SYNECO : Aide à l’économie sociale, au non-marchand ou aux deux ?

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Pierre Georis (anciennement secrétaire général au MOC)

L’ASBL SYNECO est une agence-conseil en économie sociale reconnue par la Wallonie. À ce titre, elle offre différents services d’information, d’assistance et d’accompagnement à des entreprises d’économie sociale, existantes ou en perspective (aides à la création). Elle relève du périmètre des associations et entreprises du MOC.

La contribution qu’on lira relève du témoignage réflexif, à partir d’une position particulière. L’auteur des présentes lignes a été administrateur de SYNECO de 1995 à décembre 2020. Il en a exercé la présidence à partir de 2012. À partir de cette même année 2012, il a collaboré à la politique éditoriale de l’ASBL. À l’écriture de la présente (2023), cette collaboration se poursuit toujours[1]. Il ne s’agit donc pas du témoignage d’un exécutif, acteur de l’action quotidienne. Mais de quelqu’un qui s’est trouvé pendant 25 ans dans l’environnement proche de l’action, en particulier celui où il s’agit d’être interlocuteur de l’exécutif, pour débattre des orientations stratégiques ou des options politiques. Le mandat est lié aux fonctions exercées par ailleurs par l’auteur : les AID qu’il dirigeait en début de période sont un dispositif du MOC clairement inscrit dans l’économie sociale ; la fonction ensuite de secrétaire général du MOC impliquait de s’occuper de la gestion d’une association relevant explicitement de son périmètre de responsabilité. Au-delà de la mise en récit d’une période de l’histoire de l’ASBL, on essayera de répondre à la question : en quoi SYNECO est-il un « révélateur » du positionnement du MOC dans le champ de l’économie sociale.

Économie sociale

Une mise en contexte est le préalable de la mise en récit. Il existe plusieurs façons de définir l’économie sociale[2], ce qui rend d’emblée le sujet compliqué ! Les acteurs belges sont cependant grosso modo en accord sur une définition qui combine deux approches d’abord distinctes. D’une part, une approche juridique et institutionnelle. Il s’agit d’y inclure toutes les formes pertinentes de statuts d’entreprises : les coopératives, les mutuelles, les associations et fondations. Autrement écrit : on regroupe tout ce qui n’a pas le profit pour finalité première. D’autre part, une approche normative, qui caractérise les principes que lesdites structures ont en commun :

  • La finalité est de service aux membres et à la collectivité plutôt que de profit.
  • La gestion est autonome : on n’est donc pas dans un service organisé par l’État.
  • Le processus de décision est démocratique, selon le principe « une personne = une voix » plutôt que « une action = une voix »
  • La primauté est donnée aux personnes et au travail sur le capital dans la répartition des revenus. On préfère offrir des ristournes aux usagers ou affecter les bénéfices à des fins sociales ; s’il y a rémunération du capital, ce sera de manière limitée.

La notion « solidaire » a vocation à « ramasser » les quatre principes en un seul mot, ce qui explique que, dans l’espace francophone tout au moins, la tendance est de plus en plus à parler de « l’économie sociale et solidaire ». Par le fait même, il y a aussi ouverture à un large informel. Car plein de choses se passent aussi, qui ont à voir avec l’économie, mais se jouent en dehors de toute structure juridique : l’aide dans le cadre familial, épauler un voisin dans son déménagement, faire une course pour une personne âgée, organiser un groupe d’achat, cultiver ses légumes dans un potager collectif…

Le choix de « mixer » les deux approches[3] présente l’avantage de sortir du champ ce qu’une facilité de langage nomme « les fausses ASBL » (ou « les fausses coopératives »), par exemple un café ASBL qui organise le deal de drogues (la vraie finalité est le profit) ou la milice d’extrême-droite qui aurait statut d’association (on sort du champ de la démocratie).

Tiers secteur

À l’international, on utilise « tiers secteur » : pour les non francophones, la notion est plus compréhensible que la traduction littérale de « économie sociale », tout en permettant d’appréhender, même intuitivement, qu’on réfère à un espace qui n’est ni le marché lucratif, ni l’État.

Non-marchand

Une notion qui comprend « non » se donne une définition d’abord « en creux » : est non-marchand tout ce qui n’est pas marchand. Mais que fait-on des très nombreuses situations hybrides, qui mêlent ressources marchandes et non-marchandes (en particulier des subventions publiques) ? Il n’y a pas de consensus sur la réponse à donner, ce qui complique les débats. Les scientifiques[4] s’accordent sur : secteur privé et public chaque fois qu’il y a combinaison de but non lucratif et ressources non-marchandes ou mixtes. La comptabilité nationale quant à elle répond en resserrant la condition lorsqu’il y a ressources mixtes : est non-marchande l’activité dont le produit des ventes ne permet pas de couvrir au moins 50 % des coûts de production. Ce critère est repris dans les législations régionales wallonne et bruxelloise : c’est à partir de lui qu’on va distinguer des situations assez proches. Ainsi, les entreprises d’insertion sont dans le marchand et ont l’autorisation d’un chiffre d’affaires illimité. Les entreprises de formation par le travail, quant à elles, relèvent du non-marchand dans la mesure où 50 % de leurs ressources ne sont pas procurées via leur chiffre d’affaires économiques : si elles franchissent cette frontière, elles basculent dans l’entreprise d’insertion et doivent s’adapter à des conditions sensiblement différentes pour leur fonctionnement, leur agrément et leurs subventions publiques. Depuis le tournant du 21e siècle, pour des raisons d’image et de communication, les acteurs du « non-marchand » tendent à faire évoluer la notion vers « profit social ». Il s’agit principalement de « positiver » le sujet.

Positionnement des champs l’un par rapport à l’autre

« Économie sociale » et « non-marchand » ne désignent donc pas des réalités identiques, même s’il existe un large espace d’intersection. En définitive, il existe un champ englobant : le non-lucratif (par opposition au lucratif), qui concerne le secteur privé tout autant que l’étatique d’une part, qui peut être marchand autant que non-marchand d’autre part. Là-dedans, l’économie sociale occupe tout l’espace du secteur privé non lucratif (qu’il soit marchand ou non-marchand). Le non-marchand quant à lui occupe tout l’espace des activités à but non lucratif mobilisant des ressources exclusivement non-marchandes ou des ressources hybridant marchand et non-marchand (que ce soit organisé par l’État ou le secteur privé). L’espace d’intersection entre les deux est l’économie sociale non-marchande.

Un point de tension : quelle économie sociale les gouvernements doivent-ils soutenir ?

Il ne faut pas se tromper : de manière générale, les gouvernements soutiennent le non-marchand autant que le marchand ; la question n’est pas celle de la présence/absence de soutien « en soi ». Lorsqu’il s’agit d’économie sociale cependant, une tension se manifeste autour de la priorité souvent affirmée de soutien au marchand, qui plus est dans un objectif principal de mise au travail de personnes éloignées de l’emploi. La controverse existe. Des acteurs de l’économie sociale trouvent l’approche pertinente, d’autres craignent une délégitimation du soutien au non-marchand. En tout état de cause, la Wallonie est dans l’option du soutien à l’économie sociale marchande. Elle s’observe jusqu’à sa manière de soutenir les agences-conseil en économie sociale : elles doivent montrer que leurs activités d’accompagnement concernent à plus de 50 % des entreprises marchandes. C’est en particulier le positionnement du MOC dans cette controverse qui sera questionné dans notre récit.

Une ASBL baladeuse

La CSC s’était déjà engagée dans des luttes sociales d’autoproduction/autogestion d’entreprises fermées, restructurées, en tout cas mal en point. Elle avait initié la Fondation André Oleffe (FAO) pour soutenir la dynamique. Mais, en 1988, la faillite des Galeries namuroises, entreprise issue des Galeries Anspach et gérée par la FAO, a fracturé la collaboration. La FAO s’est détachée de la CSC qui cherchait à y reprendre de contrôle. La CSC a alors créé une nouvelle ASBL afin d’assurer un service de soutien à l’entreprenariat d’économie sociale : SYNECO.

Les débuts ont été modestes : une personne, Ghislain Dethy, provenant de la CSC et un bureau à Namur, dans les locaux du MOC. Quelques années plus tard, 1993, pour des raisons que l’auteur ignore, l’ASBL a été transférée dans les locaux du Mouvement ouvrier chrétien national, sous la nouvelle direction de Philippe Joachim. Elle a eu statut de service du MOC, son directeur étant associé aux différentes instances et aux lieux de coordination du Mouvement[5].

En 1995, en suite d’une absence de résultat conjointe à du conflit avec le directeur, l’outil fait à nouveau l’objet d’un réaménagement : il est cette fois transféré dans le périmètre du groupe ARCO et Françoise Robert en est nommée directrice[6]. Le siège social est à Ciney, dans les locaux de l’EPC (Économie populaire de Ciney). Le groupe ARCO « fonctionne sur deux jambes » : une ASBL PROCURA est le pendant flamand de SYNECO. Les directeur et directrice siègent chacun dans le conseil d’administration de l’autre en sorte de faciliter les synergies. ARCO a veillé à composer le conseil d’administration en prenant en compte non seulement lui-même (l’ASBL était présidée par Marc Tinant, membre francophone du comité de direction du Groupe) mais aussi ses entreprises filiales (banque, assurances et EPC), et encore les organisations CSC et MC, ainsi que le MOC, tous représentés par des responsables nationaux. Cette composition organisait la coexistence des cultures marchande et non marchande dans la même ASBL.

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