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La revue du Carhop

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Étiquette : Revue Esprit

À quoi sert le travail social ? Trois époques, trois réponses !

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Jacques Moriau
(sociologue, assistant chargé d’exercices, chercheur contractuel,
ULB, Institut de sociologie, METICES)

Avec la professionnalisation du travail social au début des années 1970 émergent toute une série de préoccupations quant à ses objectifs, ses effets réels, son sens. Au détour d’un entretien, à l’occasion d’une manifestation, dans l’une ou l’autre prise de parole publique se font entendre de la part des intervenants critiques et interrogations à propos du métier, de ses missions et de ses finalités. Rares sont cependant les sources qui rassemblent de façon concise et explicite les réflexions portées par les professionnels sur leurs pratiques.

En France, deux publications vont permettre de poser ces débats en des termes qui seront repris pour discuter également de la situation belge. Il s’agit de deux numéros de la revue Esprit, datés de 1972 et 1998, entièrement consacrés aux questions de la fonction et du sens du travail social. Regroupant enquête, témoignages de travailleurs sociaux et analyses de travailleurs intellectuels, ils tentent de répondre à cette même question à vingt-cinq ans d’intervalle et à deux moments significatifs de l’évolution des politiques sociales et des transformations de l’État social-démocrate. Ils constituent ainsi deux coups de sonde dans l’expérience et le ressenti des travailleurs sociaux et permettent de documenter les modifications des questionnements et des positionnements de ceux-ci.

Ces recueils de textes sont d’autant plus intéressants qu’ils débordent la forme d’une simple compilation de comptes-rendus de pratiques pour ouvrir vers des questions qu’il nous semble indispensable d’aborder quand on veut penser les buts de l’intervention sociale : de quels projets les professionnels se sentent-ils porteurs ? Quels types de rapports entretiennent-ils avec l’État ou ses représentants ? Comment envisagent-ils leur relation à l’usager ou au bénéficiaire de leur action ?

À ces sources, nous avons jugé utile d’en ajouter une autre, plus récente et sans doute de moindre retentissement : le Manifeste du travail social paru en 2016. Bien que plus militant et destiné en priorité aux travailleurs sociaux, ce document apporte un éclairage sur les positions d’une frange de professionnels à l’heure de l’État social actif et marque la naissance d’une troisième période dans cette ébauche d’une histoire de l’expérience vécue du travail social par les professionnels.

Des sources hétéroclites et situées à des époques différentes donc, mais qui permettent de mettre en évidence trois façons de poser la même question et trois façons d’y répondre dans trois contextes socio-politiques différenciés.

Pourquoi le travail social ?

Pourquoi le travail social ? : le titre du numéro spécial de la revue Esprit[1], datée du printemps 1972 est explicite. Dans la foulée des mouvements contestataires de mai 1968, la question se veut radicale. Il s’agit moins de s’interroger sur le sens de l’intervention sociale professionnelle que de remettre en cause son existence même. L’introduction expose les motifs de l’exercice en ces termes : « interroger dans toute son extension et (…) mettre ainsi en question ce qui, malgré les querelles intrinsèques à la profession, semble aller de soi et qui est pourtant inouï : la production organisée de la socialité »[2]. Au long des textes, la critique porte en fait sur les effets souterrains du travail social. Derrière le projet annoncé de venir en aide aux franges les plus fragilisées de la population, il servirait en réalité à apaiser les conflits et à empêcher la transformation effective de la société. 

Cette condamnation d’une activité de contrôle déguisée en offre de soutien, qui va devenir un lieu commun de l’analyse du travail social, ne naît pas par hasard. Les travailleurs sociaux qui ont répondu à l’enquête[3] d’Esprit ou qui y publient des témoignages font partie d’une nouvelle génération d’intervenants. En rupture avec la figure de la dame patronnesse ou du bénévole, ils revendiquent fortement qu’on reconnaisse le travail social comme un métier basé sur des techniques et des compétences qui le différencient d’un simple engagement humanitaire. En tant que nouveaux professionnels du social, ils endossent pleinement la mission de « travailler la société » et de tenter de la transformer pour plus d’égalité.

Couverture d’Esprit, n° 4-5, avril-mai 1972 (collection CARHOP, Braine-le-Comte).

Mais cette position se heurte frontalement à deux constats : les références techniciennes qu’ils brandissent comme une forme de légitimation de leur action les éloignent d’autant de la population qu’ils entendent servir et, plus grave, les interventions qu’ils combattent moins l’exclusion qu’elles n’aident les rapports sociaux inégalitaires à se maintenir.

 

Le malaise qu’expriment ces nouveaux professionnels provient tout entier de ce paradoxe : plus on soutient les populations marginalisées, plus on tempère la volonté de changement et plus on permet à la société de reproduire les inégalités. Le travail social ne sert pas à transformer la société mais à éviter qu’elle ne se transforme !

À une époque de remise en cause profonde du fonctionnement social, l’enjeu est donc clair : il faut non seulement faire reconnaître que le travail social rencontre aussi les besoins anthropologiques, ceux qui relèvent du soin, de la conquête ou du respect des droits, mais surtout faire apparaître l’importance politique du travail social pour l’invention d’une nouvelle société. Car « si le productivisme reste notre loi commune, il continuera de défaire la société tout en faisant la politique, et le travail social ne sera jamais que son infirmerie, sa garderie, plus ou moins luxueuses, ornées de sourires et de fleurs – un travail social sans société. »[4]

Le travail social a ainsi à trouver de nouvelles façons d’agir qui permettent d’initier « le processus de restitution aux gens de l’expression de leurs propres problèmes »[5], comme par exemple l’outil de l’enquête militante chère au travail communautaire. Contre l’individualisation et la normalisation, il doit favoriser les alliances avec la population dont on lui a donné la charge et s’impliquer dans la dénonciation des pratiques anesthésiantes auxquelles il est contraint, entrer en collaboration avec les luttes des populations exclues et participer « à la lutte idéologique contre toutes les formes de ségrégation »[6].

Continuer la lecture de « À quoi sert le travail social ? Trois époques, trois réponses ! »

Auteur Carhop asblPublié le Catégories 07) Revue n°7, septembre 2018 : Questionner le sens du travail social, hier et aujourd’hui, PériodiqueÉtiquettes manifeste, Revue Esprit, travail social

Table des matières

  • Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes !
  • Edito
  • Introduction au dossier : Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes !
  • Préserver l’histoire d’initiatives inspirantes : conserver les archives de la Fédération des Maisons médicales
  • Des soins de santé pour tous et toutes : un projet qui s’ancre dans la longue Histoire
  • Soigner pour évangéliser ? L‘Entr’aide des travailleuses (1925-années 1960)
  • Médecine pour le Peuple : des maisons médicales luttent pour le droit à la santé
  • Esquisse historique de la Fédération des maisons médicales

Les numéros parus

  • Périodique
    • 01) Revue n°0, décembre 2016 : Les ouvrières de la FN changent l’histoire 1966-2016
    • 02) Revue n°1, mars 2017 : Travail et maternité
    • 03) Revue n°2, juin 2017 : Les mouvements sociaux dans l'espace public : occupation et gestions
    • 04) Revue n°3, septembre 2017 : « Immigration et émancipation féminines : 50 ans de combats associatifs à Bruxelles»
    • 05) Revue n°4, décembre 2017 : Les initiatives d'éducation ouvrière au 19e siècle : de la démarche intellectuelle à la formation militante
    • 06) Revue n°5-6, mars-juin 2018 : Les universités ouvrières : un enjeu contemporain
    • 07) Revue n°7, septembre 2018 : Questionner le sens du travail social, hier et aujourd’hui
    • 08) Revue n°8, décembre 2018 : Le travail social face aux mutations sociales, politiques et économiques
    • 09) Revue n°9, mars 2019 : SeP c'est parti, c'est par terre !
    • 10) Revue n°10, septembre 2019 : Education permanente et Histoire. Un retour d’expériences.
    • 11) Revue n°11, décembre 2019 : Le nucléaire atomise-t-il la démocratie ? Retours sur une lutte de 45 ans.
    • 12) Revue n°12, septembre 2020 : COVID-19 et confinement. Regard de l'histoire sur des mobilisations actuelles
    • 13) Revue n°13, décembre 2020 : Les écoles de devoirs (partie I) : Regard de l’histoire sur des mobilisations actuelles
    • 14) Revue n°14, mars-juin 2021: Les écoles de devoirs (partie II) – Des expériences militantes
    • 15) Revue n°15-16, octobre 2021 : Travail et conditions de travail en RD Congo hier et aujourd'hui
    • 16) Revue n°17, décembre 2021 : 1858-2021. Quand la bibliothèque (s)’émancipe !
    • 17) Revue n°18, juin 2022 : Militer en entreprise, une réalité polymorphe : l'exemple des ACEC
    • 18) Dynamiques n°19, septembre 2022 : Histoire des mobilisations antiracistes
    • 19) Dynamiques n°20, décembre 2022 : L'économie sociale, de l'Économie populaire de Ciney à Médor
    • 20) Revue n°21, septembre 2023 : Les jardins collectifs : un terreau fertile pour la culture du social et de la démocratie
    • 21) Revue n°22, décembre 2023 : L’économie sociale en Mouvement(s)
    • 22) Revue n°23, juin 2024 : De la rue au parlement : femmes en luttes pour leurs droits
    • 23) Revue n°24, octobre 2024 : Lire pour lier!
    • 24) Revue n°25, décembre 2024 : Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes !

Présentation de la revue

Depuis sa création, le Centre d’animation et de recherche en histoire ouvrière et populaire (CARHOP asbl) est animé par deux objectifs : donner un éclairage historique aux questions débattues aujourd’hui au sein du mouvement ouvrier, dans une dynamique d’éducation permanente ; collecter, conserver et valoriser un patrimoine culturel inédit : la mémoire ouvrière.

Aujourd’hui, en vue d’intensifier ses actions, le CARHOP asbl lance sa revue en ligne « Dynamiques ». Celle-ci répond à un besoin de prolonger une dynamique de rencontres sur l’histoire sociale entre les milieux universitaires, les institutions socioculturelles, les milieux associatifs et militants, ainsi que leurs publics. Allier durablement les publics du CARHOP asbl dans un projet collectif sur l’histoire sociale, en affirmant une posture de chercheur, en étroite connexion avec d’autres disciplines, mais aussi d’acteur de changement, avec nos partenaires militants et/ou associatifs : tel est le défi que se lance le CARHOP asbl en créant une revue trimestrielle électronique dont l’approche sociohistorique inédite se situe aux confins des deux approches : la recherche et l’éducation permanente.

La revue « Dynamiques » se déclinera en numéros à thèmes, qui s’affilient aux chantiers thématiques que le CARHOP asbl déploie en analyses de manière régulière depuis quelques années, mais aussi dans le cadre de recherches thématiques nouvelles ou renouvelées. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement l’histoire de la « condition ouvrière » qui interpelle, mais plutôt l’approche socio-historique des exclusions sociales (populations précarisées, chômage, fermetures d’usine, inégalités, etc.), qui incite à interroger les rapports de force/rapports sociaux dans le contexte de mutations que nous vivons.

Dans un même numéro, cohabiteront des savoirs de terrain, issus des milieux syndicaux et associatifs, des expertises universitaires/scientifiques, suivant un dialogue interdisciplinaire, et des témoignages, qui constituent les sources de cette histoire sociale. L’espoir est de faire émerger de cette cohabitation une démarche réflexive, critique et constructive, mais également des pistes d’action.

Comité de rédaction

Emilie Arcq
Marie-Thérèse Coenen
Anne-Lise Delvaux
Renée Dresse
Pierre Georis
Romain Landmeters
Claudine Lienard
Catherine Pinon
Amélie Roucloux
Julien Tondeur
Camille Vanbersy
François Welter

Comité de lecture

Claudine Marissal
Amélie Roucloux
François Welter

Contactez-nous

CARHOP asbl :
secretariat(at)carhop.be

Éditeur responsable :
François Welter
francois.welter(at)carhop.be

Rédacteur en chef :
François Welter
francois.welter(at)carhop.be

Support Technique :
Neil Bouchat (WEB)
neil.bouchat(at)carhop.be

Claudio Koch (PDF)
claudio.koch(at)carhop.be

 

Coordination du numéro n°25

Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes

  • Claudine Marissal
  • Amélie Roucloux

Mots-clés

  • ACEC (3)
  • associations (9)
  • autogestion (3)
  • Bruxelles (4)
  • colloque (12)
  • communisme (2)
  • conditions de travail (2)
  • Confinement (5)
  • coopérative (3)
  • Crise sociale (3)
  • culture (4)
  • Démocratie (7)
  • Ecole de devoirs (5)
  • Espace public (2)
  • femmes (18)
  • FGTB (3)
  • formation (3)
  • féminisme (4)
  • grève (7)
  • histoire (8)
  • immigration (5)
  • JOC (4)
  • Manifestations (2)
  • maternité (3)
  • migrations (8)
  • MOC (3)
  • mouvement ouvrier (2)
  • mouvement ouvrier chrétien (5)
  • mouvement social (3)
  • mouvements sociaux (3)
  • Police (2)
  • presse (3)
  • Périodiques (5)
  • Racisme (3)
  • santé (2)
  • SeP (3)
  • syndicalisme (5)
  • travail (4)
  • travail social (12)
  • université populaire (6)
  • Écoles de devoirs (5)
  • économie sociale (8)
  • éducation permanente (6)
  • éducation populaire (5)
  • égalité (2)
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