliographiques toutes les publications du monde, quels que soient leur sujet, leur date ou leur lieu d’édition, ou encore leur lieu de conservation. Ce répertoire, inscrit en 2013 au registre « Mémoire du monde » de l’UNESCO, tapisse depuis 1998 les murs de l’espace muséal du Mundaneum à Mons, où le Mundaneum est installé depuis 1993. Il se compose de deux parties principales, l’une onomastique (destinée à répondre à la question « Qu’a écrit tel auteur ? »), l’autre thématique (classée par sujet)[5]. Les fiches comprennent les informations de base, telles que le nom de l’auteur, le titre, le lieu et la date d’édition, etc., mais aussi, lorsque l’information est disponible, l’endroit où la publication peut être trouvée. Ce caractère universel fait en quelque sorte du RBU, parfois appelé « Internet de papier », une grande base de données bibliographiques. C’est à ce titre que certains le considèrent comme un des premiers moteurs de recherche de l’histoire.

Le Répertoire bibliographique universel, vers 1900 (Mundaneum, coll.).

Manuel du Répertoire bibliographique universel, édition complète préparatoire de 1904 (Mundaneum, coll.).

Entre 1895 et le milieu des années 1930, Otlet et La Fontaine rassemblent quelque 18 millions de fiches. Pour réaliser ce travail titanesque[6], ils font appel à la coopération internationale. Dès les premières années, un réseau de savants, de bibliographes et de bibliothécaires du monde entier gravite autour de l’IIB. Dès le début aussi, des collaborations se mettent en place, notamment sous la forme d’échanges de fiches bibliographiques ou de publications, avec les associations scientifiques, les bibliothèques et les instituts bibliographiques (tels que le Concilium bibliographicum de Zürich ou le Bureau bibliographique de Paris) qui participent au développement du RBU. L’IIB devient rapidement une référence et répond régulièrement à des demandes de bibliothèques, privées ou publiques, sur la manière de gérer, de classer et d’inventorier leur collection.

Indexation de publications et rédaction de fiches bibliographiques, panneau de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum, années 1920 (Mundaneum, coll.).

Au début du 20e siècle, l’IIB élargit son champ d’action. Convaincus que la connaissance ne se trouve pas seulement dans les livres, Otlet et La Fontaine initient, dans le sillage de l’IIB, plusieurs unités documentaires et organismes spécialisés conçus comme des extensions de l’IIB, donnant ainsi naissance au concept de « documentation ». Leur ambition est désormais de permettre l’accès à l’ensemble des connaissances, quel que soit le format dans lequel elles ont été produites : « (…) le document sous toutes ses formes (livres, revues, journaux, photographies, pièces d’archives, rapports scientifiques et rapports administratifs, procès-verbaux d’assemblées, publications industrielles, etc.) (…) devient, pour la science, source d’information et transmetteur de sa pensée : il s’affirme son indispensable outil »[7]. Voici, à titre d’exemples, quelques-unes des extensions créées entre 1900 et 1910 :

    • L’Institut international de photographie (IIP), créé en 1905 avec Ernest de Potter (l’éditeur de la Revue belge de photographie), dont le but est de créer une vaste encyclopédie par l’image. Les collections de l’IIP, constituées de photographies, de cartes postales, d’affiches, de plaques de verre, de diapositives pour lanternes magiques, forment le noyau de la collection iconographique conservée au Mundaneum. Ernest de Potter met également sur pied un Répertoire iconographique universel, composé de dossiers où sont rassemblées des photographies et des illustrations sur fiches ou sur feuilles de format standard ;
    • Le Répertoire universel de documentation, initié en 1907, composé de dossiers thématiques (classés selon la CDU), biographiques et géographiques, rassemblant des brochures, des coupures de presse ou encore des extraits de publication ;
    • Le Musée international de la presse, créé en 1907 afin de collecter tous les journaux et périodiques de Belgique ainsi que, au minimum, le premier et le dernier numéro des périodiques du monde entier ;
    • L’Office central de documentation féminine, initié en 1910 par Léonie La Fontaine, la sœur d’Henri La Fontaine, pour collecter la documentation propre aux femmes et à leurs revendications.

Cette dimension « documentaire » occupe une place importante dans la conception qu’Otlet se fait de la bibliothèque. Une bibliothèque ne doit pas seulement mettre à disposition des livres, mais aussi de la documentation. Les unités documentaires créées, dédiées à un sujet ou à un support, sont conçues comme des parties du « Livre universel ». La place de plus en plus grande accordée à la documentation aboutit d’ailleurs à la transformation de l’IIB en 1938, qui devient la Fédération internationale de documentation (FID).

En 1910, à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles, Otlet et La Fontaine ajoutent une nouvelle dimension à leur travail en créant le Musée international. Celui-ci naît avec une exposition montée au Palais du Cinquantenaire, dans laquelle les associations internationales exposent leurs travaux. Elle sert de complément au Congrès des associations internationales organisé en parallèle de l’Exposition universelle par l’Union des associations internationales (UAI). Créée en 1907 par Otlet et La Fontaine pour servir de plateforme de coordination des organisations internationales non-gouvernementales, toujours dans un idéal pacifiste et internationaliste, l’UAI est en quelque sorte le pendant politique de l’IIB. Après l’Exposition universelle, il est décidé de rendre l’exposition permanente et d’en faire un Musée international destiné à illustrer les connaissances du monde. Outre des objets et des documents, ce musée se compose de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum, l’encyclopédie illustrée sur planches mobiles, à caractère pédagogique, élaborée à partir des années 1920.

Paul Otlet (au centre) et Henri La Fontaine (à droite) devant le Palais Mondial, au Parc du Cinquantenaire, années 1920 (Mundaneum, coll.).

À partir des années 1910, les instituts créés dans le sillage de l’IIB et leurs collections, auparavant installés rue Ravenstein, rejoignent le Musée international au Palais du Cinquantenaire. Dans les années 1920, ce vaste ensemble prend le nom de Palais mondial. Bien que fermé en 1934 sur décision gouvernementale, les collections y subsistent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’occupant allemand, qui a réquisitionné une partie du bâtiment, exige alors leur déménagement. Elles sont transposées au Parc Léopold, où elles resteront jusqu’au début des années 1970. Elles connaîtront ensuite d’autres déménagements à Bruxelles jusqu’au moment où elles sont accueillies à Mons en 1993.

Après la mort d’Henri La Fontaine et de Paul Otlet, le Mundaneum est géré par l’Association des amis du palais mondial et Georges Lorphèvre. Ce proche collaborateur d’Otlet depuis la fin des années 1920 assure la continuité du Mundaneum jusqu’à la dissolution de l’association et la cession des collections au Centre de lecture publique de la Communauté française de Belgique à la fin des années 1980[8].

Des outils pour les bibliothèques, réels ou visionnaires 

À sa création, l’IIB a aussi pour objectif d’unifier les pratiques bibliographiques afin de favoriser les échanges entre les bibliothèques ou les offices bibliographiques. Otlet et La Fontaine s’attellent à l’élaboration de standards pour l’établissement des fiches bibliographiques et leur classement, qui s’imposeront progressivement dans les domaines de la bibliographie et de la bibliothéconomie.

La fiche bibliographique doit respecter certaines normes. Elle a un format fixe de 12,5 cm sur 7,5 cm. Elle est perforée dans le bas de manière à pouvoir être facilement intégrée à un fichier existant. Des règles définissent les informations qui doivent y être reprises et l’emplacement précis qu’elles doivent occuper. Les fiches sont rangées dans des meubles-fichiers standardisés conçus par Otlet de telle manière qu’elles puissent être facilement complétées, corrigées, copiées ou tout simplement consultées.

Pour le classement thématique des fiches, Otlet et La Fontaine développent la Classification décimale universelle (CDU). Basée sur le système de classification décimale imaginé dans les années 1870 par le bibliothécaire américain Melwil Dewey (1851-1931), la CDU consiste à diviser les connaissances en 10 classes numérotées de 0 à 9 (par exemple, tous les ouvrages traitant d’histoire seront classés dans la classe 9). Chaque classe est à son tour divisible en 10 groupes, chaque groupe en 10 divisions et chaque division en 10 sous-divisions, de manière à pouvoir définir de manière de plus en plus précise le sujet d’un livre. L’intérêt de cette méthode réside dans le remplacement du mot-clé par un indice chiffré. Elle permet ainsi d’éviter les difficultés d’interprétation dans le choix du mot-clé et de contourner l’obstacle de la langue utilisée, le chiffre étant par définition universel.

Avec l’aide d’érudits et de savants européens, Otlet et La Fontaine entament dès 1895 le travail d’élaboration des divisions par sujets afin de rendre universelle la classification de Dewey qu’ils jugent insuffisante pour rendre compte de la diversité culturelle mondiale. Dans leur esprit, la CDU doit constituer un sommaire complet des connaissances. Sa fonction est de permettre de définir de manière exhaustive le sujet d’une publication ou d’un document. Grâce au système de symboles et signes de ponctuation qu’ils mettent au point pour associer les composants numériques, la CDU permet non seulement de définir le sujet principal d’une publication ou d’un document, mais aussi les sujets associés, des dates, des lieux, des liens, des informations sur le type de document, etc.

Schéma représentant la classification décimale universelle, planche de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum, années 1920 (Mundaneum, coll.).

Dès 1897, l’IIB publie une première édition abrégée de la CDU. La première édition complète paraît en 1905 dans le Manuel du Répertoire bibliographique universel. Depuis cette première édition complète, elle a connu de nombreuses éditions en français et dans d’autres langues. La CDU n’est pas un système figé. Au fil du temps, nombre de corrections et de développements y sont apportés pour l’adapter aux évolutions dans tous les domaines de la connaissance.

La CDU s’est imposée dans de nombreuses bibliothèques, en Belgique et à l’étranger, non seulement pour le classement des fiches qui composent leur catalogue (avant la généralisation des catalogues informatisés) mais aussi pour le classement physique des publications. Bien qu’elle soit quelque peu tombée en désuétude, du moins pour le catalogage (dans les catalogues informatiques, elle est actuellement le plus souvent remplacée par des mots-clés et des liens hypertextes), elle continue à évoluer. Depuis 1990, la CDU est gérée par un consortium basé à La Haye, l’Universal Decimal Classification Consortium (UDCC). La dernière édition, mise à jour en 2019, date de 2013.

Les méthodes développées par l’IIB sont détaillées dans un ouvrage publié pour la première fois en 1922 (soit un an après la promulgation de la loi Destrée sur les bibliothèques), par Otlet et un de ses collaborateurs de longue date, Léon Wouters, alors directeur adjoint de l’Union des villes et communes belges : le Manuel de la bibliothèque publique. Cet ouvrage est rédigé dans le cadre des cours de bibliothèque donnés à l’École centrale de service social de la Ville de Bruxelles (où Otlet dispense lui-même des leçons). Il connaîtra deux autres éditions, l’une en 1923 et l’autre en 1930. Les quatre parties qui le composent décrivent les éléments théoriques et pratiques nécessaires au fonctionnement d’une bibliothèque et à l’exercice du métier de bibliothécaire. La philosophie d’Otlet transparaît clairement dans la description de ce que doit être une bibliothèque publique : « Les bibliothèques publiques dignes de ce nom sont des collections d’ouvrages systématiquement choisis dans toutes les branches des connaissances ou dans la spécialité qui fait l’objet de l’institution, parfaitement catalogués et largement mis à la disposition des lecteurs qui peuvent y recourir comme à de vastes offices d’information et de documentation. »[9] La notion de documentation (sous quelque forme qu’elle se présente) apparaît d’emblée comme étant une partie intégrante de la bibliothèque : « Le but visé est une concentration de l’information pour réaliser ensuite plus sûrement la diffusion des informations »[10]. À ce titre, les bibliothèques publiques sont un des éléments de ce qu’Otlet appelle le « réseau universel de documentation ».

Parallèlement aux aspects concrets liés au classement et au catalogage, Otlet se montre précurseur en termes de technologie. Dès 1906, dans une brochure intitulée Les aspects du livre, il détaille les innovations techniques qui transformeront la production et l’utilisation du livre, telles que le rayon X, le phonographe, les projections lumineuses ou encore le téléphone à propos duquel il se montre déjà visionnaire : « Demain, la téléphonie n’aura plus de fil, comme déjà la télégraphie s’en est débarrassée. (…) Ce qui cause aujourd’hui le désespoir du technicien fera alors sa joie : la possibilité de recueillir les ondes à tous les points de la sphère d’action (…) tournera plus tard à l’avantage d’un mode universel de transmission des informations. Chacun portera sur soi, dans son gousset, un tout petit cornet. »[11] La même année, très intéressé par les progrès de la photographie, il met au point, avec l’inventeur Robert Goldschmidt, le microfilm pour faciliter la reproduction et la consultation des pages d’un livre[12]. Dans les années 1920 et 1930, il intègre à sa réflexion la radio et la télévision et imagine, alors que celle-ci n’est encore qu’à ses balbutiements, qu’il sera à l’avenir possible de consulter un livre à distance par le biais d’un écran. Il conçoit également, sur papier, un meuble « multimédia » intégrant tous les supports de la connaissance et les médias permettant d’y accéder : la mondothèque.

Mondothèque, planche de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum, 1941 (Mundaneum, coll.).

Otlet s’est montré visionnaire à plus d’un titre sur la place occupée par la technologie dans les sciences de l’information. Il lui consacre les dernières pages de son ouvrage le plus important, le Traité de documentation (publié en 1934), le livre qui synthétise sa pensée. Il va jusqu’à émettre l’idée d’une bibliothèque virtuelle : « Ici la Table de Travail n’est plus chargée d’aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. Là-bas au loin, dans un édifice immense, sont tous les livres et tous les renseignements, avec tout l’espace que requièrent leur enregistrement et leur manutention, avec tout l’appareil de ses catalogues, bibliographies et index (…). Le lieu d’emmagasinement et de classement devient aussi un lieu de distribution, à distance avec ou sans fil, télévision ou télétaugraphie. De là on fait apparaître sur l’écran la page à lire pour connaître la réponse aux questions posées par téléphone, avec ou sans fil. Un écran serait double, quadruple ou décuple s’il s’agissait de multiplier les textes et les documents à confronter simultanément ; il y aurait un haut-parleur si la vue devrait (sic) être aidée par une donnée ouïe, si la vision devrait être complétée par une audition. Une telle hypothèse, un Wells[13] certes l’aimerait. Utopie aujourd’hui parce qu’elle n’existe encore nulle part, mais elle pourrait bien devenir la réalité de demain pourvu que se perfectionnent encore nos méthodes et notre instrumentation. »[14]

Paul Otlet, Documentation et télécommunication, calque de l’Encyclopedia Universalis Mundaneum, années 1920 (Mundaneum, coll.).

Dans le futur imaginé par Otlet, toutes les bibliothèques sont rassemblées en une unique bibliothèque internationale[15], universelle. L’accès à son contenu multiforme, mêlant livres et documentation, est rendu possible par les moyens techniques mis à la disposition de tous et toutes. Cette bibliothèque internationale occupe une place centrale dans le projet de Cité mondiale qu’il conçoit vers 1910. Vaste projet architectural, la Cité mondiale devait rassembler, toujours dans le but de favoriser l’harmonie entre les peuples par le progrès et la connaissance, des institutions politiques, des associations internationales, des universités et des bibliothèques. Le Mundaneum y occupe une place centrale, ainsi qu’un centre mondial de la communication. Plusieurs architectes, dont Le Corbusier, ont dessiné des plans pour cette cité utopique. Plusieurs lieux sont envisagés : d’abord Genève, ensuite plusieurs endroits en Belgique et à l’étranger. Mais, jugé trop irréaliste, le projet ne rencontre pas l’adhésion souhaitée par Otlet. En vain, il adresse des requêtes aux puissants de son temps avec l’espoir, qui ne le quitte pas jusqu’à sa mort en 1944, de voir ce projet se concrétiser[16].

Des sources pour l’histoire des bibliothèques publiques 

Le Mundaneum a entretenu des liens historiques et institutionnels avec la lecture publique. Les quelque six kilomètres courants de fonds d’archives et collections qui y sont conservés renferment de nombreuses sources utiles à l’histoire des bibliothèques publiques. La bibliothèque, sous toutes ses formes, est un élément clé dans l’œuvre d’Otlet et La Fontaine. Leurs papiers personnels figurent donc, évidemment, au premier rang de ces sources. Mais le Mundaneum conserve également d’autres ressources riches de documents sur le sujet :

    • Les papiers personnels de Georges Lorphèvre (1912-1997) : Lorphèvre est connu de plusieurs générations de bibliothécaires-documentalistes à qui il a donné cours. Aux côtés d’André Colet (1896-1978), autre bibliothécaire et collaborateur d’Otlet, il est la cheville ouvrière du Mundaneum après 1944. Il occupe par ailleurs différents postes dans des groupements internationaux de bibliothécaires et de documentalistes, en particulier la Fédération internationale de documentation où il mène des travaux sur la classification décimale universelle.
    • Le Musée international de la presse : cette collection de périodiques contient de nombreux périodiques sur le sujet des bibliothèques publiques.
    • La Bibliothèque collective des sociétés savantes : ce vaste ensemble (dont une grande partie reste encore à classer) se compose notamment de la bibliothèque de l’IIB, riche en publications sur les bibliothèques et la bibliothéconomie.
    • Des publications issues de différentes bibliothèques dont, par exemple, la Bibliothèque populaire de l’Ouest (créée à Liège en 1880) et la Bibliothèque de l’Œuvre nationale de l’enfance.

L’œuvre d’Otlet et La Fontaine et l’héritage documentaire qu’ils ont légué sont une mine d’informations pour qui s’intéresse à l’histoire des sciences de l’information et à leurs implications actuelles. Leurs travaux dans le domaine de la bibliothéconomie et leurs anticipations en matière de technologies et d’alternatives au livre (ce qu’Otlet appelle les « substituts du livre ») ont contribué à forger non seulement le monde du livre et des bibliothèques mais aussi les supports numériques du savoir qui font à présent partie de notre quotidien. Ils ont suscité et suscitent encore de nombreux travaux de recherche.

Notes

[1] OTLET P., « L’état actuel des questions bibliographiques et l’organisation internationale de la documentation », Bulletin de l’Institut international de bibliographie, 1908, p. 179.
[2] Ces idées sont par ailleurs défendues au sein de l’association Biblion, créée en 1907 à l’initiative de l’IIB, pour réunir les personnes qui s’intéressent « activement au recrutement, à la conservation et à l’utilisation des documents manuscrits ou imprimés ». Voir : Liste générale des bibliothèques de Belgique, Bruxelles, Biblion, 1907 (Publication n°1).
[3] LIESEN B., « Des bibliothèques populaires aux bibliothèques publiques. L’émergence d’un service public de lecture dans une société pilarisée », SANDRAS A. (dir.), Des bibliothèques populaires à la lecture publique, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2014, p. 318-363.
[4] OTLET P., Conférence internationale de bibliographie et de documentation, Bruxelles, 1908, p. 14. (Extrait de Mouvement sociologique international, IXe année, n°4, décembre 1908).
[5] À côté de ces répertoires principaux, il existe d’autres répertoires connexes, dont, par exemple, le Répertoire des titres de périodiques ou le Répertoire administratif qui consigne sur fiches la correspondance, les informations sur la gestion du personnel, l’inventaire des collections, etc.
[6] À la fin du 19e siècle, le nombre de publications existantes est estimé à environ 10 millions. À partir du début du 20e siècle, en parallèle au développement de l’enseignement et des sciences, ce nombre s’accroît de manière exponentielle. Selon une étude réalisée par Google en 2010 (basée sur les données ISBN et d’autres sources telles que les fonds des bibliothèques et le réseau des libraires Worldcat), le nombre de livres uniques s’élève alors à 130 millions.
[7] OTLET P., Conférence internationale de bibliographie et de documentation…, p. 5.
[8] Pour plus de détails sur la vie et l’œuvre de Paul Otlet et Henri La Fontaine, ainsi que sur l’histoire de l’IIB et du Mundaneum, voir : Cent ans de l’Office international de bibliographie (1895-1995), Mons, Éditions Mundaneum, 1995 ; Le Mundaneum. Les Archives de la connaissance, Bruxelles, Édition Les Impressions Nouvelles, 2008 ; GILLEN J. (dir.), Paul Otlet, fondateur du Mundaneum (1868-1944), Bruxelles, Édition Les Impressions Nouvelles, 2010 ; GILLEN J. (dir.), Henri La Fontaine, Prix Nobel de la paix en 1913. Un Belge épris de justice, Bruxelles, Les Éditions Racine, 2012.
[9] OTLET P., WOUTERS L., Manuel de la bibliothèque publique, Bruxelles, Union des villes et communes belges, 1923 (Publication n°17), p. 41.
[10] Idem, p. 29.
[11] OTLET P., Les Aspects du livre. Conférence inaugurale de l’Exposition du livre d’art et de littérature organisée à Ostende par le Musée du Livre (14 juillet 1906), Bruxelles, Musée du livre, novembre 1906 (Publication n°8), p. 33.
[12] GOLDSCHMIDT R., OTLET P., Sur une forme nouvelle du livre. Le livre microphotographique, Bruxelles, Institut international de bibliographie, 1906 (Publication n°81).
[13] Herbert George Wells (1866-1946) est un écrivain anglais connu pour ses romans de science-fiction, tels que La Machine à explorer le temps ou La Guerre des mondes. Souvent futuristes et dystopiques, ils sont considérés comme des classiques du genre.
[14] OTLET P., Traité de documentation. Le livre sur le livre. Théorie et pratique, Bruxelles, Éditions Mundaneum, 1934, p. 428.
[15] La Bibliothèque collective des sociétés savantes, qu’Otlet initie en 1907, était destinée à constituer le noyau de cette bibliothèque internationale.
[16] La littérature sur le projet de Cité mondiale est abondante. Voir par exemple : GHILS P. (dir.), Connaissance totale et Cité mondiale. La double utopie de Paul Otlet, Louvain-la-Neuve, 2016.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

GILLEN J., « Paul Otlet et Henri La Fontaine, fondateurs du Mundaneum : des références pour les bibliothèques », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°17 : 1858-2021. Quand la bibliothèque (s)’émancipe !, décembre 2021, mis en ligne le 17 décembre 2021. www.carhop.be/revuescarhop/.

1859-2021 : 160 ans au service de la lecture. La bibliothèque populaire communale de Saint-Josse-ten-Noode

PDF

Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

Dominique Dognié est bibliothécaire depuis 1989 et bibliothécaire en chef depuis 1991. Sa passion pour l’histoire fait qu’il est curieux de tout ce qui touche au passé de la bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode et de la commune en général. À l’occasion du centenaire de la loi Destrée, la bibliothèque communale de Saint-Josse présente une petite exposition, avec des affiches, des photos ainsi que les traces éparses de son passé. Nous le rencontrons le 3 juin 2021 dans sa bibliothèque[1]. Son témoignage fait le lien entre l’ancienne bibliothèque, telle qu’elle fonctionne quasi depuis sa fondation et la « nouvelle » bibliothèque qu’il dirige, orientée vers les publics, l’ouverture, l’accessibilité de tous et toutes, l’animation à la lecture et la découverte du livre, très loin des seuls prêts et accès à la lecture qui caractérisaient l’ancienne bibliothèque. C’est un pan de cette histoire qu’il nous dévoile :

« Je suis bibliothécaire depuis 1989 et bibliothécaire en chef depuis 1991. Étant habitant de Saint-Josse depuis plus de 53 ans, je connais bien Saint-Josse, sa population et son évolution. J’ai la chance d’avoir travaillé avec des bibliothécaires qui étaient en fin de carrière, qui avaient été engagés en 1953. C’est en discutant avec eux que j’ai eu une vue sur pratiquement toute l’histoire de la bibliothèque.    

La bibliothèque de Saint-Josse a déjà comme atout d’être une bibliothèque très ancienne parce qu’elle date de 1859. La Belgique a à peine 29 ans quand cette bibliothèque est créée. On a très peu de documents. On en trouve des traces dans les Bulletins communaux. Il semblerait qu’auparavant, il y avait déjà une salle de lecture, ce n’est pas très clair, qui était tenue par des professeurs, mais la bibliothèque officielle a existé réellement à partir de 1859. À l’époque, c’était souvent des professeurs qui faisaient cela en horaire complémentaire. Charles Rogier qui a habité Saint-Josse, qui est un acteur incontournable de la Révolution, membre du Gouvernement provisoire, ministre de l’Intérieur et puis Premier ministre, est une personnalité importante qui a habité à Saint-Josse. Il a fait un don important de livres. Eugène Van Bemmel, qui était conseiller communal à l’époque, avait fait remarquer à cette occasion, que la bibliothèque de Saint-Josse était la première bibliothèque de Belgique[2] même s’il se trouve que ce n’est peut-être pas certain, mais en tout cas, 1859, c’est quand même respectable et c’est beaucoup plus ancien que d’autres. À l’époque, comme toutes les bibliothèques, elle s’appelait bibliothèque populaire et il s’agissait bien d’une bibliothèque destinée à la population de Saint-Josse et non pas d’une bibliothèque spécialisée destinée à des chercheurs, des professeurs, etc. »[3]

L’appel de Bruno Liesen à se pencher sur l’histoire des bibliothèques locales, comme autant de maillons d’une histoire politique et socio-culturelle de nos sociétés, nous incite à passer à l’acte. Pourquoi ne pas remonter aux sources de cette vénérable bibliothèque et de ses pères fondateurs[4] ? Dominique Dognié est intéressé. Il m’installe dans son bureau et m’ouvre son fonds précieux. Son collègue Filippo Virgilio, qui fournit l’iconographie de cet article, est demandeur. Enseignant dans la formation de bibliothécaire à horaire décalé, cette monographie l’intéresse. N’est-ce pas le rôle de l’historien.ne, attaché.e à un centre d’histoire sociale développant des pratiques d’éducation permanente, de permettre à ceux et à celles qui agissent aujourd’hui dans les secteurs socio-culturels, dans ce cas-ci la lecture publique, de se réapproprier leur histoire et d’en tirer non seulement quelque fierté mais aussi d’inscrire leur action d’aujourd’hui dans la continuité de celle-ci ? Il y a là un cercle vertueux. Les bibliothécaires contemporains nous parlent de leurs missions d’aujourd’hui, l’historien.ne fait émerger quelques fragments du passé de la bibliothèque. L’article se divise en deux parties, la première évoque l’histoire de la fondation de la bibliothèque, la seconde est consacrée au témoignage de Dominique Dognié, comme acteur bibliothécaire depuis plus de 30 ans. L’une et l’autre s’articulent pour situer la bibliothèque populaire de Saint-Josse, dans le temps, à savoir 150 années de présence locale au service de l’accès aux livres et à la lecture.

Partie I : Fragments d’histoire (1858-1958)

Le premier bulletin communal de Saint-Josse-ten-Noode, 1er janvier 1858 (KBR).

Pour retracer l’histoire de la bibliothèque communale, les bulletins communaux de Saint-Josse-ten-Noode (BC), publiés à partir de 1858, sont une source précieuse. Ils rapportent les débats, les budgets alloués, les nominations et démissions des bibliothécaires et des bibliothécaires-adjoints. Nous avons procédé par sondage autour de périodes-clés : la fondation, le cinquantième anniversaire, la Guerre 1914-1918 et l’après-guerre avec le contexte de la loi Destrée, la Deuxième Guerre mondiale et l’anniversaire du centenaire de la bibliothèque. D’autres sources peuvent être exploitées : les catalogues, les archives communales, la presse locale, etc. Pour la période plus récente, les archives sauvées et conservées à la bibliothèque communale donnent des informations sur l’entre-deux-guerres et sur les années 1950. Faute de temps et d’inventaire, nous avons consulté les documents sélectionnés et présentés dans le grand hall de la bibliothèque, dans le cadre du centenaire de la Loi Destrée. Il s’agit donc de quelques « fragments » d’une histoire qui se révèle riche, complexe et qui offre de nouvelles perspectives de recherche.

1858-1859 : la bibliothèque populaire, une œuvre auxiliaire de l’école

La décision d’ouvrir une bibliothèque populaire est proposée au Conseil communal de Saint-Josse-ten-Noode le 17 septembre 1858. L’intérêt des édiles communaux n’est pas nouveau. En 1858, le pouvoir communal accorde au Conseil de salubrité publique, un budget conséquent de 500 francs pour lancer les bases d’une bibliothèque spécialisée dans les matières d’hygiène publique. À l’occasion de la réorganisation des écoles primaires[5] et de l’ouverture d’une nouvelle école primaire gratuite, rue du Chalet, la commission de l’instruction publique[6] propose que l’effort d’instruction populaire de la commune se complète d’une classe du soir pour adultes et d’une bibliothèque communale[7] :

« La bibliothèque communale, bien qu’elle sorte de la sphère de l’école et qu’elle puisse en être entièrement indépendante, serait cependant, dans notre pensée, le complément de l’instruction populaire. Elle aurait son local rue du Chalet et serait placée sous la direction de l’instituteur en chef. Elle serait à l’usage des instituteurs, des anciens élèves de nos écoles et des habitants de la commune. Une allocation de 300 francs est proposée pour acquérir des ouvrages en français et en néerlandais. Un subside annuel de 100 francs et les dons des habitants de la commune nous permettraient d’entretenir et de développer cette utile institution. »[8]

Le projet est toutefois suspendu en attendant de voir si la commune a les ressources pour faire face à ces nouvelles dépenses.[9] Le budget de 1859 prévoit 400 francs pour la mise en route de la bibliothèque tandis que les années suivantes, le subside de fonctionnement de 100 francs apparait dans les comptes.[10]

La proposition émane de la commission de l’Instruction publique. Les conseillers communaux Guillaume Tiberghien[11] et Eugène Van Bemmel[12] en sont membres. Professeurs à l’Université libre de Bruxelles, élus conseillers communaux de Saint-Josse, ils y défendent leur projet d’une instruction publique obligatoire et gratuite et soutiennent concrètement toutes les initiatives d’éducation populaire qui sont mises à l’ordre du jour du Conseil : cours pour adultes, école de dessin, académie de musique, cours de chants, soirées populaires initiées par la Baronne Van Crombrugghe[13] en 1864 avec la Ligue de l’enseignement et plus tard, l’Extension universitaire de l’ULB (1896) et l’Université populaire de Saint-Josse (1902)[14], etc. Une bibliothèque est un outil au service de l’éducation du peuple. Tant qu’il sera bourgmestre, Jacques Gillon[15] soutiendra cette initiative qui précède de plusieurs années la circulaire Vandenpeereboom (1862) qui encourage les communes à ouvrir des bibliothèques populaires.[16]

La bibliothèque est installée dans une salle de la nouvelle école de la rue du Chalet – qui deviendra ensuite l’école n°7, et aujourd’hui, l’école fondamentale communale Joseph Delclef –. Monsieur Jacobs, instituteur en chef est nommé bibliothécaire, une fonction qu’il exerce à titre gratuit.[17] Sa première mission est de proposer une liste d’ouvrages indispensables à acquérir et de rédiger le premier règlement présenté et adopté par le Collège, le 17 septembre 1858.

Le règlement concerne tant les méthodes de travail des bibliothécaires que les principes qui doivent guider l’usage des ouvrages par les lecteurs et lectrices. La première mission de la bibliothèque est le prêt de livres, ce qui suppose une traçabilité. Les ouvrages sont pourvus du cachet de la commune, ils sont inscrits dans un catalogue avec un numéro d’ordre, le nom de l’auteur, le titre de l’ouvrage, le format, l’édition, le nom du donataire et une colonne pour les observations. Chaque mouvement, les entrées comme les sorties, est consigné dans un registre qui reprend le numéro de catalogue, le titre de l’ouvrage prêté, le nom et l’adresse de l’emprunteur, la date de sortie de l’ouvrage, la date de rentrée et une colonne d’observations pour l’emprunteur et pour le bibliothécaire. Les ouvrages se prêtent pour 15 jours, prêt renouvelable une fois. L’article 9 précise que « quiconque rapportera un ouvrage taché ou déchiré sera tenu d’en remettre un nouvel exemplaire dans les 15 jours ».[18] Ces emprunteurs indélicats peuvent être exclus du prêt. Le Collège est informé de ceux et celles qui ne rentrent pas les ouvrages et peut sanctionner. Enfin au 1er septembre, le bibliothécaire est tenu de faire au Collège un rapport sur l’état de la bibliothèque, sur les ouvrages acquis ou reçus dans l’année. Désormais, la bibliothèque est en ordre de marche.

Le règlement ex libris dans les livres, [vers 1920] (Bibliothèque de Saint-Josse-ten-Noode, fonds précieux).

La bibliothèque ouvre ses portes

La bibliothèque ouvre ses portes le 1er mars 1859 et met à la disposition du public quelques 103 titres. Dominique Dognié évoque ce qu’était à l’époque le métier de bibliothécaire et cette pratique est restée longtemps de mise. Il souligne l’importance d’avoir un catalogue à jour !

« À l’époque, où il n’y avait pas encore l’accès direct aux livres. Il fallait chercher dans les fichiers et les répertoires et puis demander au bibliothécaire qui allait chercher les livres. Il se perchait sur des échelles. J’ai encore connu des personnes qui m’ont parlé de cette époque ».[19]

Le public qui la fréquente régulièrement est assez limité : « Jusqu’ici, les livres se prêtaient à domicile pour une période de 15 jours aux instituteurs, soit aux élèves sortis de nos écoles, soit aux habitants de la commune ».[20] Pour une population de Saint-Josse de 18 800 habitant.e.s, la commune a deux écoles primaires gratuites, la première située rue Nevraumont et la seconde, la nouvelle école communale primaire, rue du Chalet. Elles sont fréquentées en 1860 par 765 élèves, 408 garçons et 357 filles. Parmi ces enfants, près de 200 (115 garçons et 84 filles) appartiennent aux familles secourues par le bureau de bienfaisance, qui conditionne son aide aux familles à la fréquentation des enfants de l’école primaire. L’école d’adultes compte 230 élèves inscrits. Toujours en 1860, la commune élargit son offre avec l’ouverture d’une école payante de demoiselles et un jardin d’enfants pour les deux sexes, pour répondre aux demandes des employé.e.s, des bourgeois.e.s, des rentières et rentiers habitant la commune et qui peuvent prendre en charge les frais d’instructions de leurs enfants. Le budget des écoles primaires s’élève à 15 200 francs, celui de l’école d’adultes à 1 000 francs.[21] En 1862, le bourgmestre constate que la bibliothèque est fréquentée par les anciennes et anciens élèves des écoles primaires gratuites communales et celles et ceux qui suivent l’école d’adultes ; « ils sont heureux de trouver les moyens de poursuivre chez eux les études commencées à l’école, de fortifier les connaissances qu’ils ont acquises et d’en étendre le cercle ; la bibliothèque leur procure une distraction à la fois utile et agréable qui les éloigne des récréations abrutissantes et corruptrices ».[22] Pour attirer de nouveaux publics, d’autres moyens sont nécessaires : élargir l’offre de livres, avoir une salle de lecture éclairée et chauffée… Les idées ne manquent pas.

Un souci permanent : augmenter l’offre de livres

Le nombre de titres proposés au prêt augmente régulièrement : 130 en 1861, 335 en 186 et 600 en 1863. À chaque Conseil communal, le bourgmestre rend compte des donations et propose d’envoyer une lettre de remerciement. En août 1861, le bourgmestre adresse une requête au ministre de l’Intérieur, Charles Rogier, dans laquelle il demande de bénéficier des ouvrages conservés dans les réserves de son ministère.[23] Ce dernier salue l’initiative : « une institution de ce genre ne peut manquer de produire les meilleurs résultats aussi, je félicite le Conseil de la décision qu’il a prix (sic) et je me fais un plaisir de contribuer au succès et au développement de la Bibliothèque dont il s’agit en mettant à votre disposition un certain nombre de documents et d’ouvrages… ».[24] Désormais, chaque mois, le ministère fait parvenir des revues, des ouvrages d’intérêt général et technique. En 1862, la donation du Gouvernement s’élève à 92 titres dont plusieurs périodiques.

Parmi les donateurs privés, il y a lieu de mentionner le bourgmestre, Jacques Gillon et les conseillers communaux, Guillaume Tiberghien et Eugène Van Bemmel. Le premier fait un don de plus de 80 ouvrages en 1862 et le second, une donation de 62 titres en 1863. Des habitant.e.s, des anciens élus communaux, des littérateurs ou publicistes déposent leurs œuvres ou les collections qu’ils possèdent. Parmi les donateurs, Joseph Dauby[25] mérite une mention particulière. Cet ouvrier typographe, chef d’atelier à l’imprimerie Lesigne à Saint-Josse[26], propose, en juillet 1859, de donner gratuitement à l’école du soir d’adultes, un cours sur la condition économique des classes ouvrières, ce que le Conseil accepte avec empressement. En mars 1860, il dépose un exemplaire de son cours Économie populaire, qu’il a édité sous forme de syllabus. En 1863, il fait don d’un exemplaire de son ouvrage De l’organisation des sociétés de secours en Belgique, ainsi que de ses autres publications.[27] Par la suite, il fait partie des donateurs réguliers. Pendant tout le 19e siècle, les donations sont une source régulière d’approvisionnement de la bibliothèque, avec comme conséquence, un certain éclectisme dans les collections (voir le point sur le catalogue).

Une nouvelle expansion

Après quatre années de fonctionnement, lors du Conseil communal du 12 septembre 1862, Guillaume Tiberghien présente au nom de la commission de l’Instruction publique, un projet d’ouverture d’une salle de lecture.[28] L’avis de la section est positif. Le succès rencontré par la salle de lecture de la bibliothèque populaire communale à Liège[29] sert de référence :

« La classe ouvrière de notre commune n’est pas moins instruite ni moins prévoyante que celle des grandes cités du pays, comme le prouvent la fréquentation de notre école d’adultes et les nombreuses sociétés de musique et d’assistance que nous avons prises sous notre patronage. Il y a donc lieu d’espérer qu’elle participera plus largement aux bienfaits de la bibliothèque communale si l’on donne à cette institution une publicité plus étendue et si l’on offre aux habitants peu aisés de la commune un local où ils puissent consulter les livres en rapport avec leurs goûts ou leurs professions. Une salle de lecture éclairée et chauffée dans les soirées d’hiver vaut mieux pour l’étude que la chambre commune où sont entassés tous les membres de la plupart des familles peu favorisées de la fortune. Les ouvriers qui vont chercher des distractions au dehors trouveront un emploi plus utile de leurs loisirs dans la salle de la bibliothèque et n’y seront pas exposés à perdre à la fois leurs économies et leur santé ».[30]

Le Conseil doit également se prononcer sur un crédit extraordinaire de 300 francs pour les aménagements nécessaires et pour l’impression d’un catalogue. Il propose de revoir le statut du bibliothécaire, de sortir du bénévolat et de la gratuité et de fixer une indemnité de fonction. Le budget de la bibliothèque passe de 100 à 500 francs par an : 150 francs pour le bibliothécaire, 100 francs pour le bibliothécaire-adjoint, 50 francs pour le concierge et 200 francs pour l’achat de livres et cartes. Ces propositions ne soulèvent que peu de commentaires, si ce n’est la question budgétaire. Van Bemmel insiste : si la commune a été la première à instituer une bibliothèque populaire communale, la plupart des communes de Belgique s’engagent dans cette voie et affectent un budget de 500 francs à leur bibliothèque « c’est-à-dire exactement ce que l’on nous demande aujourd’hui ».[31] La proposition mise aux votes est acceptée dans son principe tandis que le volet financier est reporté à l’examen du budget.

Le catalogue, un outil de promotion de la bibliothèque

Le premier catalogue sort en 1863, après validation par la commission de l’Instruction publique. C’est un petit fascicule de 52 pages publié par l’imprimeur Lesigne, situé au numéro 2 de la rue de la Charité à Saint-Josse.[32] Il reprend les quelque 592 titres, regroupés en 10 thématiques : Philosophie & éducation morale, Hygiène, Législation-économie politique-bienfaisance-statistique, Linguistique et histoire littéraire, Lettres et beaux-arts, Histoire et géographie, Sciences physiques et mathématiques, Sciences naturelles, Sciences agricole-industrielle-commerciale, Agriculture-horticulture et économie ménagère, Industrie et commerce, Mélanges-critiques-journaux. Les ouvrages francophones sont majoritaires. Certains conseillers, comme l’avocat Lucien Jottrand[33], sont très attentifs à l’acquisition d’ouvrages d’auteurs flamands, langue parlée par la grande majorité de la classe ouvrière : 25 % des titres sont en néerlandais, particulièrement dans les sections des œuvres littéraires, les ouvrages sur la linguistique et les ouvrages techniques. La bibliothèque est abonnée au Journal de l’ouvrier et à Het zondagsblad, ainsi qu’à une revue, De toekomst. Maandschrift voor onderwijzers, sans doute un dépôt du bibliothécaire, qui est néerlandophone.[34] Il est également un donateur régulier.

Page de couverture du Catalogue de la bibliothèque populaire communale de Saint-Josse-ten-Noode, 1863 ( Louvain KULeuven Bibliotheken Artes).
Page de couverture du Catalogue de la bibliothèque populaire communale de Saint-Josse-ten-Noode, 1863 (Louvain KULeuven Bibliotheken Artes).

 

Catalogue de la bibliothèque populaire communale de Saint-Josse-ten-Noode, 1863, p. 5  (Louvain KULeuven Bibliotheken Artes).

Quelle offre de lecture est proposée aux lecteurs et lectrices ?

commune de Saint-Josse-ten-Noode, Catalogue de la bibliothèque populaire communale, Saint-Josse-ten-Noode, 1863, 52 p.

Les trois sections qui, ensemble, constituent la plus grande partie des écrits conservés par la bibliothèque sont les Lettres et Beaux-Arts (25,17%), Histoire et géographie (17,90%) et Sciences agricoles, industrielles et commerciales (14,02%). Les sections Philosophie et morale, Législation-économie politique-bienfaisance-statistique, Linguistique-histoire littéraire et Mélanges-critiques-journaux représentent chacune entre 5% et 10%. Les sections hygiène, sciences physiques et mathématique et sciences naturelles occupent les 9% restants.

L’approche par grandes disciplines, montre que les sciences humaines sont, ensemble, prédominantes. Elles représentent 51% du total (philosophie et morale, lettres et Beaux-Arts, linguistique et histoire littéraire, mélanges-critiques-journaux), et cela sans même intégrer l’histoire et la géographie (18%). Les sciences techniques et naturelles, quant à elles, sont minoritaires, soit à peine 21% des publications.

Un quart des 592 publications sont des écrits en langue flamande (149). 58% des 149 publications en flamand concernent les sciences humaines, avec, encore une fois, une part importante d’ouvrages dans la catégorie Lettres et Beaux-arts (30%). Les publications classées en Linguistique et histoire littéraire sont également nombreuses (19%) et représentent même plus de la moitié des 50 publications françaises et flamandes qui composent la section. L’histoire et la géographie constituent 14% des publications ; les sections relatives aux sciences techniques et naturelles concernent un quart des publications flamandes.

En prenant un peu de hauteur, deux éléments émergent de cette analyse statistique :

– Les publics de la bibliothèque populaire de Saint-Josse ont principalement accès à des publications relatives aux sciences humaines, parmi lesquelles les lettres et les beaux-arts occupent une part substantielle (25%). La bibliothèque participe donc à une conception d’éducation populaire à portée généraliste, qui participe à la démocratisation de la culture. La priorité ne semble pas être l’acquisition de connaissances techniques utiles uniquement à l’économie, au travail.

– Les publications rédigées en flamand sont minoritaires et axées principalement sur la littérature ou l’histoire. Il y a là une attention envers les classes populaires qui, en 1860, à Saint-Josse, parlent essentiellement le flamand, alors que la fréquentation « naturelle » de la bibliothèque, serait plutôt la bourgeoisie, les fonctionnaires, les employé.e.s, ceux et celles qui ont du temps et les moyens de se former et de s’informer. La bibliothèque s’enrichit aussi essentiellement par des donations, les titres déposés sont aussi le reflet des préférences culturelles des donateurs et donatrices.

Le règlement de la bibliothèque, révisé, est publié dans les premières pages du catalogue. La salle de lecture est accessible le dimanche matin de 9 à 12 heures et le lundi de 18 à 21 heures. Il est interdit de fumer, de causer ou de faire du bruit dans la salle de lecture. Il est interdit de calquer les gravures et les cartes, d’apposer sur les livres des marques, notes, réflexions ou de plier les pages.[35] Pour le reste, le règlement reprend les mesures adoptées précédemment.

Ce catalogue est un véritable outil de promotion de la bibliothèque. Il est distribué aux élèves qui sortent des écoles communales, aux adultes qui suivent les cours du soir, aux notables et aux chefs d’entreprise, à charge de ces derniers de les distribuer à leurs employé.e.s, fonctionnaires, ouvriers et ouvrières pour les inviter à fréquenter la bibliothèque. Une circulaire accompagne cette distribution :

« En vous envoyant un exemplaire de ce catalogue, nous éprouvons la satisfaction de pouvoir annoncer que la salle de lecture a été ouverte, sous les auspices les plus favorables, au local de l’école communale, rue du Chalet, n°1 et nous saisissons cette occasion pour venir vous exprimer l’espoir de vous voir coopérer à notre œuvre moralisatrice par des dons en livres ou en argent. Nous vous engageons tout particulièrement, M.[onsieur], de recommander la fréquentation de la bibliothèque, en vue de propager une institution digne de la bienveillante sympathie de tous les hommes qui s’intéressent au développement de l’instruction et qui désirent en étendre les bienfaits à toutes les classes de la société… »[36]

L’opération est un succès. Les donations affluent, ce qui double le nombre de volumes en prêt (828 ouvrages en tous genres). L’ouverture de la salle de lecture, le 13 avril 1863, a également un effet positif sur la fréquentation de la bibliothèque. 1 512 volumes sont prêtés pour la lecture à domicile en l’espace de quatre mois : « Ce chiffre à une époque de l’année où le travail laisse peu de loisirs, en dit plus que les phrases les plus belles, que les considérations les plus brillantes et répond victorieusement à ceux, en petit nombre, il est vrai, qui contestent encore l’utilité de cette institution populaire ».[37] Ce succès pose néanmoins quelques problèmes. Le 29 juin 1863, le bibliothécaire demande au Collège un budget de 50 francs pour protéger les ouvrages : « Depuis l’ouverture de la salle de lecture, la bibliothèque populaire est fréquentée beaucoup plus qu’auparavant : il y a continuellement cent à cent cinquante volumes entre les mains, pour la lecture à domicile. Vous comprendrez que les livres brochés ne peuvent résister longtemps à une circulation non interrompue ».[38] Le Collège lui alloue le montant demandé.[39]

Dans le rapport annuel sur la situation administrative de la commune, la bibliothèque est une petite rubrique dans le chapitre de l’Instruction publique. Il est fait mention du nombre de livres disponibles, de la fréquentation et de l’importance de tenir à jour le catalogue. En 1864-1865, le bibliothécaire signale 4 216 prêts. Le catalogue est réimprimé. En 1867-1868, les prêts s’élèvent à 5 786 titres. Pour une fois, l’information s’accompagne d’un commentaire.

« Ce chiffre est éloquent ; il fournit la preuve de l’immense utilité de l’institution des bibliothèques populaires. Cependant nous ne pouvons nous empêcher d’ajouter que, là où l’ouvrier prend goût à la lecture, la bibliothèque contribue puissamment à apporter le bonheur et le bien-être au sein des familles. Il est à notre connaissance que des pères de famille qui avaient l’habitude de dépenser au cabaret leur argent et leur santé, sont parvenus à vaincre leur ruineux penchant, grâce aux distractions moralisatrices que leur offre la bibliothèque populaire ; aujourd’hui, ils trouvent leur grand plaisir à passer les longues soirées en faisant des lectures en commun au milieu de la famille. Quoique ce ne soit là que des faits isolés, ils nous permettent d’espérer que d’autres profiteront de l’exemple et qu’ils parviendront à se généraliser peu à peu. La commune pourra se glorifier d’un pareil succès »[40].

La bibliothèque n’est plus seulement un complément utile à l’instruction mais également une œuvre morale !

En 1868, les travaux d’agrandissement de l’école communale de la rue du Chalet, entraînent la fermeture de la bibliothèque du 1er août 1868 au 24 octobre 1869. Le Collège, pour relancer l’activité, décide de réimprimer son catalogue : « les nombreux lecteurs qui la fréquentaient autrefois sont revenus au bout de fort peu de temps (…). Le goût de la lecture se répand de plus en plus et la bibliothèque est de mieux en mieux fréquentée. Aussi, l’administration communale pour faciliter au public le choix des ouvrages, a décidé de faire réimprimer le catalogue et de le distribuer aux lecteurs »[41]. Située à l’entresol de l’école, la bibliothèque dispose désormais d’une salle spacieuse ce qui est un plus.[42]

En 1876, la construction d’une nouvelle école, rue Saint-François s’achève. Le Conseil adopte un budget pour l’équipement des salles de classes, mais également pour le mobilier pour la bibliothèque populaire communale, en vue de son installation dans ces nouveaux locaux avec la salle de lecture attenante.[43]

1908 La bibliothèque a 50 ans

Inaugurée quasi en même temps que l’école de la rue du Chalet, la bibliothèque ne bénéficie pas des festivités organisées pour le cinquantième anniversaire de l’école primaire communale. Il est vrai que l’enjeu est autre : affirmer, politiquement, l’urgence d’adopter la loi sur l’instruction primaire obligatoire et gratuite pour tous les enfants. Au Conseil communal du 24 juin 1908, le conseiller Goens rappelle cet anniversaire et propose à cette occasion de publier un nouveau catalogue, la dernière édition remontant à 1894 :

« Messieurs, le 7 septembre, il y aura 50 ans que le Conseil communal de Saint-Josse-ten-Noode décréta la création d’une bibliothèque dans la commune (…). Depuis lors cette œuvre n’a fait que prospérer tant au point de vue du nombre des lecteurs qu’au point de vue du nombre de livres acquis par la bibliothèque. Cette longue période mérite, messieurs, d’être commémorée d’une façon quelconque…. Je proposerai de renouveler le catalogue de la bibliothèque. Le catalogue existant ne correspond plus à l’état de la bibliothèque. En effet de nombreux livres n’y figurent pas comme il en est aussi un certain nombre de disparus parmi ceux qui y sont renseignés[44] ».

Sa proposition est acceptée, mais désormais chaque année un supplément annuel sera édité « de façon à le tenir à jour facilement et sans grand frais ». Le budget de 1900 prévoit 300 francs de crédit extraordinaire et 25 francs au budget ordinaire pour l’édition de supplément annuel.[45] Le budget de la bibliothèque s’élève désormais à 2 000 francs et 25 francs pour le complément au catalogue.

En sa séance du 19 juin 1912, le Conseil communal installe une commission de réorganisation de la bibliothèque populaire communale. Sa mission est de revoir le classement des ouvrages, établir un nouveau catalogue et simplifier si possible le système « dans l’intérêt des lecteurs, la simplification des recherches et des progrès des idées modernes en matière de bibliothéconomie[46] ».  En sont membres, les conseillers communaux Goens et Vander Brugghen, bibliothécaire en chef, Stroeykens, Charles Pergameni, archiviste à la Ville de Bruxelles [47], Monsieur Chalet, directeur de l’école moyenne de Saint-Josse-ten-Noode, Monsieur Broodcoorens, attaché à l’administration communale et les demoiselles Closset, femme de lettres[48], et Rémy, régente à l’école moyenne de Saint-Josse-ten Noode. La commission est présidée par l’échevin de l’Instruction publique, Monsieur Poplimont. Le 9 octobre 1913, après plus d’un an de réunion et de travail, la commission rend compte de ses travaux. Sa mission s’achève avec la présentation d’un rapport circonstancié sur une nouvelle proposition de classement de la bibliothèque, la création de nouvelles fiches et un plan de classement synthétique des matières par ordre alphabétique.[49]

Ce travail met en évidence l’intérêt de recourir dans ce domaine à des personnes éclairées. Le président propose de mettre en place une commission consultative permanente de la bibliothèque populaire et soumet à l’approbation du Conseil un règlement organique et un budget de 200 francs pour son fonctionnement : «  Il est composé de 5 membres au moins, nommés par le Conseil communal parmi les personnes qui s’occupent spécialement des bibliographies de littérature, de sciences, d’histoire, de géographie ou de sociologie, et sont en mesure de fournir d’après leurs études personnelles, des indications utiles au sujet d’ouvrages qu’il convient d’acquérir pour enrichir la bibliothèque communale.[50]»

Le mandat est de trois ans, renouvelable par moitié. La Première Guerre mondiale perturbe quelque peu cet ordonnancement. Aussi, en 1923, sont maintenus dans leur mandat, E. Stroeykens (bibliothécaire et secrétaire de la commission), Charles Pergameni (archiviste de la Ville de Bruxelles), Monsieur Chalet (directeur) et Mademoiselle Rémy (régente). Les nouveaux membres sont Mesdemoiselles Lambrichs et Levie (conseillères nouvellement élues) ainsi que Messieurs Gaspar et De Vuyst.[51] Certains sont encore membres en 1947, mais beaucoup sont démissionnaires ou décédés.[52] La commission est mixte, hommes et femmes, mais aussi composée d’expert.e.s et d’élu.e.s (après 1921). Qui sont-ils ? Chacun.e mériterait une recherche spécifique.

La bibliothèque pendant l’occupation

La Première Guerre mondiale ne semble pas avoir freiné la fréquentation de la bibliothèque à en croire le rapport du bourgmestre au Conseil du 12 novembre 1919.

« Pendant l’occupation, le nombre de lecteurs à la bibliothèque populaire, rue Saint-François, (nouvelle école des Tournesols) n’a cessé de progresser. Le tableau des lecteurs en témoigne

1914 -1915 : 916 lecteurs
1915-1916 : 1 172
1916-1917 : 1 348
1917-1918 : 1 376
1919 : 923

La moyenne par an est de 1 147 lecteurs alors qu’elle n’est que de 350 en temps normal. Les prêts ont augmenté dans les mêmes proportions. En conséquence, un grand nombre de volumes sont hors d’usage. La Commission de la bibliothèque, dans sa séance du 2 octobre 1919, approuve la liste des livres à renouveler ».[53] Elle demande l’adoption d’un crédit extraordinaire de 6 000 francs, à imputer, sur proposition du bourgmestre, sur l’article 54 du budget extraordinaire de 1919 (crédit de guerre).

Le contexte social et politique invite à redéfinir les priorités communales en matière de politique socio-culturelle. Georges Pètre[54], échevin de l’Instruction publique qui a la tutelle sur la bibliothèque, propose en séance du 3 septembre 1920, un vaste programme pour l’occupation des loisirs de la classe laborieuse.

« Le Collège » dit-il, « s’est déjà préoccupé de la nécessité de créer des services nouveaux pour faire face à un besoin nouveau, né des modifications dans l’organisation du travail. La réduction de la journée de travail laisse à l’ouvrier des loisirs. Il faut l’aider à les employer utilement. (…) Nous avons une bibliothèque populaire très fournie et bien composée, mais elle ne s’occupe que du prêt des livres au dehors et il y a des personnes qui ne trouvent pas chez elles les conditions nécessaires pour faire, à l’aise, de bonnes lectures. Nous pourrions organiser à leur intention, une salle de lecture dans le local contigu à la bibliothèque populaire, rue Saint-François. Ce local est suffisant pour recevoir trente lecteurs. (…) Dans ma pensée la salle de lecture devrait être ouverte tous les jours de 17 à 21 ou 22 heures. On y trouverait outre les livres de la bibliothèque, les revues, périodiques et illustrés les plus intéressants pour la classe ouvrière. Un fonctionnaire spécial serait chargé du service. Il devrait être choisi de manière qu’il puisse guider dans le choix de leurs lectures, ceux qui voudraient avoir recours à lui. Si nous trouvons un homme comprenant bien sa mission et faisant de ses fonctions un apostolat, la salle de lecture populaire peut jouer un rôle social considérable en contribuant au développement intellectuel de la classe laborieuse, et je vise ici les travailleurs intellectuels au même titre que les ouvriers ».[55]

Suivent les considérations financières induites par ce projet, le chauffage, l’éclairage, les abonnements et le traitement du fonctionnaire. Il ne s’agit plus d’un emploi accessoire confié à un instituteur mais d’un emploi principal[56], qui occuperait le temps de travail de celui qui en aurait la charge.

En 1921, le Conseil fixe le traitement du bibliothécaire en charge de la tenue de la salle de lecture pour adultes[57] et décide, vu aussi « le projet d’extension des activités liées à l’occupation des loisirs de la classe ouvrière »[58], la réimpression du catalogue, la dernière édition, datant de 1913 étant obsolète. Les modalités de sélection du futur bibliothécaire changent. La mission est confiée à un jury qui fait les propositions.[59] C’est un premier signe de l’influence de la Loi Destrée : la procédure de sélection du bibliothécaire. Le 4 octobre 1922, la perle rare est trouvée en la personne de Robert Boxus. Il est nommé à titre d’essai, pour un an, bibliothécaire de la salle de lecture, rue Saint-François et à titre définitif, le 6 février 1924. La bibliothèque est reconnue et subventionnée en 1922-1923.[60]

Le catalogue, s.d. (Bibliothèque de Saint-Josse-ten-Noode, fonds précieux).

Cette reconnaissance permet de revoir l’indemnisation des bibliothécaires. C’est une première étape vers la reconnaissance d’un statut, même si les réticences restent fortes. En 1921, les bibliothécaires-adjoints revendiquent une augmentation de leur indemnité, en fonction de celle admise pour les instituteurs. Dans un premier temps, le Collège refuse d’assimiler la fonction de bibliothécaire à celle d’enseignant : « leur service est purement mécanique et n’exige pas les connaissances requises d’un instituteur ».[61] La demande est examinée au Conseil communal du 5 avril 1922 qui adopte la proposition de la conseillère communale MademoiselleLambrichs, d’accorder 200 francs l’heure semaine. Elle est soutenue dans sa motion par Leenders : « Même s’il n’y a pas de préparation, il faut convenir que le bibliothécaire-adjoint doit se tenir au courant à moins que vous ne le considériez que comme une machine et alors, autant prendre un commissionnaire à la gare du Nord ! ».[62] Le budget sera adapté et le bourgmestre en clôturant la question, précise : « ce vote nous montre l’heureuse influence des conseillères (nouveaux rires) ».[63]

En mai 1923, le départ à la retraite de Monsieur Ed. Stroeykens, bibliothécaire en chef depuis 22 ans, est l’occasion de revoir son organisation. La commission consultative, relayée par le Collège, propose de mettre la bibliothèque et la salle de lecture pour adultes sous la même direction et d’ouvrir le jeudi après-midi, une troisième plage réservée aux enfants et aux membres du personnel enseignant. La salle de lecture serait également ouverte à partir de 3 heures.[64] Le service « enfant » placé finalement le samedi après-midi, rencontre un succès immédiat. Cette décision s’inscrit dans la foulée de la mise en œuvre de la loi du 21 mai 1914, instituant l’obligation scolaire pour les enfants jusqu’à 14 ans.

« Le service de prêts de livres aux enfants institué à la bibliothèque populaire en vertu de la décision du Conseil communal du 3 octobre 1923, fonctionne depuis le mois de novembre 1923. La moyenne des prêts est de 107 livres à raison de deux livres par enfant. Le service est assuré par le bibliothécaire en chef, deux adjoints et le bibliothécaire de la salle de lecture qui, étant donnée l’affluence des jeunes lecteurs, se consacre à cette mission en dehors de ses heures de prestation soit de 16h30 à 17 heures ».[65]

Vu le succès et le nombre important d’enfants qu’il n’est pas possible de servir, il est demandé d’ouvrir une deuxième séance pour enfants le vendredi, et de prévoir des jetons de présence en conséquence soit un budget de 2 000 francs[66], ce qui est accepté.

la jaquette de protection des ouvrages, [années 1930] (Bibliothèque de Saint-Josse-ten-Noode, fonds précieux).

La professionnalisation du métier !

Après la Seconde Guerre mondiale, il n’y a plus guère de discussion sur les fondements mêmes de la bibliothèque populaire communale. Les points discutés en Conseil sont uniquement ceux qui ont un impact budgétaire. Quand l’arrêté-loi du 10 janvier 1947 révise le statut pécunier du personnel communal, par ricochet, le barème et le statut du personnel de la bibliothèque sont adaptés aux nouvelles normes.

Rapport d’activités, 1950 (Bibliothèque de Saint-Josse-ten-Noode, fonds précieux).

En 1956, le Collège revient à nouveau devant le Conseil. La rémunération des instituteurs ayant été augmentée, les bibliothécaires, dont le barème n’a plus changé depuis le 1er janvier 1946, doivent pouvoir bénéficier d’une valorisation proportionnelle, puisque leur base salariale de référence est le traitement communal de l’instituteur.[67] Ils sont désormais quatre à assurer le service de la bibliothèque populaire communale : A. Lamine, bibliothécaire en chef et trois adjoints, J. Declève, J. Smeekens et Guillaume Cludts.[68]

La vieille bibliothèque de la rue Saint-François ne répondant plus aux nouveaux critères de reconnaissance (ouverture aux publics, accès direct aux ouvrages) doit fermer ses portes. La bibliothèque déménage dans un pavillon situé au numéro 29 de la rue Scailquin. Désormais, elle ouvre cinq plages au public, soit 10 heures.[69] Dominique Dognié a encore eu la possibilité de visiter les anciens locaux et témoigne :

« La bibliothèque de la rue Saint-François était vraiment une bibliothèque à la DICKENS avec des galeries, des hauts rayonnages où il fallait vraiment se percher sur des échelles pour aller chercher les livres. Les lecteurs n’avaient pas accès aux livres et devaient passer par une commande ou une réservation du livre. Il ne reste que des rayonnages. J’en ai fait des photos lors de la restauration de la salle. »[70]

Vue des étagères de la bibliothèque de la rue Saint-François, (clichés de Dominique Dognié, 1990.)
Vue des étagères de la bibliothèque de la rue Saint-François, (clichés de Dominique Dognié, 1990.)

Les bibliothécaires, dont la plupart sont entré.e.s en fonction fin des années 1950-début 1960, sont Guillaume Cludts, bibliothécaire en chef et professeur de dessin et ses adjoints, Joseph Pycke (agent communal), Jean-Claude Degransart (sans indication de fonction), Francine Rémy (bibliothécaire), Georges Stiers (bibliothécaire), Marcel Violon (instituteur), Daniel Coteur (rédacteur communal). Ils se partagent les tâches de prêt, de surveillance de la salle de lecture et le service jeunesse. Tous sont au moins titulaires d’un certificat d’aptitude. Trois ont un graduat. Le fonctionnement de la bibliothèque populaire semble immuable. Il reste centré sur le prêt. Francine Delépine et Dominique Dognié arrivent en 1989 et cela bouge.

PARTIE II Dominique Dognié raconte sa bibliothèque

Prospectus de la bibliothèque, s.d. (Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode).

Nouvelles missions et nouveau métier[71]

« Quand je suis arrivé en 1989, il y avait encore des bibliothécaires-enseignants. J’ai eu un directeur d’école de Saint-Josse, un enseignant qui est devenu directeur ensuite d’une école à Schaerbeek, Francine Rémy, bibliothécaire à l’INSAS et Georges Stiers qui était bibliothécaire à l’école de vétérinaire. Ces personnes venaient comme bibliothécaires à Saint-Josse, en activité complémentaire. Elles n’habitaient pas la commune et n’y travaillaient en général pas non plus. À l’époque, la bibliothèque n’était ouverte que 12 heures par semaine dont 4 heures le week-end, le lundi et le vendredi.

Les deux bibliothécaires, Madame Rémy et Monsieur Stiers n’étaient pas très bavards. C’étaient des bibliothécaires à l’ancienne. Ils n’avaient pas du tout les mêmes rapports avec leur ancien chef qui avait quasiment le même statut qu’eux. Celui-ci était payé 12 heures et il en travaillait au moins 20. Il s’investissait vraiment beaucoup et avait un ancrage dans la commune en tant que professeur de dessin à l’Académie. Il faut attendre mon arrivée ainsi que celle de Francine Delépine[72], pour avoir les premiers bibliothécaires à temps plein. Eux n’étaient là que 4 heures [par] semaine donc les décisions, c’était nous qui les prenions. Ils nous voyaient débarquer et nous prenaient un peu pour des clowns. Nous amenions le changement, les nouvelles missions des bibliothèques.

Au départ, je n’étais pas bibliothécaire. J’ai une formation de traducteur interprète anglais-allemand. Je suis arrivé ici vraiment par hasard. J’avais fait la connaissance de Francine Delépine quand elle tenait le journal local KIOSK. Quand il a été supprimé, ce journal est devenu une association qui proposait des activités aux classes. Je l’ai suivie. L’ancien bibliothécaire en chef étant en fin de carrière, le Collège lui a alors proposé de devenir responsable de la bibliothèque. Comme tout se professionnalisait, nous sommes allés suivre les cours pour obtenir un certificat d’aptitude à exercer la fonction de bibliothécaire, mais entretemps, F. Delépine est devenue conservatrice du musée communal, l’Hôtel Guillaume Charlier et moi, je suis resté comme bibliothécaire responsable.

Dans les années 1980, un grand nombre de bibliothèques – et c’était notre cas – devaient se régulariser. La Communauté française (CF) a organisé des cours. C’était une formation accélérée. Cela a permis à des personnes qui n’étaient pas en ordre de qualification, de pouvoir excercer le métier et aux institutions de se mettre en ordre avec la réglementation. Le décret de la Communauté française de Belgique[73] de 1978 imposait le libre accès aux livres. La carrière de bibliothécaire s’est professionnalisée. On ne pouvait plus mettre n’importe qui sous peine de ne pas être reconnu par la CF et je trouve que c’était une bonne chose. Comme les missions des bibliothèques se diversifiaient, il fallait pouvoir compter sur des personnes avec des compétences pour faire bouger l’organisation.

Les pérégrinations de la bibliothèque

En 1976, la bibliothèque déménage dans un pavillon, à l’angle de la rue de l’Alliance et de la rue Scailquin. Pour la première fois, les rayonnages sont accessibles aux lecteurs et les livres sont en libre accès. Arrivé en 1989, j’y suis resté jusqu’en 2004. Ensuite, nous avons emménagé dans les locaux actuels[74]. Situés à l’arrière du bâtiment, on a le calme et un jardin. C’est vraiment un cadre idéal. Les anciennes bibliothèques permettaient de ranger beaucoup de livres. On pouvait aussi les stocker dans des locaux moins éclairés puisqu’on allait les chercher à l’arrière. Aujourd’hui, il faut des locaux beaucoup plus grands, plus lumineux. Tout est à disposition. Il faut une signalétique. Bref, ce n’est plus destiné aux professionnel.le.s du livre mais au public. C’est à nous de faire en sorte qu’il y ait une lisibilité et une facilité d’accès aux livres. Il a fallu repenser toute l’organisation, les horaires, avoir plus d’heures d’ouverture aux publics. Les anciens bibliothécaires ont continué à venir au rythme de 4 heures par semaine, mais la bibliothèque a très rapidement ouvert 20 heures puis 22 heures et maintenant on en est à 28 heures.

Le décret mission des bibliothèques de 1995 a également changé le mode d’organisation des bibliothèques en introduisant les partenariats, en favorisant l’inclusion de la bibliothèque dans le réseau associatif, etc. Nous avons créé, par exemple le « biblisitting ». Une puéricultrice était présente en semaine pour accueillir les petits enfants pendant que les mamans cherchaient des livres. Ces expériences ne se sont pas prolongées, mais pour des bibliothécaires qui travaillaient à l’ancienne, c’était impensable.

À l’époque, la section jeunesse ne représentait quasiment rien. S’il y avait trente bandes dessinées, c’est beaucoup. L’enfant pauvre de la bibliothèque, c’était sa section jeunesse, tout allait pour les adultes alors que Saint-Josse a la particularité d’être la commune avec la population la plus jeune de Belgique. Aujourd’hui, nous avons plus de lecteurs et lectrices de moins de 18 ans que d’adultes. Il a fallu étoffer nos collections et organiser une salle de lecture adaptée aux enfants. On est parti de vraiment loin !

Nous conservons également un fonds ancien et précieux, mais sinon, tout est en accès libre. En magasin, nous avons des livres repris au catalogue qui peuvent être empruntés, mais ils sont évidemment plus anciens.

La bibliothèque déménage rue Scailquin et l’accès aux livres est mis en place (clichés de Dominique Dognié, années 1990)

Une bibliothèque, une petite ruche bourdonnante

Prospectus de la bibliothèque, s.d. (Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode).

Pour nous, en période normale de notre bibliothèque, les expositions se succèdent, les visites de classes et des groupes, les bibliothécaires qui se rendent dans les écoles ou dans les associations, tout cela fait partie de notre quotidien. En fait, notre bibliothèque est en chamboulement constant. Nous sommes toujours à la recherche de plus d’espace. Aujourd’hui, nous réaménageons dans les réserves un espace pour faire les animations avec les enfants, pour les ateliers d’écriture et des formations à destination des associations, etc.

Dans le nouveau décret mission, les partenariats sont essentiels. Nous en avons avec les écoles, avec les associations comme La Ruelle (centre d’expression et de créativité), La Barricade (espace intergénérationnel), Paroles, Calame (école de devoirs), SIMA (centre d’insertion socio-professionnelle) (…). On est situé à côté du Centre Amazone (centre de congrès et d’associations féministes), de l’Université des Femmes et de la bibliothèque Léonie La Fontaine.

Dans notre bibliothèque, nous avons créé le fonds « Bibliothèque en tous genres » (BTGE). On a commencé avec 150 livres autour du thème de la lutte contre les discriminations de genre. C’est notre cheval de bataille. Aujourd’hui, ce fonds possède 1 500 livres sur une collection de 36 000 volumes. C’est vraiment très important. Il se répartit en section adulte et en section jeunesse.

Dans notre sélection des livres de contes pour enfants, on donne la priorité aux bonnes pratiques. Il ne s’agit pas de dire : faites ceci, ne faites pas cela, mais ce sont des histoires où des héroïnes, des jeunes filles et des femmes n’ont pas le rôle passif qu’elles ont dans les contes traditionnels. Au lieu de pleurer en haut de leur tour pendant que le prince va se battre contre le dragon, elles vont s’occuper du dragon et le prince va cueillir des fleurs pendant ce temps-là, il ne pensera pas à faire la guerre et ça fera des congés à tout le monde. C’est l’idée. En section jeunesse, les ouvrages sont disséminés, avec simplement un point blanc discret au dos du livre, ce qui nous permet de le repérer et de le mettre en avant. Pourquoi ? Parce qu’à Saint Josse, on a une population qui a des difficultés avec la langue française. Ce sont les parents qui décident si les enfants viennent à la bibliothèque ou pas (…). Il faut à la fois, faire en sorte que les ouvrages non sexistes existent, mais que la bibliothèque ne soit pas rejetée en bloc à cause de cela. La communication est importante et basée sur la prudence pour être la plus inclusive possible.

Dominique Dognié raconte une histoire, 2019 (Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode, photo)

Un projet en continuelle évolution

Les missions de la bibliothèque sont très larges. Nous organisons des expositions qui se suivent sans interruption. Ce sont des artistes de Saint-Josse comme ceux de la Cité Mommen, des peintres, des photographes, des sculpteurs. Nous proposons aussi des expositions thématiques comme celle de SIMA, présentée lors de la semaine communale consacrée aux genres. Tous les 14 février, nous proposons une contre Saint-Valentin, en partenariat, en général, avec l’Université des Femmes. C’est un cycle de conférences où nous essayons d’intéresser les élèves du Lycée communal pour les sensibiliser à l’égalité entre les hommes et les femmes. On travaille aussi avec des groupes d’alphabétisation. Cela suppose des recherches pour sélectionner des ouvrages accessibles et ce n’est pas évident pour les adultes, il faut trouver un type de roman qui soit une histoire pour adulte et non un livre de la section jeunesse même si ces derniers sont de qualité. Nous ne pouvons pas être infantilisants. Depuis, nous avons un fonds de romans simplifiés par catégories 1, 2 et 3, en fonction des degrés de difficultés ainsi que des grammaires adaptées aux personnes en apprentissage de la langue française. Nous avons aussi organisé « Lire à deux » : une activité vraiment intergénérationnelle. Une pensionnée et une personne d’un groupe alpha lisent ensemble un livre, l’idée est de faire un échange. Cela marche excessivement bien. Ces personnes qui n’ont normalement aucune chance de se rencontrer, se parlent et apprennent à se connaître.

Affiche de l’exposition de peinture de Hedwige Goethals, 2015 (Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode)

 

Activité « Lire à deux » à la bibliothèque, 2018 (Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode, photo)

Un maillon du réseau de la lecture publique

La bibliothèque fait partie du réseau de la lecture publique, plus particulièrement du réseau des bibliothèques de Bruxelles-Capitale. Il y a trois sources de financement. Nous avons un budget communal pour le fonctionnement (par exemple : achat de livres et leur équipement, achat de matériel informatique et du mobilier). En plus de ça, étant donné notre reconnaissance dans le cadre de la lecture publique, nous recevons aussi de la Communauté française des subventions-traitements et des subventions de fonctionnement. La COCOF également intervient financièrement avec des subsides pour l’achat de livres et de frais de fonctionnement.

Notre bibliothèque, reconnue depuis le Décret 1978, a obtenu récemment la reconnaissance en catégorie supérieure (Catégorie 2) dans le cadre du nouveau Décret 2009.[75]

Le public

Notre public est le reflet de la population de Saint-Josse : presque la moitié de nos lecteurs et lectrices a moins de 18 ans. Nous mettons en place des activités pour les tout-petits et pour les enfants (contes et ateliers créatifs), nous mettons à disposition des livres pour les jeunes adultes et des livres en exemplaires multiples pour les lectures scolaires.

Une importante partie de nos publics adultes est constituée de personnes qui ne maîtrisent pas ou peu la langue française. Elles font partie des publics de nos associations partenaires (cours d’alphabétisation et français langue étrangère). C’est aussi pour ce type de public que nous mettons en place de nombreux partenariats et des services spécifiques (entre autres des livres en « français facile », livres en langues étrangères, un service d’écrivain public et un service d’informaticien public).

La catégorie des seniors est, cependant, sous-représentée. En plus de livres en grands caractères, nous proposons pour eux, et pour toute personne à mobilité réduite, un service de livraison à domicile sur demande.

Affiche « écrivain public », s.d. (Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode)

La période de confinement Covid 19 : fermeture et innovation !

Nous travaillons énormément avec les écoles à Saint-Josse. Ce travail a été interrompu à cause du Covid. Je me souviendrai toujours du jour où on a arrêté, c’était en mars [2020]. On nous a dit : on ferme tout ! C’était un lundi et ce jour-là, on avait 7 animations : du bibliothécaire se déplaçant dans les écoles, du bibliothécaire allant dans les associations, des groupes venant à la bibliothèque etc. Tout s’est arrêté du jour au lendemain. C’est vraiment très dur à vivre parce que cela change la mission des bibliothèques et modifie la place du livre, qui, à mon avis, n’est plus aussi prépondérante qu’elle ne l’a été. La bibliothèque devient ce qu’on appelle un troisième lieu. Des personnes rentrent, viennent faire des recherches sur Internet pour leurs travaux. Elles ne vont pas prendre un seul livre en main. C’est aussi cela une bibliothèque maintenant. Ce n’est plus uniquement le prêt de livres.

La bibliothèque communique beaucoup vers l’extérieur. Nous avons un catalogue collectif, partagé entre les bibliothèques publiques VUBIS et grâce au portail de la lecture publique, chaque bibliothèque est présentée de manière agréable. Nous pouvons inclure nos spécificités, tenir les gens au courant de nos animations. Pendant toute la période de fermeture contrainte, il a fallu se réinventer et montrer qu’on existait encore. On a créé cette page Facebook où on postait plusieurs fois par semaine, des lectures pour les enfants. Cela a marché excessivement bien. Un de mes collègues a fait d’autres vidéos illustrant les différents lieux de la bibliothèque, comment cela se passe quand on vient à la bibliothèque pour la première fois, etc. C’est très pratique. J’ai un autre collègue qui est spécialisé dans tout ce qui est la littérature actuelle. Auparavant, nous faisions cela en présentiel, avec des rencontres ou des brunchs littéraires. Maintenant, nous avons opté pour la forme de clip sur Facebook, avec les rencontres d’éditeurs, des auteurs de Saint-Josse etc. On essaie…On s’adapte. À la réouverture, on a fait du take away : les lecteurs réservaient les livres et passaient les prendre. Ensuite, il était possible de venir sur rendez-vous. Nos portes se sont réouvertes fin mai 2021. On a réorganisé les tables de lecture pour distancer davantage les personnes entre elles et quand il fait beau, on leur propose d’aller au jardin.

Une mission prioritaire : transmettre mon enthousiasme

Ma place est d’être au milieu des bibliothécaires, dans les rayons avec mes lectrices et mes lecteurs pour donner des conseils, pour transmettre mon enthousiasme, etc. C’est ça que je veux laisser. Quand je vois des personnes que j’ai connues petites filles de 6 ou 7 ans et qui sont maintenant mamans, qui reviennent avec leurs enfants et qui me disent : oui, je me souviens de vous, vous n’avez pas changé. Je me dis : voilà, j’ai fait ce qu’il fallait. J’ai fait en sorte que la bibliothèque soit un bon souvenir. Il y a des lectures imposées et des élèves qui ne vont venir que pour ces livres-là, mais même alors, on leur suggère d’autres titres. On leur dit qu’ici, tout est gratuit. C’est aussi une de mes réussites. À un moment donné, le prêt était payant et je suis parvenu à ce qu’on revienne à la gratuité. C’est gratuit pour tout le monde. Pour les enfants, c’est évident, c’est la réglementation, mais les adultes ne paient rien pour s’inscrire et rien pour emprunter des livres, tout est absolument gratuit.

On essaye d’accueillir un maximum de personnes. Si quelqu’un part de chez nous en n’ayant pas un livre, cela peut arriver, mais les renseignements, il les a. Il part avec une solution. C’est notre but.

Equipe actuelle de la bibliothèque, 2019 (Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode, photo)

En guise de conclusion : une belle histoire qui se prolonge au présent

L’idée d’organiser une bibliothèque populaire est adoptée au Conseil communal de Saint-Josse-ten-Noode en 1858. Elle ouvre ses portes aux habitant.e.s en 1859, précédant de quelques années, le premier arrêté royal stimulant la création de bibliothèques (1862), mais bien avant, la loi Destrée de 1921. En 2021, elle est toujours présente et active. Cette longévité est remarquable. Au départ, elle est pensée comme complément à l’instruction publique et organise seulement le prêt d’ouvrages. Avec le temps, elle cherche à élargir son audience et sa fréquentation. La bibliothèque s’adjoint une salle de lecture réservée aux adultes. Ce lieu augmente le confort de la lecture avec une salle éclairée et chauffée, et propose à la consultation, outre les ouvrages de la bibliothèque, des journaux et périodiques. Suite à la loi sur l’instruction obligatoire, elle dédie, à partir de 1923, deux plages d’ouverture aux enfants et professionnalise sa gestion avec la nomination d’une commission consultative de la bibliothèque. Cette approche historique reste partielle. Elle se base sur les bulletins communaux, les rapports administratifs annuels et les budgets et comptes de la commune. De l’ancienne bibliothèque (avant 1976), subsistent quelques archives ainsi qu’un fonds ancien conservés à la Bibliothèque. Ces documents doivent faire l’objet d’un inventaire. Ils donneront des renseignements sur l’état des collections, le public, la fréquentation, les nombres de prêts ainsi que sur son activité culturelle pour une période allant de 1923 à 1976. Ce travail reste à faire.

La deuxième partie de l’analyse est consacrée à la bibliothèque contemporaine, qui s’inscrit à la fois en rupture et en continuité de l’ancienne bibliothèque. Comme différences, nous pouvons pointer le développement d’outils, la diversité des publics, le profil des travailleurs et travailleuses, les modalités de subventionnement et le cadre légal qui ont enrichi les missions d’une bibliothèque locale. Les tâches du bibliothécaire se sont complexifiées. Connaître le livre ne suffit plus, il se fait aussi animateur, pédagogue et accompagnateur pour des publics très variés. Néanmoins par rapport à la bibliothèque populaire du 19e siècle, il reste en continuité avec la base, à savoir l’organisation du prêt et la mission de susciter l’envie de lire.

Notes

[1] Elle est située rue de la limite, n°2, 1210 Saint-Josse-ten-Noode.
[2] VAN BEMMEL E., « Histoire de Saint-Josse-ten-Noode et de Schaerbeek, Saint-Josse-ten-Noode, E. Van Bemmel, éditeur, 1869, p. 209.
[3] CARHOP, Interview de Dominique Dognié par Marie-Thérèse Coenen, juin 2021. Concernant la première bibliothèque populaire communale, Bruno Liesen précise qu’il s’agit de la commune d’Andenne, en 1848, LIESEN B., « Il y a 100 ans… la loi Destrée : La bibliothèque populaire devenait publique », Dynamiques 17.
[4] À cette époque, seuls les hommes sont éligibles comme conseillers communaux.
[5] La commune a déjà une école primaire située rue Nevraumont.
[6] Les dossiers après avoir été mis à l’ordre du jour du conseil communal, sont renvoyés pour examen en commission. La composition des commissions est fixée en début de mandat. Elles se composent d’un échevin qui a la compétence et de cinq à six conseillers. Le dossier de la bibliothèque est examiné par la commission de l’Instruction publique. Un rapport est ensuite présenté, discuté et adopté en séance au Conseil. En fonction des législatures, c’est la mention de section ou de commission qui est retenue, mais elle désigne la même instance interne au Conseil.
[7] Bulletin communal (BC), séance du 3 juillet 1858, p. 72-73.
[8] BC, séance du 3 juillet 1858, p. 72-73.
[9] Idem, p. 74.
[10] Les budgets annuels mentionnent pour le service de la bibliothèque, les montants suivants : 1859 : 400 francs ; de 1860 à 1862 : 100 francs ; de 1863 à 1870 : 500 francs ; 1871 : 750 francs ; 1872 : 800 francs.
[11] Tiberghien, Guillaume (1819-1901) : philosophe, professeur à l’Université libre de Bruxelles, membre du parti libéral, conseiller communal à partir de 1858, fondateur de la Ligue de l’enseignement en 1864. JURION F., « Guillaume Tiberghien », JAUMAIN S.(dir.), Dictionnaire d’histoire de Bruxelles, Bruxelles, Éditions Prosopon, 2013, p. 778.
[12] Van Bemmel, Eugène (1824-1880 ) : professeur, littérateur, docteur en droit de l’Université libre de Bruxelles, il y enseigne en 1849 la littérature et l’histoire politique. Il est conseiller communal de 1857 à 1870. Progressiste, il est le fondateur et président de Vlamingen vooruit, en 1858. Il est l’auteur d’un ouvrage sur la commune de Saint-Josse-ten-Noode et de Schaerbeek, publié en 1869. VAN DEN DUNGEN P., « Eugène Van Bemmel », JAUMAIN S. (dir.), Dictionnaire d’histoire…, p. 803-804.
[13] Van Crombrugghe Ida (Baronne, née de Kerkhove de Denterghem) (1820-1875) : libérale, elle se préoccupe d’éducation populaire dès 1850. Elle est connue pour avoir fondé les Soirées populaires de Saint-Josse, cycles de conférences destinées à la classe ouvrière dans le but d’enseigner les vertus de l’hygiène aux ménages ouvriers. GUBIN E., JACQUES C., PIETTE P., PUISSANT J. (dir.), Dictionnaire des femmes belges. XIXè et XXè siècles, Bruxelles, Éditions Racines, 2006, p. 162-163.
[14] À ce propos, voir : COENEN M.-T. (dir), « Les initiatives d’éducation ouvrière au 19e siècle : de la démarche intellectuelle à la formation militante ». Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 4, décembre 2017, https://www.carhop.be/revuescarhop/index.php/category/revue-0/revue-04/.

[15] Gillon, Jacques (1808-1869) : propriétaire, conseiller communal depuis 1840, bourgmestre de 1846 à 1867. Il a mené une politique d’urbanisation de la commune. GILLAIN J.-L., « Jacques Gillon », JAUMAIN S. (dir.), Dictionnaire d’histoire… p. 367.
[16] Voir LIESEN B., « Il y a 100 ans… la loi Destrée. La bibliothèque populaire devenait publique », Dynamiques n°17
[17] « Rapport de la situation et de l’administration des affaires de la commune pendant l’année 1859-1860 », annexe au BC, séance 17 octobre 1859, p. 137.
[18] BC, séance du 31 octobre 1862, p. 118-119.
[19] Idem.
[20] « Rapport sur la situation et l’administration des affaires de la commune, année 1860-1861 », annexe au BC, séance du 11 octobre 1861, p. 177-178.
[21] Idem, p. 195.
[22] BC, séance du 31 octobre 1862, p. 119-121.
[23] BC, séance du 2 août 1861, p. 130.
[24] BC, séance du 31 octobre 1861, p. 198.
[25] Dauby, Jean, François, Joseph (1824-1899) : typographe, militant de l’association libre des compositeurs typographes de Bruxelles, mutuelliste, publiciste, directeur du Moniteur belge (1858-1899). Il réside à Saint-Josse et intervient régulièrement dans les affaires communales. PUISSANT J., « Dauby Jean, François, Joseph », Maitron, https://maitron.fr/spip.php?article143230, mis en ligne le 27 novembre 2012, dernière modification le 27 décembre 2019, page consultée le 2 décembre 2021.
[26] Il fait preuve d’une certaine réserve puisqu’il signe sa lettre, « votre très humble et très respectueux administré, J. Dauby, ouvrier typographe ». Lettre adressée À Messieurs les Président et Membres du Conseil communal de Saint-Josse-ten-Noode, 24 juillet 1859, BC, séance du 16 septembre 1859, p. 104.
[27] BC, séance du 30 mars 1860, p. 26-27 ; BC, séance du 19 avril 1863, p. 67.
[28]« Rapport de la deuxième section : réorganisation de la bibliothèque », BC, séance du 12 septembre 1862, p. 79-81.
[29] La bibliothèque populaire communale de Liège est inaugurée le 9 février 1862. MESSIAEN J.-J., Lecture pour tous. Une histoire des initiatives de la Province de Liège en matière de lecture publique, Liège, Les éditions de la Province de Liège, 2021, p. 21.
[30] BC, séance du 12 septembre 1862, p. 79-80.
[31]Idem, p. 81.
[32] Jean Puissant, dans la biographie qu’il consacre à J. Dauby, précise qu’il entre à l’âge de 16 ans comme typographe dans cette imprimerie et qu’il en devient la cheville ouvrière. Il est possible que ce soit lui qui ait imprimé ce premier catalogue. PUISSANT J., « Dauby Jean, François, Joseph »…
[33] Jottrand, Lucien Léopold (1804-1877) : originaire de Genappe, il s’installe à Saint-Josse. Avocat, membre du Congrès national, il est élu au Conseil communal de Saint-Josse. Il professe des idées républicaines. Défenseur de la classe ouvrière, il a des sympathies pour le mouvement flamand. Au Conseil communal, il défend l’édition flamande du Bulletin communal et l’accès à la bibliothèque des classes populaires, qui à Saint-Josse parlent majoritairement le flamand, HASQUIN H.(dir.), Dictionnaire d’histoire de Belgique. Vingt siècles d’institutions. Les hommes, les faits, Bruxelles, Didier Hatier, 1988, p. 266.
[34] Dans le débat sur l’édition flamande du bulletin communal, Lucien Jottrand propose que l’instituteur en chef, M. Jacobs assure gratuitement la traduction de l’édition française en flamand pour limiter le coût. BC, séance du 12 février 1858, p. 11-12.
[35] Catalogue de la bibliothèque communale populaire de Saint-Josse-ten-Noode, Saint-Josse-ten-Noode, 1863, p. 4-5.[36]Administration communale de Saint-Josse-ten-Noode, « Rapport sur la situation et l’administration des affaires de la commune pendant l’année 1862-1863 », BC, séance du 9 octobre 1863, p. 198.
[37]Idem, p. 198-199.
[38]BC, séance du 3 juillet 1863, p. 138.
[39]Idem, p. 155.
[40]Administration communale de Saint-Josse-ten-Noode, Rapport sur la situation et l’administration des affaires de la commune pendant l’année 1867-1868, Saint-Josse-ten-Noode, 1868, p. 56. (tiré à part).
[41]Administration COMMUNALE de Saint-Josse-ten-Noode, Rapport sur l’administration et les affaires de la commune de SJTN, pour l’année 1869-1870, Saint-Josse-ten-Noode, 1879, p. 37 (tiré à part).
[42]BC, séance du 4 août 1865, p. 252.
[43] BC, séance du 12 juillet 1876, p. 290-291 ; séance du 17 janvier 1877, p. 10.
[44]BC, séance du 24 juin 1908, p. 365-366.
[45]BC, séance du 15 juillet 1908, p. 407, BC, séance du 28 décembre 1908, p. 946.
[46] BC, séance 19 novembre 1913, p. 603.
[47] Pergameni, Charles (1879-1959) : docteur en droit et en histoire, archiviste de la Ville de Bruxelles, cofondateur des universités populaires de Schaerbeek et de Saint-Josse, membre du Conseil général de la Ligue de l’enseignement.
[48]Serait-ce Marie Closset ? Cette femme de lettre connue sous le pseudonyme Jean Dominique (1873-1952), ancienne élève de Isabelle Gatti de Gamond, proche de l’anarchiste Élisée Reclus, et domiciliée à Saint-Josse. Elle fonde l’Institut belge de culture française, une école dont le siège est, avant 1914, situé rue des Côteaux à Saint-Josse, avant de s’établir à Ixelles et Uccle. Voir : VAN DEN DUNGEN P., « Parcours singuliers de femmes de lettres, Marie Closset, Blanche Rousseau et Marie Gaspar », Sextant, n°13-14 : Femmes de culture et de pouvoir, 2000, p. 189-210.
[49] BS, séance du 19 novembre 1913, p. 603.
[50] « Règlement organique de la commission consultative permanente de la bibliothèque populaire », BW, séance du 17 décembre 1913, p. 633.
[51] BC, séance du 10 janvier 1923, p. 50.
[52] Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode, fonds anciens, registre du bibliothécaire en chef, 1932-1947.
[53] BC, séance du 12 novembre 1919, p. 599-600.
[54] Pètre, Georges (1874-1942) : avocat, membre du Parti libéral, il est élu conseiller communal en 1904. Il devient échevin de l’Instruction publique en 1913 et est bourgmestre de 1926 à 1942. Résistant il est pris en otage et assassiné par les Rexistes en 1942.
[55] BC, séance du 3 novembre 1920, p. 581-582.
[56] Ibidem.
[57] BC, séance du 3 août 1921, p. 418.
[58] BC, séance du 22 juin 1921, p. 242.
[59] BC, séance du 28 décembre1921, p. 711.
[60] Bibliothèque communale de Saint-Josse-ten-Noode, fonds archives anciennes de la bibliothèque, Registre. Statistique de l’année 1950. Ce document reprend la date de la création et la première année de subventionnement de la bibliothèque.
[61] BC, séance du 16 mars 1921, p. 139.
[62] BC, séance du 5 avril 1922, p. 253-254.
[63] Idem, p. 254.
[64] BC, séance du 1er août 1923, p. 357.
[65] BC, séance du 9 avril 1924, p. 94.
[66] Ibidem.
[67] BC, séance du 26 mars 1956, p. 108-109.
[68] BC, séance du 2 mai 1956, p. 157.
[69] Lundi, mardi, vendredi de 17 à 19 heures, samedi de 16 à 18 heures, dimanche de 10 à 12 heures.
[70] CARHOP, Interview de Dominique Dognié par Marie-Thérèse Coenen, juin 2021.
[71] Cette partie donne la parole à Dominique Dognié. Les intertitres et la conclusion sont de l’auteure. CARHOP, Interview de Dominique Dognié par Marie-Thérèse Coenen, juin 2021
[72] Future conservatrice du Musée Charlier, à Saint-Josse.
[73] Aujourd’hui appelée Fédération Wallonie-Bruxelles.
[74] Rue de la limite n°2
[75] Les critères sont à la fois qualitatifs et quantitatifs. Voir l’Arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 5 octobre 2016, modifiant l’annexe 2-2 de l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 19 juillet 2011 portant application du décret du 30 avril 2009 relatif au développement des pratiques de lecture organisé par le Réseau public de la Lecture et les bibliothèques publiques, 2016, https://bibliotheques.cfwb.be/fileadmin/sites/biblio/uploads/Legislation/ARRETE_19.07.2011_-_derniere_modification_14.12.2016.pdf, page consultée le 9 décembre 2021. Cet arrêté fixe les modalités de reconnaissance des bibliothèques locales, suivant un plan quinquennal qui doit présenter divers éléments. Pour être reconnu en catégorie 2, l’opérateur doit avoir un personnel ayant les titres requis, occupé à temps plein ; favoriser les pratiques de lecture ; favoriser l’organisation de la documentation adaptée pour que la population visée puisse participer à des actions dans une perspective d’éducation permanente et d’émancipation culturelle et sociale, individuellement et collectivement ; disposer d’un espace et d’équipement ad hoc (signalétique, salle de lecture, salle équipée d’ordinateurs, etc.) ; un renouvellement des titres (moins de 10 ans d’âge), une documentation accessible via Internet de manière autonome pour le public ; apporter aide et conseil pour y accéder (individuellement et avec des groupes) ; faire une évaluation annuelle ; être en relation avec les autres composantes du réseau de la lecture publique ; mettre un catalogue en ligne via le site de la bibliothèque et participer au catalogue collectif ; avoir une ouverture de 26 heures semaine, le mercredi après-midi et 4 heures le weekend ; mettre à la disposition du public des outils de recherche et une offre d’aide.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

COENEN M.-Th., « 1859-2021 : 160 ans au service de la lecture. La bibliothèque populaire communale de Saint-Josse-ten-Noode », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°17 : 1858-2021. Quand la bibliothèque (s)’émancipe !, décembre 2021, mis en ligne le 17 décembre 2021. www.carhop.be/revuescarhop/.

 

Des livres à lire, des histoires à partager : l’aventure de l’Asbl La Ruelle

PDF

Catherine Pinon (Gestionnaire des ressources documentaires multimédia, CARHOP asbl)

– « Pourquoi regardes-tu les livres ? Tu sais quand même pas lire !
– Ouais, mais j’aime bien, et puis je sais un peu, alors dans les livres, je regarde les mots que je connais et puis je découvre un p’tit peu plus loin » (Anais, 11 ans)[1].

L’objectif d’une bibliothèque publique est de mettre les livres à la disposition des lecteurs et lectrices, grands et petits. Franchir la porte d’une bibliothèque est en soi une démarche que certain.e.s ne font pas, ne s’autorisent pas à faire. Le centième anniversaire de la Loi Destrée, fixant les conditions de reconnaissance et d’octroi des subsides pour les initiatives municipales ou privées est l’occasion de mettre le focus sur les bibliothèques de rue : une démarche à l’envers. Plutôt que d’attendre que le public franchisse la porte, même grande ouverte, des bibliothèques, plusieurs associations, comme ATD Quart monde, Le Pivot culturel à Namur, œuvrant auprès de publics en situation de précarité sociale, ont développé les bibliothèques de rue selon le principe : « si tu ne vas pas aux livres, le livre viendra à toi ». Que ce soit sur le pas des portes dans la rue, à la sortie de l’école, dans les parcs et jardins publics, elles proposent de lire des livres ensemble, d’entrer dans les histoires et les imaginaires qu’ils renferment. C’est un outil pour réduire la fracture socio-culturelle, objectif de la lecture publique. Les bibliothèques de rue ont donc toute leur place dans ce numéro de Dynamiques consacré à la lecture publique et à la Loi Destrée.

Lire dans les parcs cet été. Affiche du Centre de littérature de jeunesse de Bruxelles, 2021 (© Sarah Cheveau).

L’asbl La Ruelle est une association de quartier qui centre son intervention sur une dynamique socio-culturelle, avec un point d’ancrage, la bibliothèque de rue. Elle intervient dans la commune de Saint-Josse-ten-Noode, commune connue pour sa population multiculturelle, où la précarité est importante, et qui accueille régulièrement de nouveaux migrant.e.s qui n’ont pas nécessairement fréquenté l’école dans le pays d’origine et qui ne maîtrisent pas ou mal, la lecture, l’écriture et aucune de nos langues nationales. La Ruelle est le complément à la bibliothèque municipale de Saint-Josse, avec laquelle elle collabore d’ailleurs étroitement. Intéressée, nous avons rencontré son directeur, Charles Vandervelden, qui nous a consacré plusieurs heures d’entretien, en mai et juin 2021[2]. La Ruelle étant à la veille d’un déménagement vers un autre lieu et d’un départ vers des horizons nouveaux, Charles Vandervelden a accepté, avec soulagement, la proposition du CARHOP, de déposer les archives de l’association au centre d’archives. Ce dépôt illustre parfaitement la raison même d’un centre d’archives contemporaines, préoccupé par la conservation des traces des organisations culturelles et associatives qui œuvrent dans le champ de l’éducation permanente. Le fonds a été classé par Catherine Pinon et c’est avec cet apport que notre enquête, basée au départ sur la bibliothèque de rue, a pu s’élargir pour retracer l’histoire de La Ruelle asbl et son développement.

Charles Vandervelden devant le bâtiment occupé par La Ruelle, juin 2021 (CARHOP, photographie de Marie-Thérèse Coenen).

Au départ, Notre Village asbl

C’est le 15 juin 1981, que Jean-Claude Peto fonde Notre Village asbl. La volonté de « créer notre village dans la ville » est à l’origine de son nom. Installée dans le quartier Botanique de la commune de Saint-Josse-ten-Noode, au 68 de la rue Saint-François, cette association permet l’ouverture d’une permanence sociale en faveur des enfants et des jeunes immigré.e.s du quartier. « Le projet consiste en la présence humaine permanente par la médiation, la guidance et l’orientation, la promotion de toutes les formes de solidarité humaine, la participation à toute action collective visant les mêmes buts. La création d’un lieu de dialogue, de rencontre, de réflexion en groupe, de partage, de documentation, de conseil »[3].

Faute de moyens et rencontrant des problèmes liés à l’absence de structuration au sein de l’association, du non-respect des règles de la part des jeunes en termes de drogue par exemple, l’asbl est contrainte de fermer ses locaux au début de l’année 1984[4]. Quelques mois plus tard, les activités de permanence sociale reprennent et une section animation et école des devoirs est organisée. En 1987, la reconnaissance de l’association par la Communauté française permet l’engagement de travailleurs et travailleuses sociaux et son développement progressif, jusqu’à la mise en liquidation en avril 1991.

Un fondateur : Jean-Claude Peto

Jean-Claude Peto, s.d. (CARHOP, fonds La Ruelle asbl, série photos).

Jean-Claude Peto est né le 16 octobre 1930 à Bois-Colombes, en banlieue parisienne et est décédé le 23 février 2017 à Knocke-Heist. En 1939, afin d’échapper à la guerre et à la montée du nazisme, son père d’origine hongroise trouve un emploi en Suède et y emmène toute sa famille. Jean-Claude Peto y passe une partie de sa scolarité. À l’âge de 17 ou 18 ans, il retourne en France pour suivre des études universitaires en chimie et en traduction-interprétariat et également en psychanalyse, psychologie, sociologie et pédagogie. Après ses études, il entreprend de nombreux voyages et séjourne en Hongrie, en Suède, en Israël, où il sera ouvrier au sein d’un Kibboutz. De 1952 à 1965, il travaille en France. En juillet 1965, il s’installe en Belgique et, quelques mois plus tard, entre à la S.A. RANK XEROX International LTD, active dans le commerce de gros de machines et de matériel de bureau[5]. Il occupe successivement les postes de « Systems Analyst », « Market Development Manager », « Branch Manager » et enfin « Personnel Controller »[6].

Adepte du principe fondamental selon lequel « l’Homme est la seule chose importante » et grâce à ses nombreux voyages à travers le monde, il apprend à connaître l’Homme dans son travail, son mode de vie quel que soit son milieu social. Les connaissances linguistiques et le sens inné de l’humanité de Jean-Claude Peto l’incitent à aller vers les gens, les écouter, les aider et les comprendre. C’est ainsi que, parallèlement à son activité principale chez S.A. RANK XEROX International LTD, il travaille bénévolement auprès des immigré.e.s ou des jeunes défavorisé.e.s en tant qu’éducateur de rue au sein de l’asbl Notre Village.

L’âge de la retraite arrivant, il réoriente son action vers l’intervention socio-culturelle. Il rencontre Yolande Gravis, ils se marient et, ensemble, fondent l’asbl La Ruelle en juin 1991.

L’asbl La Ruelle

Installée dans leur maison privée, au n° 35 de la rue Potagère à Saint-Josse-ten-Noode, la nouvelle association de Yolande Gravis et Jean-Claude Peto peut démarrer grâce à des dons privés et aux allocations de chômage qu’ils perçoivent. Aidés bénévolement par des jeunes immigré.e.s du quartier, ils poursuivent le travail entamé par l’asbl Notre Village. L’objectif principal est d’aller à la rencontre des plus exclu.e.s et des plus marginalisé.e.s « là où ils se trouvent et quand ils s’y trouvent »[7], se faire connaître et reconnaître, établir une relation de confiance, les écouter, les guider, leur proposer une médiation et enfin établir un tissu communautaire dans le quartier[8].

Les trois activités principales de l’association sont la bibliothèque de rue et les ateliers créatifs en extérieur dédiés aux enfants, les activités collectives de type « maison de quartier » où sont proposées des fêtes de rue thématiques ou des grandes sorties durant les grandes vacances d’été. Enfin, le parcours solidaire au cours duquel ils vont à la rencontre des sans-abris.

Les lieux couverts par les éducateurs et éducatrices de rue sont la gare du Nord, le square Félix Delhaye dit « Le Petit Boul’ » à Saint-Josse.

Le public est essentiellement d’origine maghrébine, belge ou issu de la Communauté économique européenne (CEE). Il s’agit d’enfants âgés de 3 à 12 ans, d’adolescent.e.s de 13 à 18 ans et de jeunes adultes de 19 à 30 ans souvent en situation précaire ou marginalisé.e.s. Les principales demandes d’aide sont juridiques, administratives, pour l’apprentissage de la langue ou la recherche d’emploi, de logement.

Dès sa conception, l’association se place au cœur de la commune d’où son nom : « La RUElle »[9]. Une partie de la maison sert d’espace d’accueil, de salle de réunion pour certaines activités et pour la bibliothèque de rue. Ils attachent beaucoup d’importance aux relations avec les habitant.e.s du quartier et participent aux réunions du comité de quartier Saint-Alphonse.

Leur méthode de travail leur interdit de poser des questions sur l’identité, le parcours et les conditions de vie des personnes rencontrées dans la rue. Ils prennent connaissance de ces informations au fur et à mesure des rencontres et des discussions qu’ils ont avec eux[10]. Charles Vandervelden nous raconte :

« Lorsque l’on rencontrait un sans-abri, on prenait un rendez-vous au CPAS pour lui, s’il n’était pas là, on n’y allait pas pour lui ; c’était sa situation. On voulait bien donner un coup de main, remplir un papier pour lui mais c’était lui qui devait être responsable de lui-même, on ne se substituait pas »[11].

En effet, c’est un aspect très important dans la philosophie de l’association, elle ne déresponsabilise pas les personnes rencontrées de leur situation.

Une fondatrice : Yolande Gravis

Yolande Gravis, s.d. (CARHOP, La Ruelle asbl, série photos).

Yolande Gravis est née à Namur, le 17 juin 1954 et est décédée à Knocke-Heist le 1er mai 2019. Fille unique, nous avons peu d’informations sur son enfance et son adolescence. En 1974, elle obtient le titre de candidate en histoire, aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, à Namur. Le parcours « naturel » est de suivre la licence à l’Université catholique de Louvain. Il semble qu’elle ait obtenu sa licence en histoire de l’art. Dotée d’une grande sensibilité, d’une intelligence vive et éclairée et très attachée à la vie spirituelle[12], Yolande Gravis souhaite devenir religieuse. Elle effectue ses études universitaires au Centre d’études théologiques et pastorales (CETEP)[13], à l’Institut Lumen vitae (Bruxelles) ainsi qu’au Séminaire Cardinal Cardijn (SCC, à Jumet)[14]. Sa rencontre avec Jean-Claude Peto en décide autrement. Tout au long de sa vie, elle se consacre aux personnes les plus défavorisées et marginalisées et aux immigré.e.s avec une attention particulière donnée aux enfants afin de les aider à se scolariser.

Charles témoigne, c’est elle qui porte le projet de la bibliothèque de rue.

« L’idée est d’aller à la rencontre des gens (…) C’est le principe de la bibliothèque de rue (…) On prend les livres, on les met dans le petit sac à dos ou le petit caddy à roulettes, on va dans l’espace public, dans la rue, dans le petit parc de Liedekerke où il y a un kiosque. C’est bien parce que, quand il pleut ou il fait mauvais, on peut s’abriter (…) »[15].

Les bibliothèques de rue

Le concept des bibliothèques de rue est lancé par le Père Joseph Wresinski (1917-1988)[16]. Issu d’un père polonais et d’une mère espagnole, Joseph Wresinski connait la misère et l’humiliation de la charité dans son enfance. Le 29 juin 1946, il est ordonné prêtre. Après avoir beaucoup voyagé, il se propose pour aider les familles de Noisy-le-Grand dans un camp de sans-logis (Département de Seine Saint-Denis, France). C’est à ce moment, qu’il prend conscience de la grande misère qui peut frapper certain.e.s.

Le travail effectué par le Père Joseph est très novateur. Il refuse l’indifférence et l’assistanat et c’est sur ces principes que se base son travail. Afin de rendre de l’autonomie à ces personnes, il commence par créer un jardin d’enfants. S’ensuit la création d’une bibliothèque, d’une chapelle, d’un atelier pour adolescent.e.s, d’une laverie ou encore d’un salon d’esthétique. En effet, selon le Père Joseph, il est important de leur rendre leur autonomie et de leur permettre de prendre soin d’eux-mêmes. Avec l’aide de ces familles, il fonde l’association Aide à toute détresse (ATD), qui deviendra en 1969, le mouvement international ATD Quart Monde[17].

Si au départ, ATD travaillait pour un public d’une très grande précarité, la crise économique subie par les pays industrialisés dans les années 1970 a changé la donne et a instauré une gradation dans la pauvreté qui touche les populations.

La grande originalité du travail du Père Joseph Wresinski était de croiser l’ensemble des savoirs détenus tant par les personnes en situation de grande pauvreté, que par les chercheurs et les praticiens qui les accompagnent[18]. Pour ce faire, il instaure les universités populaires où les personnes racontent leur parcours de vie[19]. Apprendre à connaître l’autre, donner de la place à ses expériences et lui redonner accès à la société en l’humanisant est un travail qui est également soutenu par l’action des bibliothèques de rue dont il est également l’instigateur.

C’est en s’inspirant des principes des bibliothèques de rue d’ATD Quart monde que Yolande Gravis a instauré la bibliothèque de rue à Saint-Josse, complétée de nos jours par une ludothèque de rue. Elles sont libres, gratuites et ouvertes à tous et toutes. Il est important pour les enfants pauvres et moins pauvres de se côtoyer : « L’idée, c’est de provoquer des rencontres et d’apprendre aux gens le respect de vivre ensemble de manière générale »[20]. Les animateurs et animatrices emportent une sélection d’ouvrages dans leur sac à dos et vont à la rencontre du public sur les lieux qu’il fréquente (squares, cages d’escalier, coins de rue, etc.). Cette action est destinée aux enfants et à leurs familles, tout le monde y est accueilli avec bienveillance :

« L’idée de la bibliothèque, c’est que c’est vraiment pour tout le monde. Donc si un gamin va chercher sa maman et que celle-ci dit qu’elle ne sait pas lire, alors on s’assoit à côté et on lit pour le gamin et la maman (…) On n’impose rien, c’est vraiment la liberté. (…) à une certaine époque, lorsque l’on faisait cela de manière très régulière, des mamans nous attendaient (…) et alors il y avait tous les aspects de la convivialité parce qu’elles nous apportaient un petit gâteau puisque toutes nos activités sont gratuites. C’était une forme de remerciement et c’était vraiment une activité super[21] ».

Les livres proposés sont variés et choisis de manière philosophique, éthique et militante. Une attention toute particulière est donnée à l’égalité des genres dans les scénarios d’histoire. En effet, nombreux sont les livres dans lesquels les rôles des personnages principaux sont bien souvent hyperstéréotypés.

L’objectif est de partager des savoirs, de répondre à la soif d’apprentissage des plus jeunes, de leur offrir la possibilité d’exprimer leur créativité, de les ouvrir au partage de leurs expériences et de les guider vers l’émancipation d’une société trop souvent stigmatisante.

Les animateurs et animatrices se placent tous les midis devant les portes de deux écoles dont l’école Henri Frick[22], dans le parc de la rue de Liedekerke où il y a un petit kiosque, ainsi que sur le square, appelé familièrement le « Petit Boul’ » au cours des deux mois d’été. Cependant, l’école n’est pas solidaire du projet et considère que cela créée du désordre à la sortie. Les animateurs et animatrices ont donc arrêté les rendez-vous quotidiens durant les périodes scolaires tout en gardant leurs activités durant les vacances. Grâce à cette régularité, la bibliothèque de rue devient alors un pont vers l’extérieur (bibliothèques communales, centres sportifs, écoles, etc.). Par exemple, lors de la fête d’Halloween, tout le monde s’installe sous une tonnelle et la conteuse de la bibliothèque vient et lit des histoires en lien avec Halloween. Parfois, un éducateur apporte une guitare afin de mettre des histoires en chansons[23]. D’autres activités culturelles sont proposées telles que des ateliers créatifs, une sortie au musée ou du théâtre de rue.

animateur avec guitare, s.d. (CARHOP, fons La Ruelle asbl, série photos).
animateur avec guitare, s.d. (CARHOP, fons La Ruelle asbl, série photos).

Évolution du projet La Ruelle asbl

En 1996, La Ruelle asbl fait face à des problèmes financiers. Les fondateurs sont contraints de licencier les employé.e.s. Aidés par deux bénévoles, Jean-Claude Peto et Yolande Gravis maintiennent les activités de la bibliothèque de rue, les ateliers créatifs pendant les vacances scolaires ainsi que le travail de rue autour de la gare du Nord. En octobre de la même année, La Ruelle asbl déménage au numéro 20 de la rue Saint-Alphonse à 100 mètres de l’ancienne adresse. Ce déménagement permet à l’association, de devenir un lieu d’accueil. Grâce à une reconnaissance de l’Office national d’allocations familiales pour travailleurs salariés (ONAFTS), La Ruelle asbl développe l’aspect culturel de son travail et crée une école de devoirs. En 1997, Yolande Gravis devient la coordinatrice générale de l’association. En 2003, Jean-Claude Peto se retire des activités de l’association et, en 2011, Yolande Gravis, à son tour, quitte ses fonctions.

L’Ecole d’Ici

En 1998, l’association évolue et devient un Centre d’expression et de créativité (CEC) qui prendra le nom de « Ecole d’Ici »[24]. La bibliothèque de rue se développe grâce à la collaboration du Service Jeunesse de la Commune de Saint-Josse et de la bibliothèque communale. En revanche, le nombre d’ateliers diminue et, pour des raisons éthiques, l’école de devoirs est arrêtée.

« Évidemment, au cours du temps, l’idée de la bibliothèque de rue, dans la pratique, a évolué. À l’heure actuelle, on fait une bibliothèque de rue, mais on fait aussi une ludothèque de rue et on a un peu diversifié le type d’activités. Effectivement, la lecture, c’est pour notre projet institutionnel, central. Nous ne faisons plus d’école des devoirs pour des raisons presque éthiques. Il y a 20 ans au sein de l’équipe, on s’est interrogé pour savoir si on allait entrer dans le décret de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) pour ouvrir une école des devoirs reconnue ou pas. Nous estimions que rajouter des heures d’école après l’école, ce n’était pas pour nous le plus pertinent pour les enfants et les familles que nous accompagnons au quotidien. Et donc, en lieu et place de l’école des devoirs, on s’est orienté vers un secteur de l’éducation permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du sous-secteur des Centres d’expression et de créativité »[25].

À partir de 1999, les activités d’expression créative se développent. Ce choix leur permet de rester au plus près des techniques utilisées par le Père Joseph Wresinski pour aider les personnes les plus pauvres à exprimer leur créativité, leur vécu et à trouver une place dans la société. Par ailleurs, les activités sont pensées en lien avec les lectures. Par exemple, un été, l’objectif de l’atelier créatif est d’élaborer un livre pop-up de grande taille et c’est une bibliothèque de livres pop-up qui a été réalisée !

« On associe la bibliothèque de rue aux ateliers créatifs de rue, on utilise la bibliothèque de rue comme ressource pour apporter un peu de l’imaginaire aux gamins et pour avoir vraiment un point de départ »[26].

Dès l’année suivante, des projets plus artistiques pour les enfants prennent place. Une exposition est organisée reprenant tous les travaux des enfants réalisés lors de ces ateliers créatifs[27]. Celle-ci est également un moment de rencontre entre les familles et l’équipe d’animation[28].

« Depuis, nous avons obtenu une reconnaissance décrétale et sommes officiellement un CEC. Il y a une échelle à 4 niveaux et nous sommes sur le 3e niveau, donc relativement une grosse structure dans l’organisation des centres d’expression et de créativité »[29].

« Porter la créativité dans les familles où la vie la place au-delà de toutes préoccupations quotidiennes est le résultat d’un effort soutenu, d’un investissement total. Nous pensons que le développement personnel par l’acquisition de moyens d’expression artistique et l’outil culturel à forte valeur ajoutée peut être un petit remède contre le sentiment d’exclusion et de mal vivre dans une société où le fossé entre quelques très aisés et les plus pauvres, de plus en plus nombreux, ne cesse de grandir »[30].

Création « bonhomme sur fond bleu » costume traditionnel revisité, [2011] (CARHOP, fonds La Ruelle asbl, sans cote).

La Ruelle asbl face à son institutionnalisation

À l’origine, La Ruelle asbl est un projet de vie communautaire, dans l’esprit d’un Kibboutz tel que l’a connu Jean-Claude Peto lors de ses voyages, mais progressivement, le statut de l’association change. Son travail de terrain est valorisé et est soutenu financièrement par diverses autorités publiques. La Ruelle asbl obtient sa reconnaissance par la Fédération Wallonie-Bruxelles en tant que CEC.

Décret des Centres d’expression et de créativité

« Les Centres d’expression et de créativité, familièrement appelés les CEC, sont des structures permanentes proposant de nombreux ateliers dans de multiples disciplines. Ils s’adressent à tous les publics et tous les âges et développent leur activité en lien avec le contexte social, économique et culturel des populations concernées. Par le biais de démarches créatives et une articulation à leur environnement, ils réalisent des projets socio-artistiques et d’expression citoyenne[31] ».

L’association est un opérateur local dans le plan de Cohésion sociale de la commune de Saint-Josse. L’association reçoit également des contributions de la Commission communautaire française (COCOF), le Fonds de cohabitation et intégration de la Commune de Saint-Josse, le Fonds d’impulsion à la politique des immigrés (FIPI), des aides à l’emploi (ACTIRIS) et le soutien de la Région Bruxelles-Capitale (Administration de l’aménagement du territoire et du logement – direction de la rénovation urbaine) ainsi que des dons de personnes privées et le soutien de la Fondation Roi Baudouin pour certains de ses projets.

À côté des bénévoles et des stagiaires, elle embauche des salarié.e.s. La législation évolue aussi et précise, avec notamment les accords dits du non marchand, les obligations des employeurs du secteur socio-culturel. Il n’est plus question désormais de laisser travailler les permanent.e.s, sans référence à des barèmes salariaux et sans limite d’heures. Les subsides réguliers permettent la pérennisation des emplois et un meilleur statut pour les collaborateurs et collaboratrices, mais ce n’est pas sans conséquence sur la dynamique du projet.

Les accords du non marchand

Les accords du non marchand (ANM) formalisent un accord passé entre le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, le Collège de la Commission communautaire française, le Collège de la Commission communautaire flamande, les représentant.e.s des travailleurs, ainsi que les représentant.e.s des pouvoirs organisateurs des secteurs financés par la COCOF relevant de l’aide aux personnes, de la politique des personnes handicapées, de la santé et de l’insertion socioprofessionnelle. Le premier décret du non marchand date du début des années 2000[32]. Son objectif vise à harmoniser les barèmes des travailleurs et travailleuses sociaux afin de favoriser leur mobilité, à rendre le secteur socio-culturel plus attractif et à soutenir les associations dans la réalisation de leurs missions. De nombreux services et activités tels que le culturel, la santé, le social et l’environnement sont repris dans le secteur non marchand et pour la plupart, sous la forme juridique de l’association sans but lucratif (asbl)[33].

Le travail en réseau

Tout au long de son existence, La Ruelle asbl a noué de nombreux partenariats avec d’autres associations, des services publics régionaux, fédéraux ou communaux, avec des artistes, des animateurs, sans oublier l’aide précieuse apportée par les nombreux bénévoles et les stagiaires[34]. Généralement, ceux-ci proviennent du Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA, Bruxelles et Liège)[35] ou du Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI)[36], qui dispensent des formations en animation de rue et de quartier. D’autres sont de futur.e.s assistant.e.s sociaux de l’Institut supérieur de formation sociale et de communication (ISFSC, Bruxelles)[37], de l’Institut Cardijn (HELHa, Louvain-la-Neuve)[38] ou de la Haute école libre de Bruxelles (HELB Ilya Prigogine, Bruxelles)[39]. Les bénévoles quant à eux, sont des jeunes issu.e.s du quartier qui passent chez eux et qui restent en contact, comme nous l’explique Charles Vandervelden :

« Je me souviens de Dayan, c’est un jeune turc qui est venu à nos ateliers créatifs, il a grandi et doit avoir aujourd’hui 17 ou 18 ans et il a fait l’école hôtelière et la cuisine (…) à l’époque, nous organisions un petit cabaret une fois par an et au début, il y avait un repas associé (…) Un jour, il vient et me dit qu’il va me donner un coup de main puisque c’est ce qu’il apprend à l’école et, de fil en aiguille, il s’est impliqué »[40].

En 2006, la mise à jour du texte législatif du décret des CEC répartit les différents centres en deux catégories en fonction de leurs activités et de la qualité de celles-ci[41]. Des subventions supplémentaires leur seront octroyées. De plus, la COCOF modifie son système de financement et regroupe certaines activités telles qu’été-Jeunes, Action sociale et Cohabitation–Intégration en un projet global dénommé « Cohésion sociale » pour une durée de 5 ans. Ce qui leur assure une certaine sécurité pour une plus longue période.

Entre 2009 et 2014, les secteurs « Cohésion sociale » et « CEC » sont régis par un nouveau décret[42]. Afin d’être encore reconnue, La Ruelle asbl doit s’adapter aux nouvelles exigences qui règlent le cadre de travail, ses modalités ainsi que les missions.

La Ruelle aujourd’hui : le projet continue   

Lors de notre interview, Charles Vandervelden nous explique qu’ils sont dans une certaine incertitude quant à la situation de l’association et à la prolongation de ses activités. En septembre, la nouvelle directrice, madame Leila Bouysran prend le relais. À l’heure actuelle, la maison plutôt vétuste, est mise en vente. Les cinq membres de l’équipe s’installent non loin de là, au numéro 103 de la rue des Deux églises dans un local mis à leur disposition par la Commune et développent les activités dans d’autres lieux. Après près de 30 années de présence dans le quartier, la volonté d’agir par la culture reste intacte. Même si les conditions et le contexte sont différents, le public répond présent. Laissons à Loubna le dernier mot avec ce témoignage sur cette fabuleuse découverte que sont la lecture et le livre.

« Avant je trouvais que tous ces livres, ça prenait de la place dans la maison pour rien. Maintenant, j’ai compris : cela aide pour l’école, mais pas seulement, mais pour vivre aussi ». (Loubna, 11 ans)[43].

Liste des abréviations

  • ANM : accords du non marchand
  • ASBL : association sans but lucratif
  • ATD : Aide à toute détresse
  • CBAI : Centre bruxellois d’action interculturelle
  • CEC : Centre d’expression et de créativité
  • CEE : Communauté économique européenne
  • CEMEA : Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active
  • CETEP : Centre d’études théologiques et pastorales
  • COCOF : Commission communautaire française
  • FIPI : Fonds d’impulsion à la politique des immigrés
  • HELB Ilya Prigogine : Haute école libre de Bruxelles Ilya Prigogine
  • HELHa : Haute école Louvain en Hainaut
  • ISFSC : Institut supérieur de formation sociale et de communication
  • ONAFTS : Office national d’allocations familiales pour travailleurs salariés
  • ONE : Office de la naissance et de l’enfance
  • SCC : Séminaire Cardinal Cardijn

Notes

[1] LA RUELLE asbl (éd.), Des espoirs, des vies, Bruxelles, La Ruelle asbl, 2001, p. 51.
[2] CARHOP, Interview de Charles Vandervelden par Marie-Thérèse Coenen et Josiane Jacoby, Bruxelles, 7 avril 2021.
[3] DENISTY D., « Notre Village Asbl », Bruxelles, ULB, Rapport de stage de deuxième licence interfacultaire en travail social, inédit, 1983, 65 p.
[4] BAREZ L., GIELE F., « Projet pédagogique, secteur projets », Saint-Josse-ten-Noode, Notre Village asbl, mars 1990, p. 6-7.
[5] Les grandes entreprises du brabant flamand, Bruxelles, CRISP, 1996 (Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1518), p. 9, https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-1996-13-page-1.htm, page consultée le 22 novembre 2021.
[6] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Archives personnelles Jean-Claude PETO et Yolande GRAVIS », S.A. RANK XEROX International LTD, Branch Antwerp News, 1974, p. 2-3.
[7] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Coordination », Projet global de La Ruelle, Bruxelles, 1991.
[8] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Coordination », Notre Village asbl, Identification de l’association, 1990-1991.
[9] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Coordination », Rapport des activités, Bruxelles, 2000, p. 69.
[10] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Coordination », Rapport des activités, Bruxelles, 1991, p. 10.
[11] CARHOP, Interview de Charles Vandervelden par Marie-Thérèse Coenen et Josiane Jacoby, Bruxelles, 7 avril 2021.
[12] POLIS M.P., « Funérailles de Yolande Peto-Gravis, le 10 mai 2019 », Lettre de Wavreumont, n° 150, avril-mai-juin 2019, p. 4, http://www.wavreumont.be/wp-content/uploads/2019/06/150.pdf, page consultée le 29 octobre 2021.
[13] Archidiocèse de Malines-Bruxelles, Belgique.
[14] Le Séminaire Cardinal Cardijn est créé en 1967 pour la formation des prêtres issus des milieux populaires. Il devient en 1991, le Centre de formation Cardijn (CEFOC), pour la formation des laïcs et laïques. Voir TONDEUR J., Le CEFOC. Partie 2 : Le CEFOC, grain de sel, grain de sable, Bruxelles, CARHOP, 2015, https://www.carhop.be/images/Cefoc2_2015.pdf, page consultée le 1er décembre 2021.
[15] CARHOP, Interview de Charles Vandervelden par Marie-Thérèse Coenen et Josiane Jacoby, Bruxelles, 7 avril 2021.
[16] « Père Joseph Wresinski (12 février 1917-14 février 1988). Biographie », dans Centre Joseph WRESINSKI, Joseph Wresinski. Tout est né d’une vie partagée, 2021, https://www.joseph-wresinski.org/fr/biographie/, page consultée le 27 octobre 2021.
[17] L’expression « quart-monde » est créée à partir du mélange entre le concept de tiers-monde d’Alfred Sauvy (1898-1990) et de l’ouvrage Cahiers du Quatrième Ordre, écrit en 1789 par L.P. Dufourny de Villiers (1739-1796). Le Quatrième Ordre faisait alors référence à un quatrième état, celui des personnes qui, de par leur grande pauvreté, n’appartenaient ni au tiers état, ni à la noblesse, ni au clergé. Voir : BRODIEZ-DOLINO A., « Wresinski et la lutte contre la misère. De la connaissance à la reconnaissance », Études, 2017/10, p. 8-12, https://www.cairn.info/revue-etudes-2017-10-page-8.htm, page consultée le 1er décembre 2021 ; ATD Quart Monde – Agir tous pour la Dignité. Mouvement international, Page d’accueil du site Internet, 2021, atd-quartmonde.org, page consultée le 27 octobre 2021.
[18] SARTHOU-LAJUS N., « Wresinski à Cerisy », Études, 2017/10, p. 4-6, https://www.cairn.info/revue-etudes-2017-10-page-4.htm, page consultée le 1er décembre 2021.
[19] LORIAUX F., TONON T., « Les universités d’ATD Quart monde : le savoir de la grande misère », Dynamiques, Histoire sociale en ligne, n°5-6, mars-juin 2018 : http://www.carhop.be/revuescarhop/wp-content/uploads/2018/03/20180330_ATD_Quart_monde-1.pdf, page consultée le 1er décembre 2021.
[20] CARHOP, Interview de Charles Vandervelden par Marie-Thérèse Coenen et Josiane Jacoby, Bruxelles, 7 avril 2021.
[21] CARHOP, Interview de Charles Vandervelden par Marie-Thérèse Coenen et Josiane Jacoby, Bruxelles, 7 avril 2021.
[22] Sise 57, rue Braemt à 1210 Saint-Josse-ten-Noode
[23] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Coordination », Rapport des activités, Bruxelles, 1992, p. 7.
[24] Le terme « Ecole d’Ici » vient d’un petit garçon âgé de 6 ans qui a déclaré « à l’école d’Ici, on lit, on travaille, on écrit ». L’école d’Ici est un lieu de formation permanente. Voir : CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Instances », Rapport des activités, Bruxelles, 2003, p. 69.
[25] CARHOP, Interview de Charles Vandervelden par Marie-Thérèse Coenen et Josiane Jacoby, Bruxelles, 7 avril 2021.
[26] CARHOP, Interview de Charles Vandervelden par Marie-Thérèse Coenen et Josiane Jacoby, Bruxelles, 7 avril 2021.
[27] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Coordination », Rapport des activités, Bruxelles 2009, p. 55.
[28] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, Carnet de l’expo 2011, Saint-Josse. p. 2.
[29] CARHOP, Interview de Charles Vandervelden par Marie-Thérèse Coenen et Josiane Jacoby, Bruxelles, 7 avril 2021.
[30] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, Carnet de l’exposition 2011, Saint-Josse, 2011, p. 2.
[31] Fédération Wallonie-Bruxelles, Education Permanente, service de la créativité et des pratiques artistiques en amateur, Les Centres d’expression et de créativité, http://www.educationpermanente.cfwb.be/index.php?id=4088, page consultée le 29 octobre 2021.
[32] UNIPSO, Les accords non-marchands, 2007 – révision 2010, http://www.unipso.be/spip.php?rubrique47, page consultée le 25 novembre 2021.
[33] CRISP, « Secteur non marchand », Vocabulaire politique, 2021, https://www.vocabulairepolitique.be/secteur-non-marchand/, notice en cours de mise à jour, page consultée le 25 novembre 2021.
[34] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Coordination », Rapport des activités, Bruxelles, 2010, p. 53.
[35] Site Internet disponible à l’adresse : https://www.cemea.be/, page consultée le 9 novembre 2021.
[36] Site Internet disponible à l’adresse : https://www.cbai.be/, page consultée le 9 novembre 2021.
[37] Site Internet disponible à l’adresse : https://www.isfsc.be/, page consultée le 9 novembre 2021.
[38] Site Internet disponible à l’adresse : https://www.institutcardijn.be/, page consultée le 9 novembre 2021.
[39] Site Internet disponible à l’adresse : https://www.helb-prigogine.be/, page consultée le 9 novembre 2021.
[40] CARHOP, Interview de Charles Vandervelden par Marie-Thérèse Coenen et Josiane Jacoby, Bruxelles, 7 avril 2021.
[41] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Coordination », Rapport des activités, Bruxelles, 2005, p. 59.
[42] CARHOP, fonds La Ruelle asbl, dos. « Coordination », Rapport des activités, Bruxelles, 2009, p. 101.
[43] La Ruelle asbl (éd.), Des espoirs, des vies, Bruxelles, La Ruelle asbl, 2001, p. 51.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

PINON C., « Des livres à lire, des histoires à partager : l’aventure de l’Asbl La Ruelle », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°17 : 1858-2021. Quand la bibliothèque (s)’émancipe !, décembre 2021, mis en ligne le 17 décembre 2021. www.carhop.be/revuescarhop/.

Lecture pour tous. Un album à feuilleter, un passé à découvrir, un enjeu du présent

PDF

Une lecture commentée de Florence Loriaux
(historienne, HELMo)

Jean-Jacques Messiaen, Lecture pour tous. Une histoire des initiatives de la Province de Liège en matière de lecture publique, Liège, Éditions de la Province de Liège, 2021.

L’ouvrage qu’il nous a été demandé de référencer est déconcertant à plus d’un point de vue. Il est déconcertant par sa belle facture typographique et sa taille inhabituelle qui le classe d’emblée dans une catégorie d’ouvrages rares : 194 pages au format 23X27 qui fait davantage penser à un magazine qu’à un livre classique ou à un ouvrage scientifique.

Il est déconcertant par sa richesse iconographique exceptionnelle : des centaines de gravures, de photos, de couvertures d’ouvrages, de portraits de personnalités ayant joué un rôle dans la culture, de programmes de manifestations publiques, produits au cours des 150 dernières années et dont la plupart sont inédits.

Il est déconcertant par le fait qu’il est centré sur l’action de provinces constituant une entité territoriale politique plutôt méconnue et dont la plupart de nos concitoyen.ne.s ignorent les prérogatives et même parfois l’existence. D’autant plus que dans le cas de cet ouvrage seule la Province de Liège est traitée et ses réalisations mises en exergue.

Mais ce qui est souvent le plus mal perçu, c’est que les provinces font corps avec la connaissance et la culture à travers le réseau dense des bibliothèques qu’elles gèrent et animent. C’est un lieu commun de rappeler que les bibliothèques ont été depuis des temps immémoriaux les réservoirs de connaissances et de savoirs de l’humanité. Si l’on oublie la bibliothèque d’Alexandrie considérée comme la plus importante dans l’Antiquité, chaque grand pays actuel peut se prévaloir d’une bibliothèque qui brille au firmament de ses édifices publics les plus remarquables, comme la bibliothèque du Congrès à Washington considérée comme la plus grande du monde avec ses 38 millions de références.

La meilleure preuve du rôle crucial du livre est l’acharnement que des forces occultes mettent parfois dans les conflits armés à détruire les livres et les édifices qui les abritent, comme on en a connu des exemples avec les autodafés pratiqués par les nazis en Allemagne et en Autriche dans les années 1930, preuve que les livres sont parfois plus redoutés que les canons.

Mais en dehors de ce rôle historique de conservatoire des connaissances qui se poursuit en se complexifiant au fur et à mesure de la progression de sauvegarde technologique de l’information de plus en plus performante…

Les bibliothèques remplissent à partir de la deuxième moitié du 19e siècle un nouveau rôle de soutien de la culture populaire à travers leurs initiatives de formation permanente des populations. Ces projets d’éducation et plus tard d’émancipation des catégories sociales défavorisées vont d’ailleurs prendre le pas sur les tâches quotidiennes d’entretien et de préservation des collections de plus en plus autonomes. Mais il faut toutefois reconnaître que la Belgique n’a pas eu un rôle de leader en matière de lecture publique en comparaison avec les pays scandinaves, les Pays-Bas ou l’Angleterre et que ce sont d’abord des milieux progressistes qui engagent les premiers le combat et encouragent l’État à intervenir.

En Belgique, cette participation doit attendre des années pour qu’un dispositif soit adopté à cause sans doute d’un manque de moyens financiers mais aussi à cause d’un manque de volonté politique de les chercher. C’est grâce à la loi Destrée de 1921 qu’est franchie une première étape en faveur des bibliothèques pour tous, bien qu’il faille encore attendre un demi-siècle pour qu’un décret de 1978 assure la mise en place d’une véritable politique coordonnée et planifiée. Quel chemin parcouru depuis les origines de la lecture publique.

L’événement fondateur de la Province de Liège semble bien être la création en 1725 d’une première bibliothèque dont on ignore si elle est réellement publique et accessible à tous et à toutes ou restée à usage privé. Quoiqu’il en soit, c’est seulement à partir de la fin du 19e siècle (1860) que les provinces voient leur rôle se préciser en matière d’enseignement et que se produit dans la foulée le véritable essor des bibliothèques populaires grâce à l’initiative du ministre de l’Intérieur de l’époque Alphonse Vandenpeereboom (1812-1884) qui suggère dans une circulaire adressée en 1862 aux gouverneurs de province « qu’il serait heureux que bientôt dans chaque commune à côté de l’école soit créée une bibliothèque populaire qui en est le véritable complément »[1].

L’appel est entendu par la Province de Liège où les initiatives se multiplient rapidement même si la première bibliothèque compte moins de 400 ouvrages et qu’elle doit s’installer jusqu’en 1904 au premier étage du bâtiment abritant la halle aux viandes. Preuve que les nourritures terrestres peuvent parfois faire bon ménage avec les nourritures intellectuelles.

Toujours est-il qu’à la fin du 19e siècle, la Province de Liège peut se féliciter d’accueillir sur son territoire pas moins de 45 bibliothèques populaires en activités là où les autres provinces wallonnes annoncent des scores beaucoup plus modestes. Depuis, les bibliothèques doivent adapter leurs actions à des contextes environnementaux changeants et la Province de Liège n’échappe pas à ces contraintes : guerres, grèves, mouvements sociaux, crises économiques et financières, recomposition des structures politiques, réforme de l’État… Ces transformations ont parfois des effets positifs en développant de nouvelles activités mais parfois aussi des effets négatifs de blocage de projets en cours. Parmi les transformations obligées, on citera les relocalisations spatiales des bâtiments avec parfois une réelle tendance avant-gardiste comme c’est le cas avec la création de la Maison des loisirs de Seraing en 1921. Actuellement, c’est le site des Chiroux à une encablure du pont Kennedy qui remplace les installations de la rue Darchis. Cependant son sort est déjà scellé avec la future installation en Outremeuse sur l’ancien site de l’hôpital de Bavière.

En dehors de l’aspect architectural résolument novateur du bâtiment destiné à accueillir la bibliothèque publique du 21e siècle, la question qui se pose avec une réelle intensité est de savoir comment la bibliothèque publique qui franchit déjà une métamorphose importante en passant d’une fonction prioritaire de conservatoire de connaissances à celle d’instrument d’éducation, d’outil d’affranchissement et finalement de lieu de vie réussira à affronter les nouveaux défis imposés par l’introduction dans l’équation sociétale de nouvelles contraintes. Jean-Jacques Messiaen ne peut bien entendu pas apporter de réponse à ces interrogations mais il a au moins le grand mérite d’ouvrir des perspectives.

Prix 20 €, en vente uniquement en librairie, en signe de soutien au secteur du livre.

Notes
[1] Bulletin administratif du ministère de l’Intérieur, t. XVI, 1863, p. 538-539.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

LORIAUX F., « Lecture pour tous. Un album à feuilleter, un passé à découvrir, un enjeu du présent », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°17 : 1858-2021. Quand la bibliothèque (s)’émancipe !, décembre 2021, mis en ligne le 17 décembre 2021. www.carhop.be/revuescarhop/.