Éditorial

 Populaire ? Vous avez dit Université Populaire ?

Depuis quelques années, des universités populaires fleurissent en Wallonie et à Bruxelles. Souvent soutenues par les autorités publiques, elles sont une réponse concrète aux politiques promues par l’Union européenne de la nécessité de formation tout au long de la vie. L’idée est cependant loin d’être neuve : le mouvement ouvrier, depuis sa création au 19e siècle, porte le combat en faveur de la démocratie culturelle (notamment en réclamant l’instruction obligatoire) au même titre  que l’obtention de droits politiques, économiques et sociaux. C’est une des raisons de son investissement dans ce courant d’éducation populaire alliant souvent des solidarités interclasses.

L’université populaire plonge ainsi ses racines dans l’histoire sociale. Prenant des formes multiples, les universités populaires naissantes poursuivent alors les mêmes objectifs d’émancipation et d’accès à la citoyenneté pour le monde ouvrier. Chaque pilier, qu’il soit socialiste, démocrate-chrétien ou libéral, développe ainsi ses propres initiatives avec plus ou moins de succès et de manière plus ou moins durable.

Aujourd’hui, les universités populaires, qui ont connu de nombreuses mutations par rapport à leurs objectifs initiaux, soutiennent une démarche de formation continue dans l’esprit de construction d’un savoir réflexif.

Ce numéro de Dynamiques consacré aux initiatives d’éducation ouvrière lancées au 19e siècle et au début du 20e siècle, propose de renouer le fil de l’histoire entre les expériences pionnières et les projets contemporains. À travers l’étude de quelques exemples, nous invitons le lecteur à découvrir la philosophie qui les sous-tend à une époque où pour de nombreux individus « il est impossible de comprendre qu’une université puisse être populaire. (…) Ces deux mots jurent de se trouver juxtaposés. Cette opinion provient de ce que les universités sont ordinairement des instituts d’études supérieures, accessibles aux seuls jeunes gens ayant subi une longue préparation dans des établissements d’enseignement primaire et moyen. On ne conçoit pas qu’il puisse y avoir une université pour le peuple.»[1] Outil de transmission des savoirs ou levier d’émancipation, les universités populaires ont ainsi contribué à écrire une page de l’histoire de l’éducation des adultes et à s’inscrire dans le combat pour l’accessibilité de l’enseignement pour tous.

[1] MARINUS, A., Les Universités Populaires, Bruxelles, 1909.

 

Introduction au dossier : Quand les Universités populaires contemporaines renouent avec l’histoire

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 Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

Le 4 février 2005, Elio Di Rupo inaugure en grande pompe l’Université populaire (UP) de Mons et la présente comme la première expérience en Wallonie. Il avait invité pour l’occasion Stéfan Leclercq, directeur des Éditions Sils Maria et du fonds Gilles Deleuze à Paris, qui devient aussi le pilote de cette expérience avec la collaboration de la ville de Mons et du Mundaneum. L’initiative s’inscrit dans le sillage des universités populaires remises à l’honneur par Marcel Onfray, ancien enseignant et philosophe, en 2002, à Caen. Le 15 mars 2005, les activités sont lancées.

Comme en France, les cours sont gratuits et s’organisent deux fois par semaine de 18 à 20 heures. Aucun titre n’est requis. Les sujets sont variés : philosophie, histoire de l’art classique, histoire de l’art moderne et contemporain, communication par l’image, histoire de la littérature médiévale, Avant-garde littéraire, histoire de la Grèce antique, histoire de la mode, etc. L’objectif est de créer un lieu de rencontre et de débat autour de thématiques permettant aux personnes intéressées de comprendre le monde contemporain. L’Université populaire aborde, à travers un programme annuel, des sujets d’actualités, tout en confrontant la pensée des leaders d’opinion dans le monde politique, économique, social mais aussi philosophique. Tous ces sujets sont travaillés dans des groupes ouverts. C’était du moins l’intention déclarée par les promoteurs du projet.

Université populaire Liège (Musée de la Vie wallonne, Liège).

Aujourd’hui, des universités populaires fleurissent en Belgique également. En 2010, l’Université populaire de Bruxelles se lance en s’appuyant sur le modèle français. L’UP Quart Monde Belgique s’adresse aux personnes dans une situation de grande précarité. L’UP de Liège, initiée par Présence et action culturelles (PAC), entend notamment réfléchir à la question de la reconversion économique de la province de Liège, etc. La dernière, l’UP de Laeken[1], fondée au cœur de la Cité Modèle à Laeken, veut partir des préoccupations des habitants de la Cité pour établir son programme de cours et de conférences. Toutes s’engagent à former, à éduquer la population afin d’en faire des citoyens acteurs de changement(s) dans une société en pleine mutation économique, sociale et politique.

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L’Extension universitaire de Bruxelles 1893-1914

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Michèle Stessel (historienne) avec la collaboration de Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

En 1893, des membres de l’Université libre de Bruxelles s’inspirant directement d’œuvres similaires existant en Angleterre et aux États-Unis lancent l’Extension universitaire de Bruxelles.[1] C’est au professeur Léon Leclère qu’en revient l’initiative quand il lance un appel aux intellectuels à s’engager dans la création d’une extension universitaire selon le modèle anglais. Un groupe de professeurs, d’étudiants et d’anciens étudiants réunis autour de lui et d’Eugène Monseur, décide de créer dans la capitale, une telle société. Le but de l’œuvre est de rendre les connaissances scientifiques accessibles au plus grand nombre, d’élever le niveau intellectuel et moral de la population et de faire découvrir le rôle fondamental de l’activité scientifique dans la société.

Un comité provisoire s’attèle à élaborer un projet de statuts et à préparer l’assemblée générale fondatrice de la société à laquelle est invitée toute personne intéressée par cette œuvre d’éducation populaire. Un Manifeste précise les intentions poursuivies : « il appartient aux détenteurs du savoir et du pouvoir d’instruire le peuple ou mieux de diffuser la culture dans les masses populaires afin qu’elles participent à cette culture au même titre que ceux qui l’ont élaborée. […] Tous les bons esprits sans distinction d’opinion ont de plus en plus la conscience du devoir qui leur incombe d’élever à eux les masses populaires, de compléter l’éducation du peuple. »[2] Pour les initiateurs, les universités sont les seules capables d’organiser un véritable enseignement populaire : « [En Angleterre], l’éducation populaire n’y a pas été laissée au hasard des bonnes volontés individuelles. Ce sont les universités d’Oxford et de Cambridge qui, avec toutes les ressources scientifiques, ont assumé cette tâche. Les séries de cours organisées par elles dans les milieux en apparence les plus réfractaires à tout effort intellectuel ont réussi au-delà des prévisions les plus optimistes. Nous nous proposons de les imiter et venons faire appel à vous pour nous aider à créer une société intimement rattachée à l’Université libre de Bruxelles qui se chargera d’organiser des cours populaires d’enseignement supérieur avec le concours de toutes les associations qui voudront bien s’intéresser à l’œuvre ».[3]

La fondation

Le 22 mars 1893, a lieu l’assemblée générale fondatrice de l’Extension universitaire, en présence d’une centaine de personnes, tous membres de l’ULB. Le recteur, Hector Denis, préside la séance et insiste dans son discours inaugural, sur la nécessité de diffuser pour le bien de la démocratie, les connaissances scientifiques. Il expose ensuite les objectifs de l’Extension. L’université ne doit pas seulement être celle des étudiants, mais du peuple tout entier. L’institution se propose donc de mettre à la portée de tous, sous des formes simplifiées, le contenu de son enseignement. Ainsi l’Extension tend en quelque sorte à réaliser dans le domaine des sciences, ce qu’accomplissent les sections de la Maison du peuple dans celui de l’art. Ensuite, Léon Leclère retrace l’historique du mouvement extensionniste et expose le but spécifique de l’Extension universitaire de Bruxelles. Après quoi, Émile Vandervelde présente et commente les dispositions statutaires. L’assemblée est conviée à voter chaque article ce qui ne suscite aucune difficulté, à l’exception de l’article 11 qui limite le corps enseignant aux seuls professeurs et docteurs de l’ULB. Plusieurs participants, dont une majorité d’anciens étudiants, soulignent le caractère restrictif et réactionnaire de ce principe et reprochent au Comité fondateur d’exclure de manière totalement injustifiée des personnes compétentes, telles des médecins, des jurisconsultes de premier ordre, des savants, sous le seul prétexte qu’ils ne sont pas agrégés. Malgré ces échanges, l’article en question est adopté sans modification. Dès le départ, l’Extension se prive dès lors de personnes compétentes et intéressantes. La séance de fondation s’achève avec l’élection d’un comité provisoire qui est chargé aussitôt de prendre contact avec les organismes susceptibles d’aider la jeune Extension à réaliser le but social qu’elle s’assigne : « la diffusion de la culture scientifique basée sur le principe du libre examen, par l’organisation de cours populaires d’enseignement supérieur, à caractère exclusivement scientifique. »

Organisation et administration

Le fonctionnement de l’Extension universitaire copie celui du modèle britannique avec un comité central et des comités locaux implantés dans tout le pays. La société est composée de membres effectifs et de membres adhérents. Les premiers, qui paient 2 francs de cotisation, sont des professeurs, des docteurs agrégés ou spéciaux, des étudiants et anciens étudiants de l’ULB. Les membres adhérents paient 10 francs de cotisation annuelle, n’ont pas de droit de vote et composent en quelque sorte un comité d’honneur. À la première assemblée générale du 6 juin 1893 qui se déroule après seulement 4 mois de fonctionnement, le nombre de membres effectifs et adhérents est de 207. Ils sont 246 membres (233 effectifs et 13 adhérents) à l’assemblée générale du 3 juin 1894. L’assemblée du 6 avril 1895 qui doit gérer la scission dont il sera question plus loin dans cet article et se prononcer sur l’avenir de la société, affiche une stabilité des membres puisqu’ils sont 229 effectifs et 15 adhérents.

1893 : l’Extension reçoit le soutien moral de l’ULB

Dès la fondation, le Comité provisoire, à l’instar de ses consœurs anglaises et américaines, sollicite du conseil d’administration de l’ULB la reconnaissance officielle ce qui lui sera refusé. Celui-ci estime néanmoins que l’université doit se montrer coopérante vis-à-vis d’une entreprise louable à bien des égards en encourageant ses membres, professeurs et étudiants à participer à son essor. Comme elle se doit d’avoir un droit de réserve institutionnel vis-à-vis de l’Extension, rien ne l’empêche de lui accorder son patronage moral.[4] Lors de l’assemblée générale du 3 juin 1894, le Comité se déclare satisfait de cet appui moral de son université ainsi que du droit d’utiliser ses locaux.

La Ligue de l’enseignement : un partenariat essentiel

Dans le même temps, le Comité provisoire se tourne vers La Ligue de l’enseignement et lui propose un partenariat. Sans aucune difficulté, la Ligue accepte et ses représentants ont désormais le droit de siéger au Comité central. Le terrain est préparé : plusieurs sont membres à la fois de l’Extension universitaire et de La Ligue de l’enseignement. Pour la Ligue, les objectifs sont communs : « cette société, qui poursuit la diffusion de la culture scientifique par l’institution de cours populaires d’enseignement supérieur, avait cru pouvoir compter sur l’appui de notre Ligue dont le programme porte précisément la propagation et la diffusion de l’éducation et l’instruction à tous les degrés et qui s’est attachée, durant son existence, déjà longue à favoriser tout ce qui peut étendre la culture intellectuelle du peuple. C’est assez dire que l’accord devait être facile entre la jeune société et la nôtre. »[5]

La Ligue accepte d’informer ses membres de l’existence de l’Extension, de susciter la constitution de comités locaux et lui assure son appui financier si nécessaire. Ces comités doivent clairement annoncer son patronage et lors de la séance d’ouverture d’un cours, un délégué de la Ligue doit prendre la parole au même titre qu’un représentant de l’Extension. Ses membres bénéficient de la gratuité des leçons et un syllabus de chaque cours, organisé par un comité local, est envoyé à sa bibliothèque.

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L’Université populaire de Marcinelle (1904-1914) et Jules Destrée : Pour l’émancipation culturelle des travailleurs

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Renée Dresse (historienne, CARHOP asbl)

L’Université populaire de Marcinelle, inaugurée en 1904, est une initiative de Jules Destrée, échevin de l’Instruction publique de cette commune. Comme les universités populaires de Schaerbeek, de Saint-Gilles ou de Mons, elle s’appuie sur ces devancières et sur le modèle français et va développer de multiples activités de tout ordre.

Jules Destrée, un homme aux engagements multiples

Jules Destrée naît à Marcinelle, le 21 août 1863 et décède à Bruxelles le 3 janvier 1936. Il fait des études de droit à l’Université libre de Bruxelles dont il est diplômé en 1883. Il est alors actif dans le Cercle des étudiants progressistes qui lutte en faveur du suffrage universel. Comme avocat, il est amené à côtoyer le monde ouvrier dont il découvre la précarité d’existence. En 1886, il défend Oscar Falleur, dirigeant de l’Union verrière qui est, avec d’autres, inculpé au titre de meneur lors des grèves violentes de mars 1886 dans le bassin de Charleroi et pour lesquelles il sera condamné à vingt années de travaux forcés avant d’être amnistié. En 1889, il assure, avec d’autres confrères, lors du procès dit « procès du Grand Complot », la défense des 27 membres du Parti socialiste républicain qui se terminera par un acquittement général.

Un social-démocrate

Militant politique, Jules Destrée est, en 1893, un des fondateurs de la Fédération démocratique de Charleroi qui opère un rapprochement idéologique avec le Parti ouvrier belge. En 1894, une liste commune aux deux organisations est déposée à l’occasion des premières élections organisées au suffrage universel tempéré par le vote plural. Sur les vingt-huit députés socialistes élus en 1894, huit sont de la région de Charleroi : Jules Destrée est l’un d’eux. Il siégera au Parlement jusqu’à sa mort.

Jules Destrée opte pour le parti qui lui semble le plus capable de contribuer à l’émancipation sociale et politique de la classe ouvrière. Il plaide pour un socialisme combatif tempéré dans ses moyens d’actions : « Nous désirons opérer une modification fondamentale de la société. (…) Pour arriver à cette révolution que nous espérons, nous avons, en entrant dans cette Chambre, suivi les voies légales et parlementaires. Nous avons accepté de nous soumettre aux lois et nous avons prêté serment à la Constitution. »[1] Pour Jules Destrée, l’amélioration de la condition ouvrière passe par le vote de lois sociales. Il revendique le suffrage universel, continue à défendre la cause des ouvriers inculpés lors de grèves de décembre 1904. Il intervient en 1909 sur la question de la réduction du temps de travail dans les mines lors des discussions parlementaires, se prononce pour l’égalité juridique et sociale de la femme.[2]

Pendant la Première Guerre mondiale, Jules Destrée est nommé ministre de Belgique à Saint-Pétersbourg d’octobre 1917 à avril 1918 où il assiste à la Révolution bolchévique. L’Armistice signée, de retour en Belgique, Jules Destrée est nommé ministre des Arts et des Sciences en charge de l’instruction publique dans les gouvernements d’union nationale dirigés de 1919 à 1920 par le catholique Léon Delacroix et de 1920 à 1921, par le catholique Henry Carton de Wiart.

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La formation sociale des travailleurs et le monde catholique : des cercles d’études aux semaines syndicales

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Marie-Thérèse Coenen[1] (Historienne, CARHOP asbl)

Au 19e siècle, face à la question ouvrière, le monde catholique ne reste pas sans réagir. L’encadrement et l’éducation morale de la classe ouvrière les préoccupent également. Paul Gérin, dans l’article[2] qu’il consacre aux organisations d’éducation populaire nées dans le giron catholique du 19e et début du 20e siècles, présente une typologie qui permet de catégoriser les initiatives prises. Celles-ci peuvent prendre des noms divers et il est parfois difficile de comprendre dans quelle filière elles se situent. Certaines sont moralisatrices, d’autres conservatrices, seul un petit nombre d’entre elles vise l’émancipation des travailleurs et leur formation sociale. Toutes ciblent le monde populaire, voire la classe ouvrière. Mais derrière les dénominations, pour comprendre la portée de leur action, il faut regarder qui sont les fondateurs et fondatrices, comparer les finalités et rechercher si des ouvriers et des ouvrières sont présents parmi eux et/ou dans les instances dirigeantes. Paul Gérin souligne la frontière entre les œuvres catholiques de type paternaliste, où la religion est une fin en soi, et les cercles ou organisations ouvrières qui inscrivent le principe de l’égalité et de la justice sociale comme une priorité et légitime ainsi la revendication ouvrière et l’intervention de l’État.[3]

La première vague, observée à partir de 1851, est constituée des patronages, des œuvres de Saint-Vincent de Paul, qui allient charité et enseignement moral et visent essentiellement l’éducation des jeunes ouvriers. Pour les travailleurs adultes, les sociétés ouvrières dites de Saint-Joseph prennent le relais et fleurissent un peu partout dans le pays wallon. Elles constituent un réseau avec la création d’une Fédération des sociétés ouvrières catholiques qui deviendra la Fédération belge des œuvres ouvrières catholiques en 1880. Après les Congrès des œuvres sociales de Liège de 1886, 1887 et 1890, ces sociétés Saint-Joseph fondent des Maisons des ouvriers, alternatives aux « Maisons du peuple » socialistes. Après la Première Guerre mondiale, elles seront plus ou moins absorbées par le mouvement démocrate-chrétien.

La deuxième tendance s’affiche après les Congrès sociaux de Liège. Encore sous le choc de la révolte sociale de mars 1886 et s’appuyant sur l’Encyclique Rerum Novarum que vient de publier le pape Léon XIII en 1891, des catholiques lancent des cercles d’études sociales pour approfondir la doctrine sociale de l’Église et réfléchir à la vision d’un État social-chrétien cher à la démocratie chrétienne. La majorité des initiateurs sont issus du monde politique, du clergé et de la bourgeoisie intellectuelle, mais on retrouve aussi quelques travailleurs chrétiens parmi ceux-ci.

Le Cercle d’études sociales du Centre

Ce cercle, lancé au début de 1893 à La Louvière, est  un bel exemple d’implication des travailleurs, avec en particulier Florimond Senel, annotateur aux chemins de fer à La Louvière. Le cercle sera à l’origine de la création du Parti démocratique du Centre, d’institutions sociales, de syndicats, de coopératives et de mutualités mais surtout il vise à « initier les ouvriers et les jeunes gens de la région à l’étude des questions sociales en soumettant à un sérieux examen les questions qui, directement ou indirectement, intéressent la classe ouvrière, de former des défenseurs intelligents des intérêts ouvriers. »[4] La méthode est participative. Les sujets, choisis par les membres, les introduisent aux questions politiques, économiques, sociales et religieuses du moment : le repos dominical, le contrat de travail, la durée du travail, les initiatives politiques, etc. Paul Gérin constate que, dans la fréquentation du cercle, il y a 34 ouvriers, 18 employés, 34 ecclésiastiques, 70 indépendants qui comprennent des artisans et 166 indéterminés dont il suppose que ce sont surtout des ouvriers, car « s’ils appartenaient à une autre catégorie socio-professionnelle, elle aurait été mentionnée »[5]. Ces cercles d’études ont joué un rôle non négligeable dans la formation de ces membres d’abord et vont influencer, voire infléchir, les politiques sociales menées par les catholiques au pouvoir en Belgique depuis 1884.

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Quand le mouvement socialiste développe des outils de formation : l’exemple de « L’Églantine »

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Luc Roussel (historien, CARHOP asbl)

Universel travail des cerveaux et des mains,
Fais jaillir de la mort la vie et la jeunesse ;
Fais-nous un généreux printemps plein de promesse,
Pour nous et nos frères humains 
Maurice Bouchor![1]

 

Le mouvement ouvrier socialiste, comme l’ensemble des mouvements sociaux, publie et diffuse, depuis le milieu du 19e siècle, quantité de petites brochures thématiques qui forment au final une collection. Elles abordent tous les sujets et servent souvent de support aux conférences, aux cours donnés aux militants, dans les maisons du peuple, dans les universités populaires, etc. De cette façon, les militants ont l’occasion de s’approprier des thématiques utiles pour la lutte sociale.

Les plus connues parmi ces brochures sont sans conteste les « Catéchismes syndicaux » dont le plus célèbre est celui d’Alfred Dufuisseaux[2]. Le CARHOP possède diverses séries de ces publications socialistes, dont la revue L’Églantine qui fait l’objet des lignes qui suivent.

L’Églantine ?

L’églantine est la fleur de l’églantier, un arbuste épineux de 2 à 3 mètres de hauteur qui se développe au bord des pâtures et dans les taillis. Cette espèce, beaucoup plus répandue autrefois, lorsque la campagne était parsemée de haies, se distingue par une floraison de mai à juillet. Cet arbuste (en botanique : Rosa canina), de la famille des rosacées, s’appelle également « rosier sauvage », « églantine blanche » et « rosier des chiens ». Ce dernier surnom s’explique par le fait que, dans l’Antiquité, ses racines étaient utilisées pour soigner la rage des chiens ! On connait aussi le fruit de l’églantier : le cynorrhodon qui a, paraît-il, une haute teneur en vitamines.

L’églantine rouge a longtemps servi d’insigne aux socialistes et aux communistes. Elle avait déjà servi de symbole durant la Révolution française. À partir du milieu du 20e siècle, le parti socialiste utilise le symbole de la rose rouge brandie dans un poing serré. Cette fleur a également été concurrencée par le muguet, symbole du 1er mai, qui a l’avantage de fleurir à cette période de l’année… Par contre et pour en terminer avec ces évocations botaniques, les socialistes italiens ont utilisé l’œillet rouge comme emblème.

Progression du mouvement socialiste durant l’Entre-deux-guerres

Avec la fin de la Première Guerre mondiale, on assiste à un gonflement des effectifs socialistes. Du point de vue syndical par exemple, alors que le mouvement compte 100 000 affiliés en 1914, le demi-million est largement atteint en 1919. Cette importante progression accentue le rôle de la Centrale d’éducation ouvrière (CEO) en matière de formation militante. Créée en 1911 par le Parti ouvrier belge (POB), elle a « pour but d’organiser et de coordonner l’activité de toutes les œuvres d’éducation ouvrière (…) et de procurer aux travailleurs les connaissances et les qualités qui les mettent le mieux en état de mener la lutte pour leur émancipation comme classe dans tous les domaines. »[3]

Deux autres éléments expliquent le développement du travail éducatif du POB : la diminution du temps de travail, grâce en particulier à la loi sur la journée de 8 heures votée en 1921, qui ouvre des disponibilités de temps et donc de nouvelles possibilités éducatives et culturelles, et la participation du POB à divers niveaux de pouvoir, depuis les communes jusqu’au gouvernement national. Les formations syndicales se spécialisent. L’accroissement des responsabilités dans la vie économique et sociale au niveau des entreprises le justifie. La mise en place des commissions paritaires (1919) ou la création de la Conférence nationale du travail (1936) imposent un effort plus pointu de formation.

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Bloc-notes : “Écrire l’histoire de l’éducation populaire: Pourquoi (et comment) faire ?”

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Christine Machiels (historienne, CARHOP asbl)

Autour de : Christen, C., Besse, L. (dir.), Histoire de l’éducation populaire 1815-1945. Perspectives françaises et internationales, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017 (Histoire et Civilisations).

Que savons-nous au juste de l’histoire de l’éducation populaire ? C’est surtout au travers de lectures de chercheurs et de chercheuses, d’historiens et d’historiennes mais aussi de sociologues, de juristes ou philosophes, que nous l’explorons. En Belgique, certains et certaines se sont surtout attachés à suivre l’évolution de la définition du « droit à la culture », juridiquement connotée, ou encore celle d’« éducation populaire », et de « démocratie culturelle ». D’autres ont tenté de décliner et de décrire les actions éducatives et culturelles menées par le mouvement ouvrier, du côté socialiste, libéral et catholique, depuis le milieu du 19e siècle. Ces recherches ont permis de faire connaître les initiatives d’éducation populaire portées par le mouvement ouvrier, d’identifier ses sources et ses acteurs et actrices. Le Carhop a travaillé cette approche à plusieurs reprises depuis les années 1980.[1]

Depuis une trentaine d’années, en Belgique et ailleurs, il existe bel et bien des recherches sur l’histoire de l’éducation populaire et une multitude de façons de l’aborder et de l’écrire. Écrire cette histoire n’est pas une « opération neutre » ; la démarche met en jeu des sources, des analyses critiques, des approches et des sensibilités différentes. Face aux questionnements que celle-ci suscite, particulièrement lorsque nous la lions à celle d’une co-construction des savoirs, participer à la rencontre internationale, organisée par l’Université Lille 3 – Sciences humaines et sociales, sur l’histoire de l’éducation populaire des 17, 18 et 19 juin 2015 constitue une formidable opportunité de renouveler l’approche, tant dans la recherche que dans la formation, et surtout d’entamer une réflexion sur : comment faire progresser le chantier de l’histoire de l’action socioculturelle aujourd’hui, tout en lui donnant du sens pour les animateurs et animatrices de terrain qui vivent ses évolutions et relèvent des défis, a priori vécus comme « ultracontemporains » ?

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