Travail et conditions de travail au Congo hier et aujourd’hui

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Pierre Tilly
Historien, HELHa et UCL Mons

Contrairement à d’autres continents où les recherches sont plus abouties, la question du travail au sens large dans le monde colonial africain occupe encore aujourd’hui une place marginale dans l’historiographie. Elle a retenu pourtant l’attention des sociologues et des anthropologues au moment même de la colonisation et elle a suscité des débats parfois controversés sur l’exploitation de la main-d’œuvre, le travail forcé ou sur la productivité supposée inférieure de l’Africain par exemple. Ces controverses et discussions ont par ailleurs connu un prolongement durant la période postcoloniale.[1] Rappelons à ce sujet qu’à partir des années 1990, un renouveau dans la lutte contre les discriminations a conduit à s’interroger de plus en plus sur les liens possibles entre des situations de domination passées et actuelles. Le champ reste toutefois globalement en friche dans le domaine de l’histoire et notamment sur le contexte spécifique et les caractéristiques et singularités du monde du travail au Congo belge. Une interrogation majeure doit pouvoir soutenir de plus en plus cette réflexion et constituer un changement probant par rapport à la période coloniale justement. Comment faire parler et donner à entendre la parole des « sans-voix » qui constituent la majorité des personnes concernées par cette question du travail colonial ?

Pour éclairer cette question, notre contribution s’articule essentiellement autour de deux parties qui se veulent complémentaires. L’une est de nature plus méthodologique et pragmatiste, dans le sens où elle aborde cette histoire du travail dans une perspective « empirique », celle de l’histoire « telle qu’elle se fait »[2], plutôt qu’« épistémologique », ce qui reviendrait à privilégier les approches plus théoriques et philosophiques de l’histoire. L’autre partie se propose d’apporter quelques éclairages en prenant l’histoire « à rebours », en établissant des liens entre des réalités du monde du travail anciennes et toujours actuelles autour de permanences, de basculements, de ruptures qui sont essentielles pour comprendre les évolutions sur le temps long. La connaissance du contexte ne suffit pas en elle-même à apporter des réponses aux questions posées, mais elle nous rappelle l’importance d’éviter les anachronismes consistant à calquer les concepts situés historiquement sur des processus et des situations relevant d’autres temps et d’autres lieux. Il faut éviter d’établir des causalités historiques qui expliqueraient seulement des discriminations actuelles par l’analyse de l’ancien ordre colonial et mettre de côté les généralisations abusives qui minimisent les singularités et les différences entre les espaces et réalités considérés. Le thème du travail, comme d’autres d’ailleurs, bouscule le découpage en aires culturelles en invitant à des comparaisons et des analyses croisées d’une aire à l’autre. En ce sens, la multiplication et la confrontation de travaux portant sur des territoires et des espaces temporels différents ne peuvent qu’être encouragées.

Le travail a une histoire et il est le fruit de l’action de la société et des individus à travers le temps. Son contenu n’est pas identique selon les aires culturelles et les époques comme le montre le cas du Congo belge, à la fois singulier et illustratif de tendances plus générales. Il nous invite à nous pencher sur une histoire plus vaste liée au monde méditerranéo-asiatique et musulman et à celui de l’océan Indien, en l’absence des Européens, prenant résolument en compte la période précoloniale pour comprendre que l’on ne part pas de rien. Renouveler les analyses en situation coloniale des classes laborieuses et leurs capacités d’agir.

Une histoire du Congo belge au travail n’est pas aisée à appréhender dans sa totalité. Le jeu d’échelles est particulièrement difficile à articuler, que ce soit du local au global ou inversement. Les colonies ne se résument pas à de simples extensions marginales d’une histoire nationale ou à un prolongement du pouvoir et de la culture de la métropole. Les traits spécifiques de l’histoire de l’Afrique, définis par des facteurs locaux comme le poids de l’économie paysanne et informelle à forte intensité de main-d’œuvre, doivent nécessairement être pris en compte en raison de leur impact majeur sur les entreprises coloniales, les structures économiques et sociales coloniales. Et la capacité d’agir de manière autonome dans le chef des autorités locales comme des colonisés constitue une clé de compréhension supplémentaire et indispensable du système colonial comme l’ont démontré des travaux majeurs depuis deux ou trois décennies.[3] On peut l’illustrer au travers du maintien des pouvoirs coutumiers et leur participation à la mobilisation de la main-d’œuvre. Ce système que l’on retrouve notamment au Congo belge génère des rapports de force et des luttes d’influence qui sont complexes et qui montrent que l’autorité coloniale est loin d’être absolue et inébranlable.

Les formes de résistances des travailleurs et/ou les représentations du travail occupent une place de plus en plus importante dans les travaux actuels et permettent de révéler certaines stratégies d’autonomie d’une catégorie de travailleurs locaux et de les mettre en perspective avec les contraintes économiques et politiques exercées par le pouvoir colonial.[4] À l’alternative simpliste collaboration/résistance, des travaux récents ont substitué des analyses centrées sur la capacité d’initiative et d’action des dominés (agency en anglais), proposant ainsi une appréhension beaucoup plus fine des stratégies individuelles et collectives d’accommodement et de distanciation avec une domination brutale, mais matériellement et culturellement incapable de tout contrôler. Les Colonial Studies invitent donc à une recomposition de l’histoire coloniale en insistant sur la complexité de cette histoire partagée qui doit être écrite de plusieurs points de vue et à plusieurs voix.[5] À ce premier défi s’ajoute celui que constitue un objet historique presque expérimental à savoir l’étude des sociétés qui ont existé pendant quelques décennies et qui se sont ensuite défaites totalement ou partiellement.

Un élément essentiel est, en tout cas, à souligner si l’on veut s’inscrire dans une histoire du monde du travail digne de ce nom. Ce n’est pas seulement l’histoire des politiques, des décisions de l’administration coloniale, le rôle et l’influence des élites qu’il faut appréhender, mais aussi la vie de la population au travail, les réalités de terrain qui l’accompagnent et sa capacité d’affecter le cours de l’histoire.[6]

Cette démarche pose inévitablement la question des sources. Celles de l’histoire africaine d’avant la colonisation sont nombreuses et diverses, la relativité des données documentaires disponibles permettant une prise en compte systématique du point de vue des colonisés représente certes une réelle difficulté pour la période de la colonisation.[7] Remises en cause par les études postcoloniales au travers de perspectives « afrocentrées » qui déconstruisent « l’héritage biaisé de cette “bibliothèque coloniale”, où des concepts apparemment banals véhiculent inconsciemment des clichés séculaires » [8], ces sources n’interdisent pas pour autant de privilégier une histoire, ancrée dans les réalités de terrain, qui aborde, au côté de la doctrine et des normes, la philosophie de l’humain, les modes de gouvernement entre l’administration et les populations locales, et les pratiques de gestion liées au travail dans leur dimension quotidienne et presque banale.[9]

La question de la méthode est tout aussi fondamentale que celle des sources. Portée par de nouveaux courants de recherche qui prennent en compte un cadre global et la dimension normative, une approche postcoloniale accorde une place centrale aux modes de vie, de travail et de consommation loin de la société occidentale qui repose essentiellement sur l’idée du salariat comme pierre angulaire de l’organisation du travail et des relations qui y sont associées. Tout en prenant en compte un cadre général et normatif, un travail empirique sur les sociétés et les situations coloniales, sur le fonctionnement de cet écosystème dans leurs particularités apparaît essentiel. Il passe par une analyse pointue des formes de domination du colonialisme et des mesures visant à réformer ce système dans la réalité concrète. Les oppositions classiques entre travail libre et non libre, travail rémunéré et non rémunéré, formel et informel sont désormais clairement remises en cause et doivent être appréhendées de manière dynamique tant au niveau de l’exploitation des sources existantes que dans la problématisation et la phase d’analyse et d’interprétation des données historiques disponibles.

Les réalités du travail colonial à rebours

L’analyse historique par nature complexe et multiforme du travail en Afrique au sud du Sahara invite à prendre d’emblée plusieurs précautions. La première a trait au concept de travail dans cet espace qui, derrière une apparente singularité et uniformité, cache une multitude de réalités et de pratiques. Si l’on adopte un point de vue occidental, l’accent sera mis en général sur plusieurs dimensions distinctes du travail comme le fait de produire les biens nécessaires à la société. Et puis, il représente le moyen principal pour l’individu de subvenir à ses besoins vitaux grâce au salaire fourni. En Europe à tout le moins, le travail est devenu progressivement un principe dirigeant la vie de chacun.e avec l’industrialisation qui commence au 18e siècle. Les relations sociales sont progressivement réduites à la dimension laborieuse. Le travail en tant que concept ou notion juridique n’est entré dans les discours et les pratiques que depuis le milieu du 19e siècle.

En milieu colonial, la pratique précède et s’impose souvent face au droit et aux principes, ce qui s’explique notamment par l’hétérogénéité des situations, mais aussi par la volonté des acteurs de terrain. La manière de penser et de comprendre le travail en situation coloniale est d’une tout autre exigence vu la difficulté de l’appréhender dans le contexte de pays non industrialisés. Il faut donc se munir de l’outillage méthodologique adéquat en s’appuyant sur d’autres disciplines que l’histoire. Le monde du travail colonial exige en fait une approche nuancée loin de l’idée préconçue d’une prolétarisation progressive et linéaire de la main-d’œuvre de la colonie, conduisant à un mouvement et un combat social identiques à ce qui s’est passé en Europe. Plusieurs spécificités par rapport aux pays industrialisés ressortent, de manière évidente, comme l’absence d’un marché du travail du fait de la faible incitation salariale, le fait que le régime du travail est largement dominé par la question sociale ou encore la liberté du travail qui est globalement absente dans les faits même si elle est affirmée sur le plan des discours.

Ministère belge des Affaires étrangères (MAE), Archives Africaines (AA), Photothèque, dos. 145, Construction du chemin de fer, Lac Léopold, 1914.

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Résistances des Bashi au travail forcé dans le Kivu sous le régime colonial. Stratégies d’acteurs.

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Asclépiade Mufungizi Mutagoyora
Enseignant-chercheur, Université catholique de Bukavu
Faculté des sciences économiques et de gestion

Lorsque la colonisation apporte au Congo l’école et la « discipline du travail ou le travail éducatif »[1], les villages n’y trouvent aucun intérêt socio-économique. Les populations locales assurent encore leurs moyens de subsistance de manière indépendante et le chômage est un fait qu’elles ne connaissent absolument pas.[2] Mais la contrainte exercée par l’administration coloniale et la spoliation des terres ancestrales par le colonat agricole, dans le Kivu particulièrement, ne les laisseront pas longtemps à l’abri de la faim et du chômage.

Ironie de l’histoire, maintenant que les vieilles concessions coloniales sont quasiment abandonnées à l’inexploitation, la perception de nombre de paysan.ne.s, presque sans terre et privés du travail dans les plantations, a changé. Ils regrettent ce temps de travail « forcé », qui, dans sa forme améliorée, ne procurait pourtant qu’un revenu d’appoint aux familles demeurées actives dans l’agriculture familiale.[3] Dans un texte consacré aux difficultés économiques, sociales et politiques du Bushi[4], l’agronome Hugues Dupriez, parle « d’asphyxie » pour dépeindre la situation de privation et de manque de marges de manœuvre que connaissent des paysan.ne.s dépossédés de leurs terres et dominé.e.s par un pouvoir traditionnel assez fort. Ils et elles sont alors dans l’incapacité de créer et d’obtenir, dans le Bushi, des conditions de vie décentes. Aujourd’hui, on peut se questionner sur les possibilités de travail dont cette région peut encore rêver. Pour ce faire, cet article commence par interroger le contexte dans lequel le colonat agricole s’impose au Kivu après la Première Guerre mondiale. Il examine ensuite les stratégies utilisées par l’administration coloniale et les colons pour astreindre les populations du Bushi au travail forcé et la manière dont les paysan.ne.s, ainsi que l’autorité traditionnelle, se comportent face à la domination européenne. L’histoire retient que c’est l’impôt qui s’imposera comme stratégie gagnante sur les populations indigènes au bout du compte. Quelques pistes d’actions en faveur du travail décent dans cette contrée sont finalement tracées à grands traits, en complément à nos conclusions.

Le contexte de la résistance : l’accaparement des terres par les colons

    • Bref aperçu du Bushi et du Kivu

L’entité géographique du Bushi (carte 1) abordée dans cet article dépasse celle du Bushi réduite dans une acception uniquement politique aux seules chefferies ou collectivités locales de Kabare et de Ngweshe. Elle intègre cinq autres royautés (Kaziba, Luhwinja, Burhinyi, Ninja et Kalonge) qui, par la culture (langues, mœurs, croyances religieuses, institutions économiques et socio-politiques communes), constituent depuis des siècles les fondements de l’unité des Bashi, peuple habitant le Bushi.[5]

Carte 1 : La région du Bushi dans le Sud-Kivu à l’Est de la RD Congo. Source : carte élaborée à l’aide du logiciel ArCGIS Desktop version 10.2.1 à partir de la base de données MONUC ES et de l’Atlas de l’organisation administrative de la RDC. [6]

Cette entité fait partie de l’actuelle province du Sud-Kivu, issue de la division de l’ancienne province du Kivu en trois provinces : le Sud-Kivu, le Nord-Kivu et le Maniema. Même si cette recherche se focalise sur le Bushi, les faits relatés trouvent des échos ailleurs en République démocratique du Congo[7], dans les territoires de Rutshuru et de Lubero[8] (carte 2) par exemple.

Carte 2 : La province du Nord-Kivu et ses territoires administratifs de Lubero et Rutshuru (Est de la RD Congo). Source : carte élaborée à l’aide du logiciel ArCGIS Desktop version 10.2.1 à partir de la base de données MONUC ES et de l’Atlas de l’organisation administrative de la RDC. [9]
  • De l’accaparement des terres indigènes 

Avant la Première Guerre mondiale, le Kivu est une terre quasi inconnue des colons. Il est ensuite découvert et convoité pour ses potentialités économiques et surtout agricoles.[10] À partir de 1925, les territoires de Kabare (Walungu inclus), Rutshuru et Lubero sont transformés en concessions des colons.[11] « La puissance colonisatrice du fait de l’occupation basée sur le droit du plus fort mystifiée ensuite par des raisons philosophiques d’une mission civilisatrice (…) s’octroie (alors au Bushi…) la plénitude de la souveraineté ».[12]

Mais cela ne s’effectue pas sans coup férir. La résistance s’avère de longue haleine au Bushi. Un jeu de stratégies se tisse alors au fil du temps entre acteurs en présence : administration coloniale, colons, bami[13], notables indigènes, paysan.ne.s.

Les stratégies d’acteurs

    • Spoliations 

Entre 1910 et 1914, la colonie jette son dévolu, à l’Est du pays, sur le Haut-Katanga et la région minière d’or de Kilomoto. L’État colonial y favorise l’installation de colons agricoles par la création du Comité spécial pour le Katanga (CSK), une organisation parastatale fondée dès 1900 par l’État indépendant du Congo et la Compagnie du Katanga. Ces derniers lui confient leurs biens communs, à charge pour le Comité de les gérer et de les exploiter. L’objectif qu’ils lui fixent est d’assurer et de diriger l’exploitation de tous les terrains appartenant au domaine de l’État et à la Compagnie du Katanga. Le CSK joue un rôle prédominant dans la prospection et l’exploitation des terrains miniers dans la région. Après la Première Guerre mondiale, le CSK multiplie ses services et, à côté de l’exploration minière, il développe notamment un service forestier, un service agricole, un service vétérinaire ainsi qu’une ferme expérimentale.[14]

Par contre, le district du Kivu est ignoré à l’époque, car peu connu. Ce sont les militaires européens qui parcourent cette région lors de la Première Guerre mondiale. À leur retour dans la métropole, ils en donnent des échos qui attirent l’attention du public et de l’autorité coloniale sur les potentialités économiques et surtout agricoles du Kivu.[15]

À partir de 1925, et de manière intense entre 1926 et 1928, la région se transforme en concessions des colons. Il en est de même pour Rutshuru et Lubero. À l’instar du CSK, est créé en 1928 le Comité national du Kivu (CNKi), à qui l’administration coloniale confie la gestion des terres domaniales du Kivu. L’État colonial, La compagnie des Grands Lacs et des groupes d’hommes d’affaires, agréés par le gouvernement colonial, s’associent pour une mise en valeur de grande envergure du territoire. Une grande société dont le capital s’élève à 150 millions de francs belges est alors constituée[16], en vue de construire des routes et des chemins de fer assurant la liaison avec les réseaux du Congo et avec les lignes des Grands Lacs, de développer les cultures industrielles et, si nécessaire, de provoquer l’immigration indigène afin de trouver de la main-d’œuvre.

L’historien Edouard Mendiaux stigmatise la manière dont cette institution procède alors pour céder ou concéder les terres aux colons.[17] À sa suite, l’historien Nzigire Bulakali examine 70 procès-verbaux de « vacances de terre », établis à l’époque, et constate que l’ensemble des terres cédées ou concédées appartiennent aux natifs et sont soit sous culture, soit habitées, soit en jachère au moment de leur cession aux colons.[18] L’examen de ces procès-verbaux révèle non seulement que la plus grande partie de ces terres est accordée aux sociétés, aux particuliers (colons) et aux missions religieuses, mais également qu’en échange de l’accaparement de milliers d’hectares de terres villageoises, les Européens payent des contreparties de pacotille (sel, perles, vélos et tissus).

Les statistiques ci-dessous (tableau 1) renseignent sur la situation de ces concessions en 1931 : sur 18 871 hectares spoliés dans le Kivu, 95 % sont situés dans la région du Bushi.

Tableau 1 : Le Kivu transformé en concessions européennes, particulièrement la partie du Bushi (1931) Source : tableau élaboré à partir de MUGANGU M. S., La gestion…, p. 237-238.

Au cours des vingt années suivantes, le phénomène se poursuit. Sur les 307 concessions qui appartiennent aux colons en 1953, dénombrées sur l’ensemble du Kivu, plus de la moitié sont situées dans les collectivités locales de Kabare et Ngweshe (territoire du Bushi). On y compte un accroissement de 61 %, en passant de 112 concessions à 180.

Tableau 2 : Répartition des concessions dans le Kivu en 1953. Source : tableau élaboré à partir de MUGANGU M. S., La gestion…, p. 237-238

C’est donc sur ces concessions que le travail forcé s’établit. Comment s’instaure-t-il et de quelle manière les paysans congolais l’accueillent-t-ils ?

    • Guerre, contrainte, résistance, administration indirecte et allégeance 

Entre 1900 et 1919, le Mwami (pour rappel, le roi) Rutaganda Kabare mène une résistance armée contre l’administration coloniale.[19] De 1921 à 1931, cette dernière fait la paix avec les Bashi en reconnaissant le pouvoir du Mwami, Alexandre Kabare, successeur de Rutaganda. L’emprise d’Alexandre Kabare sur ses sujets étant importante, l’administration coloniale décide de s’en débarrasser en 1931. Des allégations invraisemblables sont formulées à son encontre (manque d’autorité, rupture de contact avec son peuple, désintérêt pour ses devoirs). L’autorité coloniale rapporte la « démission volontaire de Kabare sous prétexte que sa tribu le hait, le déteste et qu’il craint pour sa vie (…), que le travail de chef est au-dessus de ses forces et le répugne ».[20] C’est alors que le Mwami « s’exile » à Kinshasa où il vivra pendant des années comme chauffeur.[21]

Ces faits témoignent de la résistance à l’occupation européenne et au travail forcé par ricochet, car la colonisation et le colonat agricole ont des visées économiques.[22] Cette résistance provient foncièrement, écrit Munzihirwa, de l’usurpation d’un droit sur la terre que le Mwami ne peut concéder à des intrus, symbolisés ici par l’administration territoriale coloniale. [23]

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