L’école des devoirs du CASI-UO, une activité seconde mais pas secondaire

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Julien Tondeur (historien, CARHOP asbl)

C’est dans la commune bruxelloise d’Anderlecht que débute, il y a cinquante ans, l’aventure du Centre d’action sociale Italien-Université ouvrière, plus généralement appelé par son acronyme CASI-UO ou tout simplement « le CASI ».[1] Aujourd’hui association d’éducation permanente, centre culturel et école de devoir (EDD), le CASI-UO est lancé en 1970 par une petite équipe militante italienne venue poursuivre ses études en Belgique à la fin des années 1960. Leur souhait est de favoriser l’émancipation culturelle des travailleurs et travailleuses immigré.e.s, principalement en provenance d’Italie. Dans le sillage de l’Université ouvrière[2], à destination des jeunes adultes, le CASI-UO crée dès 1973 une école des devoirs. Si elle initie cette démarche, c’est parce que l’équipe du CASI prend conscience que l’école reproduit les rapports de domination ainsi que les inégalités sociales et de classe présents dans la société. De l’avis de l’équipe, les jeunes issu.e.s de l’immigration en sont les premières victimes. Le cinquantième anniversaire du CASI-UO représente aujourd’hui une belle opportunité pour demander à Teresa Butera, actuelle directrice de l’association, et elle-même issue du parcours de formation interne au CASI, de jeter un regard dans le rétroviseur et de nous parler du passé, de l’évolution mais également du futur de l’école des devoirs. Son récit est complété, pour la période récente, par celui de Giulio Iacovone, actuel responsable de l’école des devoirs.

Les débuts de la « doposcuela » anderlechtoise

    • L’arrivée de Teresa

Aujourd’hui, aborder l’histoire du CASI-UO, c’est inévitablement raconter aussi celle de Teresa. Notre interlocutrice débarque au milieu des années 1970 en Belgique. Elle ne se rappelle pas exactement la date parce que, dit-elle, « ça a été vraiment un déchirement assez profond et je ne veux plus me souvenir de tout cela. Je n’étais pas contente d’être là »[3]. Comme beaucoup d’immigré.e.s en provenance d’Italie qui atterrissent à Bruxelles, elle se retrouve à Cureghem. Quartier historique de l’est de la commune d’Anderlecht, physiquement coincé entre le canal de Bruxelles-Charleroi et les cinémas pornographiques qui jouxtent la gare du Midi, Cureghem a, de l’avis de Teresa, l’allure d’un ghetto. Par sa position et son passé industriel, Cureghem possède une tradition d’accueil des populations immigrées. Sur une superficie de moins de deux kilomètres carrés, de nombreuses nationalités, italienne, grecque, turque, espagnole ou marocaine s’y croisent déjà.[4] La communauté italienne y est importante. Dans une analyse publiée en 1978, le CASI-UO décrit le quartier comme « un monde qui pourrait être intéressant, s’il n’était pas le concentré des contradictions et de la rage de tous ces peuples »[5].

La gare de Cureghem, dès la fin du 19eme siècle, représente un point d’entrée sur le quartier pour les populations ouvrières. ABEELS G., Anderlecht en cartes postales anciennes, cinquième édition, Bibliothèque européenne, s.d, Zaltbommel, p.9.

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Le Groupe d’entraide scolaire (GES) : une initiative de Bouillon de cultureS asbl

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Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

Bouillon de cultureS asbl naît au début des années 1980 à l’initiative de quelques habitant.e.s du quartier Josaphat, situé à cheval sur Schaerbeek et Saint-Josse-ten-Noode. Au départ, Vincent Kervyn, objecteur de conscience qui effectue son service civil à SOS Jeunes, son épouse Marie Antoine, Jean-Pierre Demulder, curé de la paroisse Sainte-Marie, et des travailleurs sociaux ouvrent en juin 1980 « La Cantine de l’Olivier », au numéro 63 de la rue l’Olivier. C’est un petit restaurant populaire, tenu par des bénévoles, qui offre la possibilité de prendre un repas sur le temps de midi. « Le pari consistait à espérer que des conversations autour d’un verre de thé ou d’une omelette marocaine naîtraient des projets portés par les habitants »[1]. Ouvert à tous, il permet de tisser des liens notamment entre les acteurs sociaux des quartiers avoisinants mais aussi avec les ouvriers de l’imprimerie située Impasse de l’Olivier[2]. « L’art ou le plaisir de manger ou de donner à manger est resté une composante essentielle du projet »[3]. En 1982, La Cantine devient une asbl dont l’objet social qui se résume en quelques mots, est « la promotion sociale et culturelle du quartier et des éléments qui le composent »[4]. Elle obtient des postes de travail dans le cadre des plans de résorption de chômage (ACS-TCT[5]).

La Cantine mobilise les habitant.e.s et les forces militantes associatives alternatives qui fleurissent à Schaerbeek. L’époque est à la résistance face à un pouvoir communal, placé sous le joug de Roger Nols[6], bourgmestre depuis 1970, qui mène une politique ouvertement xénophobe et raciste. Il refuse, par exemple en 1981, d’inscrire les étrangers dans les registres de population car ils sont, d’après lui, responsables de la détérioration des quartiers, de l’insécurité, de la malpropreté, de la baisse de qualité de l’enseignement public et de la croissance du chômage. Face à ces dégradations, il décide, par exemple, d’instaurer un couvre-feu pendant le Ramadan. De plus, la commune ne fait rien pour améliorer les conditions de vie des habitants de ces quartiers autour de la gare du Nord-quartier Josaphat. En réaction à cette politique communale, les habitant.e.s se mobilisent. Schaerbeek devient un vivier d’initiatives diverses et un terreau fertile de la contestation urbaine démocratique et antiraciste polarisée par la campagne d’Objectif 82 (en faveur du droit de vote aux élections communales pour les étrangers) et la création d’un rassemblement politique, « Démocratie sans frontière », pour ne citer que quelques exemples.

En 1987, La Cantine quitte la rue l’Olivier pour la rue Josaphat et prend le nom de Bouillon de cultureS, une entreprise d’insertion par le travail en restauration et un service traiteur, rebaptisé « Sésam’ » en 2000, à l’occasion de l’installation du restaurant dans sa nouvelle implantation, à côté du parc Rasquinet. Appartenant au secteur de l’économie sociale, elle est reconnue, en 2008, comme initiative locale de développement de l’emploi (ILDE) avec, pour objectif premier, l’insertion socio-professionnelle de personnes difficilement plaçables sur le marché de l’emploi.

Le premier projet culturel éducatif est proposé en 1985 par Vladimir Simić, un artiste peintre yougoslave, habitant l’impasse, la petite rue l’Olivier. Il propose d’organiser un atelier créatif pour les enfants, une « Académie des Beaux-Arts pour les enfants de la rue » comme il se plaisait à l’appeler. Il en sera la cheville ouvrière. Grâce à l’autofinancement de La Cantine, les moyens sont rassemblés pour louer deux pièces au-dessus de l’école primaire Saint-Joseph, au numéro 94 de la rue l’Olivier, et acheter le matériel. Les ateliers Aurora sont lancés. Ils sont reconnus en 1990 comme centre d’expression et de créativité. Les enfants participent également à des excursions et à des camps. Par la suite, pour répondre à une forte demande des familles, Aurora organise également un accompagnement scolaire pour les enfants de 6 à 12 ans, avec le soutien de la Zone d’éducation prioritaire (ZEP)[7].

En 1986, quelques étudiant.e.s universitaires qui habitent le quartier, démarrent le soutien scolaire aux jeunes d’abord à domicile, ensuite dans les locaux de La Cantine. En 1988, sous l’impulsion de Dominique Dal qui rejoint l’équipe des animateurs et prend la fonction de coordinateur, l’école de devoirs prend le nom de Groupe d’entraide scolaire (GES).

Suite à la fermeture de l’école Saint-Joseph, Bouillon de cultureS occupe tout le bâtiment mais celui-ci devient rapidement trop petit pour accueillir toutes les activités. En 1999, avec deux autres partenaires, l’association a l’opportunité d’acquérir l’ancienne école primaire Sainte-Marie, située à la rue Philomène[8]. Cette très petite association est devenue aujourd’hui, une entreprise de taille moyenne qui occupent près de 50 salarié.e.s, des dizaines de bénévoles, des centaines de participant.e.s, et elle entretient de nombreux partenariats dans le quartier, la commune de Schaerbeek et la Région de Bruxelles-Capitale.

Affiche annonçant la journée Portes ouvertes du 18 mai 2013 à Bouillon de cultureS, Schaerbeek, 2016 (Bouillons de cultureS, publication sur Facebook : https://www.facebook.com/BouillondecultureS/photos/653817764756826)

Dans le secteur du soutien scolaire, Bouillon de cultureS développe des projets adaptés en fonction des âges. Il y a Aurora qui s’adresse aux enfants de 6 à 12 ans. En 2000, une nouvelle section, « @touts possibles », s’adresse aux adolescents de 12 à 15 ans, mais son soutien scolaire n’est qu’une des facettes des activités proposées[9] à ces jeunes qui naviguent entre

Affiche annonçant l’exposition organisée par Aurora, la structure d’accueil extrascolaire de Bouillon de cultureS du 16 novembre au 9 décembre 2018, Schaerbeek, 2018 (Bouillon de cultureS, publication sur Facebook : https://www.facebook.com/BouillondecultureS/posts/1204017453070185/

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Mobilisations associatives contre les politiques de R. Nols à Schaerbeek

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BEN FREDJ Mohamed (Étudiant, ISCO-CNE)
FANNI Anna (Étudiante, ISCO-CNE)

Que se passe-t-il à Schaerbeek en 1986 ? Qui est Roger Nols ? Pourquoi vote-t-il une ordonnance qui cherche à prévenir un cas de péril imminent, mais qui restreint, dans le même temps, certaines libertés fondamentales ? Comment se structurent les mobilisations associatives et citoyennes dans cette commune ?

Le déroulé des événements à Schaerbeek prend place dans un contexte plus global. Suite à la crise économique des années 1970, le nombre d’emplois disponibles diminue. De plus en plus d’immigrés se retrouvent alors dans des situations de précarité. Ceux-ci sont concentrés dans les grands centres urbains, désertés par la population belge qui leur préfère la périphérie des villes. On crée des autoroutes urbaines pour faciliter les trajets entre le centre et la périphérie, et ces changements urbanistiques s’accompagnent de spéculation immobilière dans certains quartiers populaires. Ainsi, la crise économique renforce les mutations sociologiques des villes, et les années 1970 et 1980 sont marquées par de vifs débats concernant l’intégration des populations étrangères.

Au niveau législatif, la Belgique suit deux dynamiques bien distinctes. D’une part, elle restreint les conditions d’accès au territoire, et d’une autre, elle réfléchit aux moyens d’intégrer les personnes d’origine étrangère qui sont déjà présentes. Ainsi, dès 1974, elle décide de mettre un terme à l’immigration économique en stoppant notamment le recrutement de main-d’œuvre étrangère par contingent. Parallèlement, il faut permettre aux personnes légalement installées sur le territoire de trouver leur place dans la société belge. Plusieurs lois sont votées à cet effet. Celle du 15 décembre 1980 fixe les conditions d’accès « au territoire, au séjour, à l’établissement et à l’éloignement des étrangers ». Elle offre aux étrangers un véritable statut administratif. L’année suivante, le 30 juillet 1981, la loi « Moureau » précise quels types de comportements racistes ou xénophobes sont réprimés et peuvent faire l’objet d’une plainte. Plus tard, le 28 juin 1984, la loi « Gol » institue le Code de la nationalité belge. Elle facilite l’acquisition de la nationalité, ce qui permet aux étrangers de bénéficier des droits et des devoirs du Citoyen. Cela a notamment son importance concernant l’exercice du droit de vote puisque la Constitution n’autorise pas les personnes n’ayant pas la nationalité belge à voter. Cela étant, ces changements législatifs atténuent sans pour autant faire disparaître les tensions culturelles et sociales créées par la crise économique.

La période « nolsiste » à Schaerbeek peut être vue comme un effet de loupe par rapport à ce qu’il se passe à Bruxelles durant cette période. En effet, des décisions communales stigmatisent de plus en plus la population étrangère vivant sur son territoire. En réaction, de nombreuses mobilisations citoyennes et associatives voient le jour, puis tendent à se regrouper. Aujourd’hui, Schaerbeek bénéficie encore de la vivacité de cette vie associative.

Les événements qui émaillent cette période sont tellement nombreux qu’il est ardu d’en dessiner tous les ressorts. La présentation orale souffre donc d’ellipses dans la description des événements. Pour suivre les réflexions des étudiant.e.s sans pour autant perdre ce qui anime leur propos, des liants sont ajoutés ici pour la mise en récit. Sélectionnant quelques événements clefs, les auteur.e.s présentent la commune et ses acteurs. Il et elle développent ensuite quelques événements choisis qui sont selon elles et eux marquant pour cette période. Enfin, il et elle concluent sur les enjeux démocratiques qui accompagnent cette histoire. Voici le fruit de leurs recherches et réflexions.

Amélie Roucloux, formatrice

Rapide aperçu historique du sujet

L’histoire se déroule dans la commune de Schaerbeek. Située au Nord de Bruxelles, cette dernière est composée de nombreux quartiers populaires. En 1980, elle compte près de 109.000 habitants. Elle est alors la deuxième commune la plus peuplée de la Capitale. Près de 30.000 personnes d’origine étrangère y habitent, celles-ci sont majoritairement marocaines et turques. En 2010, Jan Hertogen réalise une étude qui évalue le pourcentage de la population musulmane en Belgique. À Schaerbeek, il s’élève à hauteur de 38,5%. Afin de ne pas superposer arbitrairement origine ethnique et confession religieuse dans son étude, le chercheur établit un coefficient d’appartenance.

Roger Nols devient bourgmestre de Schaerbeek en 1971. Né en 1922, il est élu au Conseil communal de Schaerbeek en 1956. Puis, à l’occasion des élections législatives et provinciales du 23 mai 1965, il rejoint les listes du Front Démocratique des Francophones, le FDF. Devenu bourgmestre de la commune, il le reste jusqu’en 1989. Ses mandats successifs sont traversés par des scandales et des conflits de plus en plus fréquents et xénophobes. En réaction, un tissu associatif et citoyen se rassemble et s’organise à Schaerbeek pour contrer les discours et les politiques de Roger Nols.

Enjeux démocratiques

Durant les tous débuts de son premier mandat, Roger Nols s’exprime peu sur la question de l’immigration et sur les immigrés. Ses préoccupations concernent essentiellement les tensions communautaires que connaît la Belgique à cette époque. Il se positionne comme défenseur des francophones à Bruxelles et organise, en 1975, le bilinguisme des services, combiné à un unilinguisme des agents. Sur huit guichets à l’hôtel de ville : cinq sont réservés aux francophones, deux aux immigrés étrangers et un seul aux néerlandophones. La première « affaire des guichets » de Schaerbeek crée une polémique linguistique nationale. Le monde politique flamand s’insurge et dénonce une mesure de l’apartheid. Bien que la mesure soit déclarée illégale par le Conseil d’État, Roger Nols ne consent à la retirer que suite à l’intervention du procureur général honoraire Walter Ganshof van der Meersch et de la gendarmerie.

À partir de 1974, les discours de Roger Nols tendent de plus en plus à faire de l’immigration un combat politique et électoral. Il décrit les étrangers comme étant structurellement et intrinsèquement, de par leur culture et leurs habitudes, incompatibles avec la société belge. Pour lui, ils sont la cause potentielle ou effective des problèmes socio-économiques de la commune de Schaerbeek. Accentuant les enjeux sécuritaires, il les accuse d’incapacité à prendre place dans la société belge, voire de violences. Ces discours ne se basent sur aucune donnée scientifique vérifiable et rentrent dans une dynamique raciste. Ainsi, ils reposent essentiellement sur des stéréotypes qui stigmatisent les individus et, ce faisant, les séparent. Selon Roger Nols, il y aurait un « eux » et un « nous ». Cette pensée atteint son paroxysme en 1979, avec la publication d’un « Appel aux immigrés » pour le bulletin communal Schaerbeek Info.

Un riche tissu associatif apparaît à Schaerbeek durant les années 1970. D’abord centrées sur l’accueil et le soutien des personnes issues de l’immigration, ces associations tendent de plus en plus à se mobiliser et à se rassembler pour s’opposer au climat xénophobe et répressif qui se développe dans la commune. Les associations dénoncent notamment les dangers que représentent les discours et la politique de Roger Nols. S’y ajoutent des groupes politiques de gauche qui réalisent des journaux pour dénoncer les mesures et actions du bourgmestre de Schaerbeek.

Dans les archives retrouvées au CARHOP, un périodique symbolise les tensions qui existent entre le pouvoir communal schaerbeekois et ses opposants. Il s’agit du magazine Agence schaerbeekoise d’information. Ce magazine est l’une des nombreuses initiatives qui luttent contre le climat sécuritaire et xénophobe à Schaerbeek. En 1975, il suit de près le cas de l’arrestation violente d’un jeune adolescent de 14 ans, Alex, par la brigade antigang. En fugue du home de Levenslust, le jeune homme est appréhendé par la police de manière musclée et les agents font usage de leurs armes. Agence schaerbeekoise d’information décide d’enquêter sur cette affaire et de rendre compte aux lecteurs de toutes ses évolutions. À la fin de l’année 1975, le magazine souligne tous les manquements survenus durant l’enquête policière et la manière dont le jeune adolescent a été traité par la police.

En 1975, Roger Nols occupe son premier mandat. S’il n’est pas question de lui imputer les manquements dans la formation des policiers impliqués dans ce drame, il est à noter que le Bourgmestre leur apporte un soutien inconditionnel lors du Conseil communal du 16 janvier 1975. Il publie par la suite un toutes-boîtes où il désigne ce qu’il nomme « les vrais coupables », en qualifiant les groupes d’opposants de « pêcheurs en eau trouble, se repaissant et vivant de l’anarchie, interdits de séjour, personnages interlopes vivant d’expédients, mafia internationale ». Avec cet événement, on découvre le caractère autoritaire de l’administration de Nols.

Aux élections communales de 1982, une liste antiraciste, Démocratie sans frontière, est constituée dans le but d’apporter une opposition à Roger Nols au sein des structures politiques communales. Celle-ci se construit sur base du Front antiraciste de Schaerbeek, qui rassemble une pluralité de forces progressistes, à savoir plus de 80 organisations de tous bords. Ce dernier dénonce la politique répressive de Roger Nols, ainsi que les discours racistes en Belgique. Il organise également des manifestations et des conférences de presse. Il met également en place des actions dans les quartiers pour informer la population schaerbeekoise sur les questions qui la concernent. Ainsi, le Front antiraciste se déploie en réaction aux initiatives communales. Toutefois, la liste Démocratie sans frontière ne parvient pas à récolter assez de voix et l’initiative est abandonnée.

La situation reste délétère pendant des années à Schaerbeek. En témoigne l’exemple qui permet d’introduire ce sujet. En 1986, Roger Nols interdit des rassemblements de plus de cinq personnes entre 22 heures et 6 heures du matin.

En réaction à l’arrêté de police de Roger Nols, la mobilisation associative est immédiate. Le 27 mai, à 22 heures, 200 personnes se rassemblent devant la Maison Communale de Schaerbeek et dénoncent ce couvre-feu comme étant une atteinte à la liberté ainsi qu’une vexation à l’égard des musulmans. Du côté citoyen, 17 Schaerbeekois introduisent un recours en suspension auprès du Gouverneur de la Province et demandent au Ministre de la Région bruxelloise de Donnea, autorité de tutelle, d’annuler la mesure anticonstitutionnelle.

Conclusion

Bien plus qu’un fait divers, cet arrêté de police est symbolique et symptomatique de la politique discriminatoire menée par le Bourgmestre de Schaerbeek. Cette politique est préjudiciable à plus d’un titre. D’une part, cet arrêté constitue une violation de l’article 26 de la Constitution belge. D’autre part, elle provoque de la tension entre les autochtones et les immigrés, stigmatise et crée un climat d’angoisse et d’inquiétude qui risque d’aboutir à un climat de violence.

Or, la constitution garantit aux Belges le droit de se rassembler et de s’exprimer. De plus, elle ne s’oppose pas à ce que les personnes et les associations interviennent dans la vie politique. Ces droits fondamentaux et démocratiques s’opposent à la vision politique de Roger Nols. En effet, celui-ci estime qu’il existe une « entente tacite » entre l’autorité et le citoyen, et qu’il s’agit-là d’un mode de gouvernance moderne. Or, cette vision est fondamentalement anti-démocratique puisque l’exercice du pouvoir politique échappe à toute possibilité de contrôle de la part du citoyen.

Durant les années 1970 et 1980, la Commune de Schaerbeek connait des difficultés financières, aggravées par la mauvaise gestion du pouvoir communal. Ce dernier prend alors la décision d’expulser la population qu’elle qualifie de « moins rentable » au profit d’autres habitants « plus rentables » en prévoyant, notamment, de construire de nouveaux logements à la place des logements ouvriers.

En menant une politique d’exclusion, Roger Nols catégorise la population dans ses discours : autochtones, immigrés, groupuscules politiques, etc. De plus, il instaure des mesures répressives à l’égard de ces groupes. Par cette manœuvre, il stigmatise les habitants et les commerces des quartiers ouvriers, mais aussi les groupes politiques ou associatifs qui s’opposent à ses mesures et ses discours. In fine, il encourage la division de la classe ouvrière. Pourtant, dans les usines, Belges et immigrés connaissent les mêmes difficultés liées aux conditions de travail. Même chose dans les quartiers populaires où la population ouvrière dans son ensemble connaît les mêmes conditions de vies difficiles.

À l’époque de Nols, la population immigrée n’a pas accès au droit de vote et peut donc difficilement bénéficier de l’appui de représentants politiques. Les étrangers ne pouvant s’exprimer au niveau représentatif au sein de la commune de Schaerbeek, ils peuvent compter sur une forte mobilisation associative et citoyenne. Loin d’être des faits divers, les mesures et discours de Nols portent en eux des dangers pour la démocratie et le vivre ensemble. En conséquence, un tissu associatif et citoyen s’organise et dénonce collectivement les abus du pouvoir communal. Ces mobilisations collectives montrent également que la défense du citoyen passe aussi par la lutte contre les discriminations basées sur la classe, le genre, les choix politiques, philosophiques ou religieux. Elles montrent enfin l’importance de l’accession au droit de vote pour toutes les personnes vivant sur le territoire belge.

Avec l’adoption du suffrage universel masculin en 1919, puis pur et simple en 1948, la démocratie belge améliore ses mécanismes de représentativité politique. Mais elle est loin d’être complète. La Belgique fait appel à de la main d’œuvre étrangère pour répondre aux besoins de production du pays. Dans une période de plein emploi, ce sont les secteurs d’activités désertés par les travailleurs belges qui demandent des ouvriers étrangers. Les conditions de travail y sont difficiles, voire dangereuses. Ces nouveaux arrivants ne bénéficient pourtant pas du droit de vote et ne peuvent donc porter leur voix dans le système représentatif belge. Or, ce droit est un moyen d’expression collective et de défense politique.

Les syndicats dénoncent régulièrement les discriminations dont sont victimes les populations étrangères qui sont majoritairement dans des situations de précarités. À partir de la crise économique des années 1970, la dérégulation du marché du travail renforce les situations de précarité qu’elles connaissent (logements, quartiers vétustes…). Avec peu de qualification et la faible possibilité de promotion interne, les travailleurs immigrés restent cantonnés dans des secteurs atypiques avec un salaire souvent inférieur au barème légal, des heures supplémentaires impayées, etc… Afin de mieux défendre ce public, les organisations syndicales les intègrent progressivement dans leur structure. Ainsi, et à titre d’exemple, en 1971, les travailleurs étrangers peuvent voter pour les élections sociales, leur donnant ainsi la possibilité d’être des acteurs socio-politiques des entreprises dans lesquels ils travaillent.

Pour aller plus loin

Numéro spécial « Nols met la démocratie en péril », Agence schaerbeekoise d’information, mars 1975.

Hervé LOUVEAUX, « Schaerbeek : violence et xénophobie », MRAX-information, septembre 1986.

Marie-Thérèse COENEN (Dir.), Les syndicats et les immigrés, Du Rejet à l’intégration, EVO – CARHOP – FEC, 1999.

Marie-Thérèse COENEN & Rosine LEWINE, La Belgique et ses immigrés ; Les politiques manquées, De Boeck Université, 1997.

Riccardo GUITERREZ, « La Belgique compte 623.000 musulmans », Le Soir,‎ 17 novembre 2010, p. 7

30000 étrangers sur le sol schaerbeekois, Fond Service Migrants de la CSC Liège, septembre 1980.

« Une histoire commune », La Libre, 8 mars 2012.

Immigration en Belgique : une histoire de politiques et de discours, CIRÉ asbl, juin 2016.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

Ben Fredj, M., Fanni, A. « Mobilisations associatives contre les politiques de R. Nols à Schaerbeek », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°10 , septembre 2019, mis en ligne le 24 octobre 2019. URL : http://www.carhop.be/revuescarhop/

 

L’université ouvrière en milieu immigré : l’arme de la culture – L’expérience du CASI-UO de 1970 à 1980

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« Le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté »,
Antonio Gramsci

Marie-Thérèse Coenen (historienne CARHOP asbl

Luc Roussel (historien, CARHOP asbl)

Le Centre d’action sociale italien-Université ouvrière, communément appelé le CASI-UO[1], est aujourd’hui une école de devoirs et un centre culturel. Cette association est née de la rencontre d’un milieu, des migrants installés à Bruxelles et plus particulièrement à Anderlecht, et des militant.e.s, des Italiens et une Italienne venu.e.s poursuivre leurs études à Louvain (Leuven) à la fin des années 1960. Mobilisant une approche culturelle innovante, le CASI-UO marque un tournant dans la compréhension du phénomène migratoire.

Ces militants constatent que l’intégration par le travail est insuffisante et n’aboutit pas nécessairement à une participation citoyenne dans la société d’accueil. Par contre, la culture et la formation sont les outils de cette révolution : « former des gens pour qu’ils deviennent autonomes, pour qu’ils assurent par eux-mêmes un rôle actif, pour qu’ils deviennent des militants dans le milieu dans lequel ils vivent. »[2] Avec l’Université ouvrière, le CASI-UO ouvre un nouveau champ d’action particulièrement dynamique. Ce modèle va inspirer d’autres groupes socioculturels, issus des vagues migratoires successives, qui cohabitent avec plus ou moins de bonheur dans les mêmes quartiers bruxellois.

Notre rencontre avec le noyau dur des fondateurs du CASI-UO, Silvana Panciera[3], Bruno Ducoli[4] et Roberto Pozzo[5], se déroule le 30 juillet 2017 à Gargnano, au Centre européen de rencontre et de ressourcement qu’ils ont lancé[6] en 2001. Ils accueillent, de mars à octobre, des activités ainsi que des groupes qui organisent leurs propres initiatives dans cet ancien couvent des Franciscaines (Couvent Saint-Thomas) niché à mi-hauteur de la montagne qui surplombe le lac de Garde, prolongeant d’une autre manière et sous d’autres cieux, leur projet de rencontre interculturelle. De l’équipe fondatrice et stable du CASI-UO (au départ en faisaient aussi partie Italo Balestrieri, Alberto Marcati et Anne Martou-Quévit) manque à l’appel Antonio Mazziotti, juriste de formation, décédé en 2017. Ce dernier possédait, outre une licence en droit, une licence en sociologie et en théologie. Avec ce bagage, il avait choisi, en parfait « établi » (voir plus bas le sens de cet appellatif), de travailler comme conducteur de tram à la STIB pendant 10 ans et ensuite dans le syndicat italien CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro-Confédération générale italienne du travail). Il avait quitté la Belgique après une vingtaine d’années. Pendant les premières années de son « service juridique », il fut fort aidé par Loredana Marchi qui deviendra plus tard directrice du Foyer asbl à Molenbeek.

Mais pourquoi accoler les lettres UO (Université ouvrière) au CASI ?

C’est en souriant que Bruno, Roberto et Silvana nous répondent : « Nous savions que nous ne voulions pas ouvrir un service d’assistance pour les familles italiennes. Cela existait déjà. Nous voulions mettre l’accent sur les besoins implicites, les attentes de cette population, déracinée et laissée à elle-même. Nous avons opté pour les mots Centro di azione sociale italiano en abrégé le CASI, mais ils étaient déjà utilisés par une autre association et nous avons reçu une injonction nous interdisant de les utiliser. Comme nous avions un projet de formation, nous avons réfléchi et accolé les termes : université ouvrière. C’était dans l’air du temps. À cette époque, on parlait beaucoup d’ Open university, etc., mais cela correspondait aussi à notre projet global. Le CASI-UO, c’est devenu un label. »

Pourquoi s’installer à Anderlecht ?

« Une assistante sociale, Fabiola Fabbri, nous signale la présence importante d’une communauté italienne à Bruxelles. Elle-même est employée par l’ONARMO (Œuvre nationale d’aide religieuse et morale aux ouvriers, service social d’origine italienne fondé en 1947) et est en contact avec ces familles. » Bruno s’installe alors en 1970 dans un petit appartement, au numéro 10 de la rue Rossini, à Cureghem, près de la Gare du Midi, un quartier à la population finalement assez homogène, composée presque exclusivement d’ouvriers, avec ses lieux de sociabilité, ses bars italiens, ses commerces et ses cercles de proximité.[7] Johan Leman parle de quasi-ghetto « La Sicile sur Senne », pour un quartier voisin de Cureghem.[8]

Bruno et Silvana continuent : « Tout commence par l’observation. Nous avons regardé une carte géographique et analysé les statistiques des populations étrangères. C’était à Anderlecht que la communauté italienne était la plus importante. Nous nous sommes ainsi installé.e.s dans le quartier. Nous vivions en communauté. C’était une pratique courante à l’époque. Être militant supposait un investissement total. Le mouvement d’extrême gauche avait ses « établis », des intellectuels qui travaillaient dans les usines ou vivaient dans les quartiers populaires. À Schaerbeek, il y avait aussi de semblables communautés de vie. Nous participions à ce courant en vivant à Anderlecht, commune peu accueillante à l’époque pour les migrants. Nous avions une disponibilité quasi totale, même la nuit quand certains jeunes nous interpellaient. Pour eux, nous étions peut-être des intellectuels, mais nous assumions les mêmes conditions de vie, étions proches et vivions comme eux. Nous n’avions pas beaucoup de moyens, le salaire de Silvana, en tant qu’enseignante de langue italienne, a été le premier salaire versé pour faire vivre la maison. »

La culture, c’est une arme. Une pratique d’école ouvrière en milieu immigré : le CASI, Bruxelles, CASI-UO – Hypothèse d’école, 1975, 21 p.

Continuer la lecture de « L’université ouvrière en milieu immigré : l’arme de la culture – L’expérience du CASI-UO de 1970 à 1980 »

L’action par la culture au CASI-UO. Dire l’immigration en textes et en chansons

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Julien Tondeur (historien, CARHOP asbl)

Entre 1973 et 1988, le Centre d’action sociale italien-Université ouvrière (CASI-UO) compose et produit cinq disques destinés à accompagner et commenter des pièces de théâtre mises en scènes et jouées par des jeunes de l’association. Cette démarche résulte du constat posé par le CASI-UO de la nécessité de créer une culture spécifiquement immigrée. Elle s’inscrit en adéquation avec les objectifs poursuivis par l’Université ouvrière et se nourrit des réflexions issues de celle-ci.[1]

Le CASI-UO fait ainsi figure de précurseur en revendiquant une culture immigrée, produite comme une construction identitaire nouvelle et mixte. Puisant ses racines dans l’histoire de l’émigration des parents, mais revue à la lumière de l’expérience des jeunes de la deuxième génération, cette culture mosaïque est véhiculée à travers les ateliers de chant et de théâtre initiés par le CASI-UO, à une époque où il n’existe aucun espace dans la sphère publique belge pour son expression. Dans la volonté de valoriser ce patrimoine créatif culturel issu d’un processus d’éducation populaire, l’analyse de cette démarche se concentre ici sur les trois premiers disques de chants édités par le CASI-UO et conservés au CARHOP.

La culture en fer de lance

C’est à Cureghem, quartier historique de l’est de la commune d’Anderlecht, que s’est constitué en 1970 le CASI-UO. Physiquement coincé entre le canal Bruxelles-Charleroi, qui, à l’époque, est loin d’être vu par les pouvoirs publics comme une zone de développement économique prioritaire, et les cinémas pornographiques qui jouxtent la gare du Midi, Cureghem a alors l’allure d’un ghetto pour Teresa Butera, actuelle directrice du CASI.[2] Si de nombreuses nationalités telles que grecques, turques, espagnoles et marocaines s’y croisent déjà, l’immigration italienne y est largement présente. Dans une analyse publiée à cette époque, le CASI-UO décrit le quartier en ces termes : « Un monde qui pourrait être intéressant, s’il n’était pas le concentré des contradictions et de la rage de tous ces peuples ».[3]

Fondé dans le but de combattre l’exclusion et de favoriser l’insertion socioprofessionnelle des jeunes Italiens résidant à Bruxelles, le CASI-UO mobilise à cet effet une approche culturelle originale. Influencée par la pédagogie des opprimés de Paolo Freire et convaincue de l’importance primordiale de la culture et de la formation pour arriver à une véritable participation citoyenne, l’association met sur pied de multiples activités à destination des jeunes issus de l’immigration. Toutes partagent l’objectif de former les jeunes pour l’exercice d’une autonomie complète. L’Université ouvrière, cycle de formation destiné à préparer les jeunes à devenir formateurs et formatrices, et une école des devoirs, voient le jour. Citant l’exemple de sa petite sœur qui a des difficultés d’apprentissage, Teresa explique que c’est, un peu par hasard, en allant l’y rechercher un soir, qu’elle entre en contact avec le CASI-UO : « j’ai rencontré quelques jeunes qui m’ont dit : « Écoute, pour nous il y a aussi des rencontres, des formations. Pourquoi tu ne viens pas ? » Et je dois avouer que je suis allée à cette fameuse Université ouvrière, et… je n’ai rien compris au début ! Il y avait le fondateur à l’époque, qui parlait de politique, de Socrate, et je me suis dit : « mais où je suis… ? » Mais ce qui me faisait plaisir, c’est que le monsieur en question parlait l’italien. Il parlait un bel italien ». L’envie d’apprendre l’italien ou le français ou celle de briser la monotonie et la solitude sont des raisons qui poussent les jeunes à s’inscrire à l’Université ouvrière.[4] C’est en tout cas dans le cadre de cette dernière qu’émerge l’idée de recourir au théâtre-chant comme forme d’expression culturelle. Issue d’un processus d’éducation populaire, celle-ci se réapproprie les racines des cultures du pays d’origine et du pays d’accueil.

La production de disques militants dans les années 1970 : un phénomène en vogue

En adoptant le théâtre-chant comme moyen d’expression, le CASI-UO ne fait pas, à l’époque, figure d’exception dans le monde ouvrier. Cette pratique connait dans les années 1970 un renouveau remarquable comme forme d’expression de la contestation sociale en Europe de l’Ouest. Bien que la démarche du centre se singularise par le recours au théâtre-chant comme moyen de production d’une culture d’identité immigrée mosaïque, il n’est pas inopportun de rappeler que celle-ci s’inscrit dans un contexte général de production de disques par des groupes militants.

Pionnières en Belgique du chant de lutte, les ouvrières de la FN (Fabrique nationale d’armes) d’Herstal avaient ouvert la voie en 1966 avec leur chanson « Le travail, c’est la santé mais pour cela, il faut être payé».[5] Dès les années 1970, le folklore est identifié comme point de rencontre de plusieurs mouvements citoyens de contestation. Des mouvements comme celui en opposition à la guerre du Vietnam, Mai 68 et sa remise en cause des valeurs bourgeoises, les différentes luttes pour une identité régionale ou nationale et l’apparition de groupes révolutionnaires « ont trouvé dans les caractères propres au folklore l’expression artistique dont ils avaient besoin ».[6] Révolutionnaires portugais, résistants chiliens, afro-américains luttant pour les droits civiques, toutes et tous écrivent des chants de luttes qui vont être diffusés en Belgique.[7]

Dans le monde ouvrier, le Groupe d’action musicale (GAM) va d’usine en usine pour enregistrer et composer des chants avec les grévistes. En 1974, ses membres gravent, avec les travailleurs des Grès de Bouffioulx, le premier chant de grève sur un disque 45 tours.[8] Suivront ensuite dans le désordre des chants de combat mettant en avant la Fonderie Mangé à Embourg près de Liège, les verreries de Glaverbel à Gilly ou encore les Capsuleries de Chaudfontaine. Signe de proximité idéologique, la chorale du CASI-UO, Bella-Ciao, se produit lors d’occupations d’usines, de rassemblements ouvriers ou de manifestations diverses. En diffusant son premier disque en 1973, le CASI-UO fait ainsi partie des pionniers de cette tendance en Belgique.

Une activité culturelle liée au projet social et politique de l’association

Les fondateurs du CASI-UO partent du constat de l’existence d’une deuxième génération d’Italiens en Belgique, terme qu’ils sont parmi les premiers à utiliser.[9] Ces jeunes nés en Belgique sont victimes d’une ségrégation socio-culturelle et du manque de vision à long terme des politiques belges qui n’anticipent pas l’installation définitive de ces travailleurs et de leurs descendants en Belgique. Cette génération, mise de côté par la société belge, souffre d’une sévère déculturation forcée selon les fondateurs du CASI.[10] Ils constatent pourtant que « La culture est une arme »[11], et lui accordent une importance primordiale. Pour Teresa, le constat de base est « que l’immigré possède sa culture, que ce n’est pas une culture italienne, que ce n’est pas une culture belge, et qu’il faut créer cette culture. Elle n’est pas liée à un pays, elle est surtout liée à une condition ».

De l’Université ouvrière au théâtre-chant

Pour faire émerger cette histoire commune et la valoriser, les jeunes de l’Université ouvrière participent aux ateliers de théâtre-chant. Les pièces de théâtre interprétées par le groupe sont accompagnées par des chants qui sont produits sur disques vinyles. Pour les trois premiers disques, continue Teresa, « on a pris des musiques de chansons populaires italiennes. D’abord parce qu’on n’était pas capable de créer des musiques, mais aussi parce que les musiques populaires rappelaient, comme dit le nom, le peuple. Donc, c’étaient aussi des musiques qui parfois racontaient les souffrances du peuple, des paysans, etc. »

Si les musiques sont issues des traditions populaires italiennes, les textes sont en revanche réécrits afin de « donner un exutoire, un espoir, de la confiance à ces jeunes qui grandissaient (et qui continuent à grandir) marginalement et avec une rage sourde dans le cœur. (…) apprenant à transformer la rage en engagement et l’engagement en réussite ».[12] C’est Bruno Ducoli qui écrit la plupart des textes à partir des réflexions amenées par les jeunes.[13] Pour Teresa, ils ont « eu la chance d’avoir des formateurs qui savaient écrire. Parce que nous, on ne savait pas. Nous, on était des ouvriers, on avait nos limites. Et ils avaient l’art de transformer nos revendications en scène de théâtre ». Par cette démarche, le CASI-UO redonne vie à une tradition italienne pourtant longtemps méconnue des chansons populaires, avec pour sujet tous les aspects de la vie des travailleurs et des travailleuses.[14]

CASI-UO, Affiche éditée par le CASI-UO pour faire connaitre la chorale Bella-Ciao, s.d.

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