Introduction au dossier : Militer en entreprise – une réalité polymorphe : l’exemple des ACEC

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Camille Vanbersy (historienne et archiviste CARHOP asbl)

Il y a quelques mois, le CARHOP a été contacté par Adrian Thomas, historien à ULB-Centre d’Histoire et de Sociologie des Gauches suite à la sortie de son ouvrage consacré à Robert Dussart (1921-2011)[1], un ouvrier et militant communiste aux Ateliers de constructions électriques de Charleroi (ACEC)[2]. Dans cet ouvrage, l’auteur part du parcours de Robert Dussart pour dresser une « histoire ouvrière des ACEC » et présenter les « hommes et les femmes qui ont fait les batailles sociales des ACEC ». Ce fil rouge permet au travers de l’étude de la carrière du militant communiste de découvrir l’évolution des rapports de forces sociaux dans l’entreprise, le vécu au cœur de la cellule communiste des ACEC, des délégations syndicales et des rapports entre les composantes socialistes, communistes et chrétiennes de celles-ci. Un chapitre de l’ouvrage est consacré aux rapports entre les militants communistes et les syndicats chrétiens en général et tout particulièrement aux ACEC.  De ce point de départ, l’équipe du CARHOP s’est alors posé la question : en quoi consiste la militance en entreprise ? Quels sont les moyens déployés pour militer, recueillir la parole des travailleurs et travailleuses, construire une analyse et porter des revendications en entreprise ?  L’ambition de ce numéro est d’apporter un complément à l’ouvrage d’Adrian Thomas en recherchant les actions et les modes de militance chrétienne dans une entreprise très « rouge », où les ouvriers ont plutôt une propension à s’affilier à la FGTB . Par-là, ce numéro de Dynamiques pose les éléments de la construction de ponts entre piliers qui, ensemble, participent à un large mouvement porteur de transformation sociale.

Outre la parution de l’ouvrage d’Adrian Thomas, le choix de centrer ce numéro sur les ACEC tient également à l’importance que revêt encore aujourd’hui cette entreprise dans les mémoires en termes d’engagement et de militance. En effet, si, dans la région de Charleroi et de Liège, les ACEC restent un des symboles de lutte et de militance c’est suite à des actions marquantes telles que le débrayage de ses travailleurs et travailleuses, le 20 décembre 1960. Cette action, menée contre l’avis de la direction générale de la FGTB, est considérée par beaucoup comme un élément décisif de « la grève du siècle » de l’hiver 1960 – 1961[3], comme son coup d’envoi. Et aujourd’hui encore, le souvenir de la grandeur de cette entreprise ou des mouvements sociaux qui s’y sont déroulés sert de ressort pour des actions politiques. En témoignent les « récupérations » multiples dont a fait l’objet, il y a quelques jours encore, le site de l’entreprise situé à Herstal par différents partis politiques. À l’occasion de la fête du Travail du 1er mai, Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement réformateur (MR), venu « là où nous n’avons pas encore assez convaincu, là où on ne nous fait pas confiance »[4] a croisé Frédéric Daerden, président de la fédération liégeoise du Parti socialiste, venu, en réponse, fleurir une plaque commémorative rendant hommage aux ouvriers des ACEC morts durant la Seconde Guerre mondiale. Quels que soient les ressorts menant à l’instrumentalisation d’un tel site (terrain à (re)conquérir, terre de mémoire, nostalgie d’un âge d’or ?), ceux-ci témoignent des enjeux que conservent les territoires industriels.

L’objet de ce numéro est donc d’apporter quelques éclairages sur la militance en entreprise et plus particulièrement aux ACEC en braquant le projecteur sur les actions d’obédience « chrétiennes », avec toutes les nuances que cela présuppose. Les articles qui suivent envisageront différents aspects de cette militance polymorphe prenant place tour à tour au sein des syndicats, dans d’autres mouvements ou au travers de syndicalistes et d’intellectuels et recevant des réponses du patronat. Le souhait étant que ces exemples puissent éclairer les enjeux contemporains que traverse la militance au sein du monde de l’entreprise : comment militer ? Comment affilier ?

Afin de comprendre le contexte industriel spécifique au sein duquel la militance se déploie aux ACEC, Adrian Thomas, historien, propose dans son article intitulé « Histoire synthétique des ACEC » de parcourir le siècle d’existence de la société et retrace les évènements marquants de l’histoire de ce « fleuron de l’électromécanique » qui finira « pillé par la Société Générale de Belgique ». Après avoir rappelé les origines de la société intimement liée à Julien Dulait et la fondation des ACEC proprement dits sous l’impulsion du baron Empain, Adrian Thomas rappelle les différentes périodes traversées par l’entreprise : son essor pendant l’entre-deux-guerres, la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale qui entachera sa réputation et ses meilleures années, de l’après-guerre à la fin des années 1960. L’article se clôt par la description des mobilisations importantes des travailleurs face à la fin de l’entreprise, entrainant la perte de nombreux emplois.

Dans le deuxième article, Amélie Roucloux, historienne au CARHOP, revient sur cette période de déclin et sur les conflits sociaux qui l’émaillent en se concentrant sur le tournant des années 1970, période durant laquelle les grèves se multiplient. Pour faire face à cette mobilisation, une tactique patronale, le lock-out, c’est-à-dire la fermeture de l’entreprise par le patronat, est étudié par la Fédération des entreprises métallurgiques (Fabrimetal), la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) et la direction des ACEC. Cet outil permet un renversement du rapport de force et devient, pour les employeurs, le pendant des grèves. Après avoir situé le contexte général des conflits sociaux aux ACEC, Amélie Roucloux explique les démarches et réflexions entreprises par ces institutions pour se prémunir d’éventuelles conséquences à la mise en pratique d’une telle action. Un préavis de lock-out sera remis par la direction en mars 1974 suite au bras de fer mené avec les travailleurs et travailleuses depuis plusieurs années. Ceux-ci réclament d’une part des améliorations salariales pour le personnel ouvrier et le maintien de l’emploi pour le personnel employé alors que de son côté la direction met à la pension le personnel « mal adapté ». Cette action patronale aura pour conséquence de mettre à mal le mouvement social alors que dans les années qui suivront les relations entre patron et syndicats se durciront encore.

Le troisième article, rédigé par Marie-Thèrèse Coenen, historienne au CARHOP, se propose de dresser le portrait de Michel Capron, économiste, expert de l’industrie wallonne et en particulier de la sidérurgie et de la métallurgie travaillant à la FOPES, militant de la Ligue révolutionnaire des travailleurs (LRT) et militant syndical à la Centrale nationale des employés (CNE). Après avoir dressé son parcours depuis ses débuts et sa formation aux Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur jusqu’à son engagement au sein de la section syndicale de l’Université catholique de Louvain, le texte s’attache à ses combats et ses écrits prolifiques et plus particulièrement, ceux concernant les ACEC. Cet article s’attarde également sur un dossier publié en 1971 dans La gauche sous le titre « Intégration européenne et pénétration américaine, un bel exemple : les ACEC – Westinghouse » en soutien à la grève en cours aux ateliers. Cet article témoigne d’un autre aspect de la militance en entreprise qui se traduit par l’analyse et la construction d’une pensée intellectuelle au service des travailleurs militants au cœur de l’action de terrain.

Au travers du quatrième article, Camille Vanbersy, historienne et archiviste au CARHOP, ajoute une dimension supplémentaire à la militance en entreprise. En effet, celle-ci ne se construit pas et ne s’écrit pas uniquement via les organisations syndicales et les combats syndicaux. Il s’agit d’un mouvement plus large qui touche et encadre parfois des groupes spécifiques, ici les jeunes. Pour l’illustrer, elle s’attarde sur l’action de la Jeunesse ouvrière chrétienne au sein des entreprises et plus particulièrement aux ACEC. Elle revient sur les groupes d’action au travail (GAT) mis en place avant la guerre et relancé après celle-ci dont le but premier était d’encadrer au mieux les jeunes travailleurs et travailleuses lors de leur entrée dans le monde du travail. L’article débute en présentant les grandes lignes de l’histoire de ces groupes au niveau de la JOC, dans la région de Charleroi et aux ACEC en particulier. Elle présente ensuite un des modes d’action de ces groupes que sont les enquêtes menées auprès des jeunes qui, à l’époque, constituent un des outils majeurs d’éducation permanente et de transformation sociale et qui nous permettent encore aujourd’hui de dresser quelques traits de leurs portraits, leur vécu et leurs aspirations.

Enfin, pour clôturer ce numéro, Adrian Thomas revient sur un chapitre de son ouvrage consacré aux rapports entre Robert Dussart et les syndicats chrétiens. Il décrit premièrement le contexte favorable au rapprochement qui s’opère au cours des années 1950 et 1960 entre catholiques et communistes en Europe, et plus particulièrement en France et en Belgique. À Charleroi et aux ACEC plus précisément, c’est après la Grande grève de 1960 que le rapprochement s’opère. Celui-ci est le fait de personnalités telles que l’abbé Raphaël Verhaeren, prêtre-ouvrier travaillant aux ACEC, que la grève a rapproché de militants comme Robert Dussart ou de journaux tels Le travailleur où écrivent syndicalistes chrétiens, communistes, socialistes et trotskistes. Adrian Thomas revient ensuite sur les actions menées par Dussart pour se faire entendre des chrétiens et maintenir les rapports de respect avec la CSC des ACEC. Il inscrit cette action locale dans un processus de fond qui amène à un rapprochement plus large entre chrétiens et communistes qui aura lieu après l’appel de Léo Collard à dépasser les clivages en mai 1969 à Charleroi.  À la suite de celui-ci naitra le Groupement politique des travailleurs chrétiens (GPTC) permettant le dialogue entre le Mouvement ouvrier chrétien (MOC) et le PCB. Alliance ou rapprochements qui ne dureront cependant qu’un temps et qui, aux ACEC, déclineront à mesure que les tensions sociales croîtront et que l’entreprise se dirigera vers sa fin.

Notes

[1] Pour une biographie détaillée consulter également : HEMMERIJCKX R. et THOMAS A., « Dussart robert », dans Maitron, mis en ligne le 30 mai 2020, dernière modification le 29 mars 2022, https://maitron.fr/spip.php?article228420, page consultée le 3 mai 2022.
[2] THOMAS A., Robert Dussart. Une histoire ouvrière des ACEC de Charleroi, Aden, Bruxelles, 2021.
[3] La grève du siècle s’oppose au programme d’austérité mis en œuvre par le Gouvernement de Gaston Eyskens et dure six semaines paralysant une grande partie du pays et principalement la Wallonie.
[4] « Discours du président du MR Georges-Louis Bouchez Herstal – 1er mai 2021 », en ligne https://www.mr.be/discours-du-president-du-mr-georges-louis-bouchez-herstal-1er-mai-2021/ (consulté le 3 mai 2022).

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

VANBERSY C., « Editorial », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°18 : Militer en entreprise, une réalité polymorphe : l’exemple de ACEC, juin 2022, mis en ligne le 2 juin 2022, mis en ligne le 2 juin 2022. URL : www.carhop.be/revuescarhop

Militer en entreprise, uniquement une affaire de syndicat ? Les groupes d’action au travail de la JOC et leurs enquêtes aux ACEC

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Camille Vanbersy (historienne et archiviste au CARHOP)

Mars 1985, un groupe de jocistes parcourt la région de Charleroi à la découverte des entreprises présentant des possibilités d’emploi dans la région. Il détaille les réalisations et réussites de chacune : Cockerill et la Providence, Dupuis, Solvay, Glaverbel, Caterpillar et les Ateliers de Construction Electriques de Charleroi (ACEC), présentés comme suit : « À côté [des câbleries de Charleroi], se trouvent les ACEC. Notre guide nous dit que les ACEC sont spécialisés dans l’électronique. Ils viennent de décrocher un contrat pour le métro de Manille… et, savez-vous que les ACEC font une partie de la fusée Ariane ? Bravo les ACEC ! ». À la lecture de cette visite presque « touristique », on peine à croire qu’à peine vingt ans plus tôt la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) a investi ces usines comme autant de lieux de militance.

En effet, en 1985 comme aujourd’hui, lorsque l’on pense à la militance et aux actions de revendication menées en entreprise, c’est avant tout l’image de délégations syndicales, de représentation en conseil d’entreprise ou de mobilisations et de calicots aux couleurs des syndicats qui nous vient à l’esprit. Cependant, aux détours de quelques archives, il apparait que la défense des droits des travailleurs et travailleuses n’a pas toujours été l’apanage des organisations syndicales. D’autres mouvements, d’autres organisations ont porté des revendications en entreprise. Parmi ceux-ci, la JOC qui, dès son origine, souhaite se positionner en faveur des droits des jeunes travailleurs et travailleuse. Comment cette militance a-t-elle pu trouver sa place dans le monde du travail ? Quelles formes a-t-elle pris ? Voici quelques questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cet article au départ d’un exemple concret, celui de l’action de la JOC aux ACEC.

Pour retracer cette histoire, nous avons premièrement consulté les archives de la JOC nationale et celles de Charleroi conservées au CARHOP[1]. Au travers de la correspondance de l’équipe fédérale, des procès-verbaux des réunions des sections locales, il est possible de retracer une partie des actions menées par les militant. e. s dans le cadre des groupes d’action au travail (GAT). Les journaux tels que le Bulletin des Dirigeants, l’équipe, et surtout Action au Travail publié de 1944 à 1945 et Notre action, paru entre 1946-1947 et entre 1949-1953, tous deux des bulletins des militant. e. s en milieu de travail, renseignent sur les actions menées au sein des entreprises. Ces publications donnent des directives et rapportent des nouvelles des groupes actifs dans les usines[2].

Notre action, bulletin des dirigeants de la JOC, avril 1948. CARHOP, fonds JOC nationale, boîte « bulletins ».

Les fonds d’archives mentionnés ci-dessus ne sont actuellement pas inventoriés. Dès lors, seules quelques indications présentes sur les boites permettent de retrouver les sources pouvant documenter l’histoire des GAT et plus précisément celui des ACEC. De plus, ces sources sont lacunaires et des pans entiers des actions nous échappent encore. Cet article se veut donc une amorce pour d’autres études plus détaillées. D’autres éléments pourront sans doute à l’avenir être trouvés dans les archives de la CSC et de la FGTB ou auprès d’ancien.ne. s militant. e. s ayant œuvré dans ces groupes. Cet article est donc aussi un appel aux ancien.ne. s militant. e. s à se manifester pour témoigner des actions qu’ils ont menées en entreprise.

Militer en entreprise : Accueillir les jeunes travailleurs et défendre leurs droits — les Groupes d’Action au travail aux ACEC

Quelles sont les spécificités de l’action de la JOC en entreprise, ses méthodes et ses actions ? Pour pénétrer le monde de l’usine, la JOC crée en 1941 les Groupes d’action au travail (GAT). L’activité de ces groupes diminue, voire disparait durant la Seconde Guerre mondiale, pour être ensuite relancée. En 1945, une vingtaine de groupes est en activité ou en formation. Dans les années qui suivent, le nombre de groupes croît de manière importante, ils sont estimés à 200 en 1947 par la JOC et la KAJ. Par la suite, le mouvement s’essouffle et ce nombre descend à 18 dans 17 fédérations sur les 20 que compte la JOC en 1956-1957. Le milieu des années 1950 est marqué par un regain de vitalité pour ces groupes et, en 1956-1957, 13 nouveaux GAT sont créés. Leur objectif est d’accueillir et d’encadrer les jeunes travailleurs et travailleuses dans le monde du travail en menant des actions sur les plans militants, syndicaux, moraux et religieux.

Les ACEC, comme d’autres entreprises de la région[3], voient rapidement la création de GAT. Les premières traces d’actions de la JOC aux ACEC sont ténues et empêchent de saisir exactement la portée de celles-ci. À la fin des années 1940, les archives comportent de rapides descriptions d’actions de militant. e. s ou de sympathisant. e. s. En 1948-1949, un procès-verbal de la section de Gilly-Sart-Culpart explique par exemple : « Aux A.C.E.C. (moteurs moyens) un sympathisant a groupé ses camarades J.T. [jeunes travailleurs] pour désencombrer les alentours de leurs métiers pour travailler plus facilement »[4]. Les sources n’en disent pas plus sur la personnalité de ce militant. L’extrait, et les autres exemples d’actions menées dans d’autres entreprises qui l’entourent, permettent cependant de saisir l’ambition de ces jeunes : ceux-ci veulent améliorer leurs conditions de travail par des initiatives pragmatiques.

Il faut ensuite attendre 1956, période de regain dans l’action de ces groupes comme nous l’avons mentionné plus haut, pour revoir, au travers des archives, un GAT actif aux ACEC. Au sein de la revue Notre Action, le plan d’action du groupe est présenté. Le GAT souhaite mener des études et des actions en lien avec le salaire des jeunes, la semaine de cinq jours et les cours du soir, ainsi que les congés payés jeunes. Il rejoint ainsi les préoccupations de l’époque en général et de la JOC en particulier qui œuvre également en faveur de ces thématiques. Enfin, ménageant un certain suspens, un week-end à destination des militant. e. s est annoncé, la date et le lieu restant encore à définir, l’objectif étant la création d’un GAT aux ACEC et le recrutement de nouveaux militants[5].

Sur le front du travail — bulletin des militants d’Action au travail, novembre 1956. CARHOP, fonds JOC nationale, boite « bulletins ».

Les archives présentent dans les fonds témoignent davantage des démarches de la JOC pour recruter de membres au sein des GAT que des actions de celui-ci. En effet, Le recrutement des militants parait ardu tout au long de l’existence du GAT et la stratégie à adopter fait l’objet de réflexions importantes. En juin 1961, un rapport de la réunion préparatoire de l’équipe fédérale signale qu’il faut repérer des jocistes militants dans différentes usines de la région, dont les ACEC. Le travail de constitution du groupe semble complexe. À cette fin, en 1964, la JOC de Charleroi s’emploie à entrer en contact avec de jeunes travailleurs de cette entreprise. Un premier courrier est envoyé en février par l’équipe fédérale aux sympathisants. Il détaille l’objet de la rencontre proposée aux futurs militants : faire connaissance, échanger sur les difficultés vécues dans le milieu du travail pour « enfin, [voir] ensemble de quelle façon nous allons transformer notre milieu de travail. » La volonté est de s’appuyer sur les jeunes eux-mêmes :

« La réussite de cette rencontre dépend de toi : dans la mesure où tu seras présent, tu n’auras pas peur de parler, de dire ton avis, tu es décidé à faire quelque chose. Au cas où tu hésiterais à participer à cette rencontre, pense aux jeunes de ton atelier, pense que si toi tu as peur de t’engager, la situation dans laquelle se trouvent les jeunes restera inchangée. »[6]

En 1964, la JOC de Charleroi semble vouloir mettre un coup d’accélérateur dans la mobilisation, l’affiliation des jeunes et la défense de leurs intérêts, et ce, principalement au sein des GAT. Pour ce faire, plusieurs lettres sont envoyées aux militants et retracent les autres actions mises en œuvre. Le bureau fédéral explique en juillet dans un courrier adressé aux jeunes des ACEC et des verreries avoir « (…) contacté des jeunes, nous les avons fait participer à la diffusion des enquêtes, nous avons réfléchi sur les proclamations. Ne serait-il pas intéressant de nous retrouver pour mettre en commun les différentes réalisations, pour faire le point et préparer notre plan de travail pour l’année 1964-1965. » La tâche ici encore semble difficile et une autre lettre est envoyée en octobre 1964 pour « pénétrer les milieux suivants : A.C.E.C, Fairey, Glaverbel Roux, Glaverbel Gilly, les employés » en invitant à une rencontre regroupant de jeunes travailleurs[7].

Ces efforts semblent porter leurs fruits, un GAT est actif l’année suivante dans l’entreprise. Lancé par quatre jocistes, il devient un groupe pluraliste composé de jeunes syndiqués de la CSC et de la FGTB. En effet, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, des convergences naissent entre syndicats chrétien et socialiste et les affiliations se basent moins sur des critères philosophiques que sur des positions et des actions. Les combats communs se multiplient[8]. Aux ACEC, des liens étroits se tissent entre les délégations FGTB et CSC, bien que ce dernier reste minoritaire dans l’entreprise. Les ACEC sont d’une certaine manière à l’avant-garde des rapprochements qui naitront ailleurs dans les années suivantes.

G.A.T. A.C.E.C Groupe d’action au travail groupant des jeunes décidés de la FGTB et de la CSC, 13 janvier 1965 (CARHOP, fonds JOC Charleroi, boite IV ).

Pour faire connaitre ses actions et ses revendications, le GAT publie des feuillets et des courriers distribués au sein de l’entreprise. La situation des jeunes est au cœur de leurs revendications. En janvier 1965, une « mise au point » en lien avec un « statut des jeunes » adopté en commission paritaire[9] sort. Les documents consultés ne donnent malheureusement aucune information sur le contenu de ce « statut des jeunes ». La JOC dénonce alors l’attitude de FABRIMETAL qui semble vouloir intervenir au sein de l’entreprise, alors que d’autres négociations sont en cours :

« […] cette manœuvre visant à tromper les jeunes, cette commission paritaire est inutile.

1) Elle risque d’en limiter l’application ;
2) C’est une manœuvre de propagande pour abuser de la confiance des jeunes ;
3) Des négociations intéressantes sont en cours aux ACEC ;
4) Plusieurs entreprises de la région ont déjà appliqué le statut ;
5) Seulement si une difficulté persiste une conciliation doit se tenir au niveau de Fabrimetal.

Les jeunes veulent :
La discussion et l’application du statut au niveau de chaque entreprise.
L’union entre tous les travailleurs jeunes et adultes pour l’aboutissement de ces revendications.
Faire confiance à leurs délégués d’entreprise pour mener à bien les pourparlers entrepris dans notre usine.
JEUNES L’AVENIR NOUS APPARTIENT IL FAUT LE BATIR GRAND ET BEAU.
L’équipe GAT »

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