Travail décent en RD Congo : quels rôles pour les syndicats et la coopération internationale ?

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Agathe Smyth,
Responsable programme Afrique, ACV-CSC International

Quelle que soit la forme ou la durée, nous serons a priori tous et toutes amené.e.s un jour à travailler. Mais pour permettre d’en vivre dignement et qu’il soit source d’épanouissement, le travail doit être encadré et remplir plusieurs critères. Ce qui n’est malheureusement pas encore le cas pour tout le monde. À cette fin, le rôle des syndicats qui défendent quotidiennement depuis des décennies les intérêts des travailleurs et travailleuses est essentiel bien que mis à mal. Face à un monde en constante mutation, face à des crises et défis globaux, le travail syndical ne saurait aujourd’hui être que national. Au contraire, la solidarité entre travailleurs et les travailleuses doit dépasser les frontières pour plus de justice sociale. La coopération qui existe entre les confédérations syndicales CSC (Confédération des syndicats chrétiens) de la République Démocratique du Congo (RD Congo) et de Belgique en est un exemple.

Le travail décent, un défi toujours d’actualité

D’après l’Organisation internationale du travail (OIT), le travail décent résume les aspirations des êtres humains au travail. Au-delà de l’accès librement choisi à un travail productif et convenablement rémunéré, il concerne aussi la sécurité sur le lieu de travail, la protection sociale pour les familles, la liberté pour les individus d’exprimer leurs revendications, de s’organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie, ainsi que l’égalité des chances et de traitement entre hommes et femmes.[1]

Élément clé pour atteindre une mondialisation plus équitable, mais aussi pour lutter efficacement contre la pauvreté, le travail décent est, depuis la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, un objectif mondial reconnu dans plusieurs textes internationaux. Il représente même depuis 2015 le huitième Objectif de développement durable (ODD 8) de l’Agenda 2030 des Nations Unies.

Pourtant, le travail décent est encore loin d’être une réalité pour tout le monde, y compris pour de nombreux Congolais et Congolaises. En effet, en RD Congo, le taux d’emploi structuré ou salarié est très faible. À tel point que le chômage et le travail informel, c’est-à-dire le travail non couvert ou insuffisamment couvert par des dispositions formelles[2], prédominent largement. Le salaire minimum légal est, quant à lui, égal, voire inférieur, à 1 dollar des États-Unis par jour (USD), soit clairement en dessous du revenu vital. De plus, 80 % de la population de la RD Congo ne bénéficie d’aucune couverture en matière de protection sociale et le pays est régulièrement interpellé pour le non-respect de normes importantes, y compris l’interdiction du travail forcé et du travail des enfants.[3]

En outre, bien qu’il existe un cadre permanent du dialogue social, celui-ci ne fonctionne pas ou mal. Le Gouvernement congolais[4] ne respecte pas toujours ses propres engagements et les employeurs exploitent les divisions syndicales (il existe en RD Congo plus de 450 syndicats enregistrés) pour ne pas reconnaître ou négocier avec les syndicats, bafouant ainsi leurs droits syndicaux les plus fondamentaux. Il n’est donc pas étonnant que la RD Congo se retrouve à la catégorie 4 de l’indice des droits dans le monde de la Confédération syndicale internationale (CSI), c’est-à-dire avec des violations systématiques des droits.[5]

L’Organisation internationale du travail (OIT) est la plus ancienne agence des Nations Unies. Créée en 1919 sous l’égide du traité de Versailles, qui règle la paix après la Première guerre mondiale, soit avant même la création des Nations Unies en 1945, elle est aussi la seule agence tripartite qui réunit sur le même pied d’égalité des représentant.e.s des gouvernements, des employeurs et des travailleurs et travailleuses (les mandants). Son objectif est d’établir des normes internationales (c’est-à-dire des instruments juridiques qui définissent les principes et les droits minimaux au travail), d’élaborer des politiques et de concevoir des programmes visant à promouvoir le travail décent pour tous les hommes et femmes dans le monde (appelés Programmes par pays pour la promotion du travail décent). En plus de 100 ans d’existence, l’OIT a pu adopter 190 conventions internationales – dont 8 dites fondamentales sur la liberté syndicale et la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l’abolition effective du travail des enfants et l’élimination de la discrimination -, qui deviennent obligatoires pour les États qui les ratifient, ainsi que 206 recommandations qui servent de principes directeurs sans pour autant être contraignantes. En plus de créer des normes internationales, l’OIT dispose d’un système de contrôle unique au niveau international qui contribue à garantir que les États appliquent réellement les conventions qu’ils ratifient. L’OIT vérifie ainsi régulièrement leur application dans la pratique, via l’examen des rapports périodiques que les États membres doivent soumettre, et signale les améliorations souhaitables. Trois procédures de réclamation et de plainte, y compris concernant la liberté syndicale, existent également. En cas de problème concernant l’application des normes, l’OIT cherche à aider les pays concernés par le biais du dialogue social et de l’assistance technique.

Ensemble, on va plus loin[6]

Pour la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique, comme pour la plupart des syndicats du monde entier, la solidarité internationale est un élément essentiel de l’action syndicale. Dans l’économie mondiale globale actuelle, les intérêts des travailleurs et travailleuses belges ne peuvent, en effet, être dissociés de ceux des autres pays. Au contraire, face à la hausse des atteintes aux droits humains et syndicaux dans le monde[7], il est indispensable que les syndicats unissent leurs forces.

Leurs intérêts sont, d’une part, représentés par le Bureau des activités pour les travailleurs (ACTRAV) de l’OIT, qui veille à ce qu’ils soient pris en compte dans l’élaboration des politiques et les activités de l’OIT, tant à son siège à Genève que sur le terrain. ACTRAV soutient également l’action des organisations syndicales en matière de défense et de promotion des droits des travailleurs et travailleuses, y compris en renforçant leurs capacités et connaissances par de la recherche, de façon à permettre aux syndicats de mieux contribuer au dialogue social et à la réalisation de bonnes conditions de travail.

Délégation des travailleurs et travailleuses lors d’une session de travail à OIT, s.d., s.l. (Photographie et collection CSC International)

D’autre part, une grande majorité de syndicats (332 organisations de 163 pays pour être plus exact) sont affiliés à la CSI, qui représente ainsi plus de 200 millions de travailleurs et travailleuses du monde entier. L’organisation compte également trois régionales : en Asie-Pacifique (CSI-AP), en Afrique (CSI-AF) et pour les Amériques (CSA). La première mission de la CSI consiste à promouvoir et à défendre les droits et intérêts des travailleurs et des travailleuses au travers de la coopération internationale entre les syndicats (via notamment le Réseau syndical de coopération au développement – RSCD), de campagnes mondiales et d’actions militantes au sein des principales institutions internationales, telles que le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) via une Commission syndicale consultative.[8]

Enfin, certains syndicats mettent également en œuvre des programmes ou projets pour soutenir directement des partenaires syndicaux. La CSC soutient, par exemple, plusieurs syndicats représentatifs, libres et autonomes, en Amérique latine, en Asie et en Afrique, y compris la CSC en RD Congo, notamment à travers un programme financé par le ministère de la Coopération au développement belge. Le travail décent est en effet un des trois thèmes prioritaires de la coopération belge au développement.[9] Entre 2017 et 2021, un cadre stratégique commun thématique lui était d’ailleurs dédié, porté par les trois syndicats belges (CSC, FGTB et CGSLB), la Mutualité chrétienne, la Mutualité socialiste et les organisations non gouvernementales, We Social Movements (WSM), FOS- solidariteitsorganisatie van de socialistiche beweging, Solidarité socialiste (SOLSOC) et Oxfam.[10]

Coopération entre la CSC Belgique et la CSC Congo

Les relations entre la CSC belge et la CSC congolaise (on l’appellera ici CSC Congo pour plus de clarté) ne sont pas nouvelles : elles remontent à la période coloniale.[11] Créée en 1946, la Confédération des syndicats chrétiens du Congo (CSCC) était le premier syndicat actif dans la colonie belge à représenter des travailleurs et travailleuses belges et congolais. Avec l’indépendance en 1960, la CSCC est devenue l’Union des travailleurs congolais (UTC), composée de syndicats nationaux indépendants. Les permanents européens sont quant à eux devenus conseillers. Puis, après l’arrivée au pouvoir de Mobutu en 1965, l’Union Nationale des Travailleurs du Zaïre (UNTZa) est créée en 1967 de la fusion forcée de tous les syndicats existants alors (UTC, CSLC et Fédération générale du travail du Kongo-FGTK). Ce nouveau syndicat créé par Mobutu devient l’unique syndicat, porte-parole des autorités (Mouvement populaire de la révolution-MPR) vis-à-vis des travailleurs et travailleuses. Les relations entre mouvement syndical congolais et mouvement syndical belge sont à cette époque limitées. Ce n’est qu’après la reconnaissance du pluralisme syndical en 1990 que la Confédération syndicale du Congo (originellement sous le nom de Centrale syndicale du Zaïre – CSZa) est créée et que la coopération avec la Belgique est relancée.

Des travailleurs et travailleuses affilié.e.s à la Confédération syndicale du Congo tiennent un drapeau de la CSC, s.d., s.l. (Photographie et collection CSC International)

Depuis, la CSC apporte un soutien financier et technique à la CSC Congo. En effet, bien que cette dernière soit l’une des confédérations syndicales les plus représentatives du pays, membre de l’intersyndicale nationale du Congo et de la CSI, elle doit, comme de nombreux syndicats, faire face à plusieurs défis.[12] La CSC de Belgique, via son département international ACV-CSC International, l’aide donc à renforcer ses capacités à trois niveaux afin qu’elle puisse promouvoir de façon durable le travail décent dans le cadre du dialogue social.

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L’exploitation minière à l’Est de la RD Congo et les perspectives contre le travail des enfants

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Patrick Balemba
Responsable de recherche et d’animation, Commission Justice et Paix

Introduction

Selon un rapport publié par l’Unicef et l’Organisation internationale du Travail (OIT) le 10 juin 2021, 160 millions d’enfants sont forcés de travailler dans le monde.[1] Et pour la première fois depuis vingt ans, ce nombre ne ferait que croître, sous l’effet de la pandémie.[2] L’Afrique sub-saharienne est la région du monde la plus touchée, le travail forcé y impactant un enfant sur cinq.[3] La République Démocratique du Congo (RD Congo) est concernée au premier plan par ce fléau, particulièrement en raison des multiples conflits qui sévissent dans l’Est du pays. En effet, la majorité des enfants associés aux forces et groupes armés (EAFGA) en RD Congo sont également exploités dans les mines artisanales. Dans cette contribution, nous allons rappeler les jalons juridiques qui sont censés protéger les enfants. Nous verrons ensuite en quoi existe-t-il justement un décalage entre cette protection légale et les réalités de terrain, de sorte que la RD Congo est loin d’en avoir terminé avec le travail des enfants. Enfin, nous nous essayerons à présenter quelques pistes de solutions.

Un passage à l’âge adulte violent et difficile

Les multiples conflits qui sévissent à l’Est de la RD Congo n’épargnent malheureusement ni les enfants ni les adolescents et de « nombreuses victimes de moins de 18 ans en font notamment partie ».[4] La plupart du temps, soit elles sont directement fauchées par les mines antipersonnelles[5], soit elles succombent des suites de leurs blessures dues aux balles et aux débris d’explosifs. Mais les jeunes se font également recruter et utiliser par des groupes armés, de gré ou de force pour servir d’esclaves ou de travailleurs et travailleuses dans des puits d’extraction minière artisanale.[6] Le plus souvent, ils sont obligés de travailler dans les mines dès leur plus jeune âge. Plus tard, ils deviennent des adultes qui n’auront jamais connu de période d’enfance ni d’adolescence. Il en découle, pour ces enfants, une banalisation de l’importance de la vie, que ce soit celles des personnes qui leur sont désignées comme des ennemis, ou la leur. Adultes, il leur devient encore plus difficile de quitter cette spirale de la violence (subir et reproduire) qui se renouvelle quotidiennement. Leurs rêves ont été dérobés, et la période de l’enfance se retrouve complètement escamotée.

Mécanismes juridiques pourtant jalonnés

Il existe pourtant plusieurs sources de droit, tant international que congolais, qui sont censées protéger les enfants du travail dans les mines et de la violence des conflits armés. Premièrement, en septembre 1990, la RD Congo signe la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant (CDE), qui est le traité international le plus ratifié par les États membres des Nations Unies. Elle établit des obligations juridiques claires quant à la promotion, la protection et la défense des droits de l’enfant sur le territoire des États signataires. Parmi ces obligations, l’article 32 prévoit que « Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social ».[7]

Dans un second temps, la RD Congo ratifie également en novembre 2001 le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en vertu duquel elle s’est engagée à promouvoir et à protéger les droits de l’enfant dans le cadre de ses politiques internes et externes et à agir dans le respect du droit international.

Ce Protocole facultatif stipule que les groupes rebelles ne devraient « en aucune circonstance » recruter les enfants de moins de 18 ans.[8] La RD Congo est également signataire depuis 1999 des Conventions de l’Organisation internationale du Travail (OIT) n°138 (sur l’âge minimum, 1973) et n°182 (sur les pires formes de travail des enfants, 1999). La convention n°182 interdit, entre autres, « toutes les formes d’esclavage ou pratiques analogues, telles que la vente et la traite des enfants, la servitude pour dettes et le servage ainsi que le travail forcé ou obligatoire, y compris le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés ». [9]

En outre, l’ancien président de la RD Congo Laurent-Désiré Kabila (1997-2001) promulgue le 9 juin 2000 un décret-loi qui interdit le recrutement des enfants de moins de 18 ans dans les forces armées. Paradoxalement, il prend le pouvoir trois ans plus tôt avec une armée composée en bonne partie par des « Kadogo » (le terme « Kadogo » signifie « petit » en swahili et désigne donc les « enfants-soldats »). Ce décret-loi qui avait la vocation de résoudre définitivement le phénomène « Kadogo » acte la mise en place d’une Commission nationale de démobilisation et de réinsertion des personnes vulnérables, notamment des enfants-soldats qui sont aussi utilisés dans les exploitations minières, où les accidents sont fréquents à cause des normes de sécurité médiocres.

Enfin, la Constitution de la RD Congo du 18 février 2006, particulièrement en son article 123, point 16, veut accorder une place centrale à l’enfant en s’engageant à faire de la protection de ce dernier son cheval de bataille.[10] Elle souligne, en son article 42, l’obligation de l’État à protéger l’enfant « contre toute atteinte à sa santé, à son éducation et à son développement intégral ».[11] Une loi spéciale protégeant les enfants est promulguée en 2009 suite à de multiples pressions des associations.[12] En dépit de ces efforts, nous l’avons vu précédemment, de nombreux enfants sont encore exploités dans les mines. En théorie, il existe donc bel et bien des mécanismes de protection des enfants contre les abus liés au travail forcé dans les mines, mais en pratique, ceux-ci sont absents.

Vue aérienne d’une mine clandestine de diamants à Mbuji-May, au Kasaï oriental. La photographie, prise d’un hélicoptère, montre des creuseurs clandestins qui cherchent des diamants non loin du fleuve, 1984 (CARHOP, fonds La Cité, doss. Congo).

Quelles sont les raisons de cette situation ?

60 % de la population de la RD Congo a moins de 18 ans.[14] Cependant, seulement la moitié des enfants de 6 à 11 ans vont à l’école primaire.[15] De nombreux enfants vivent encore dans les rues, de jour comme de nuit. On estime actuellement à 20 000 le nombre des enfants de la rue dans la seule ville de Kinshasa.

À défaut de la scolarisation accessible et de tout encadrement des structures étatiques, la précarité paralyse la vie familiale traditionnelle. Les enfants, filles et garçons, sont en proie à l’esclavagisme moderne. Ils sont attirés par les adultes qui profitent de leur innocence et de leur fragilité d’un côté, et de l’absence de toute protection étatique effective de l’autre. Envoyés dans les mines par leurs parents précarisés ou, pour certain.e.s également, par souci « d’héroïsme », en quête de moyens de subsistance pour leur famille.

Leur petite taille est utilisée comme un atout pour se faufiler dans les plus étroites galeries souterraines inaccessibles aux adultes qui, contrairement aux enfants, savent mieux évaluer les risques fatals d’asphyxie ou d’éboulement. Les enfants sont exploités comme auxiliaires des creuseurs, par exemple en servant des repas, comme nettoyeurs de matériel ou comme transporteurs de lourds sacs de sable. Ces enfants sont également exposés à des maladies causées par les produits chimiques utilisés pour l’extraction minière, produits avec lesquels ils sont en contact fréquent, tels que le mercure, employé dans l’extraction de l’or.

Travailleurs des mines de wolframite et cassitérite à Kailo, province du Maniema, 31 octobre 2007. Les enfants y travaillent souvent avec leurs parents ou des membres de la famille. Le wolframite est un minerai constitué de tungstate de fer et de manganèse. La cassitérite est le principal minerai de l’étain. Sans lui, pas téléphones portables, pas d’imageries médicales ou de téléviseurs et d’ordinateurs. En résumé, sans étain, pas de connexions, donc pas d’électronique. (Photographie Julien Harneis, Creative Commons), https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Child_ labor,_Artisan_Mining_in_Kailo_Congo.jpg, page consultée el 15 octobre 2021

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