Le jardin extraordinaire des Fraternités ouvrières : le préquel. Trajectoire de chrétiens de gauche – fragments de mémoire

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Pierre Georis (auparavant secrétaire général, MOC)

Le jardin des Fraternités ouvrières (FO) est créé vers 1980 et, depuis plus de quatre décennies, plein de choses se passent autour de celui-ci, qui impliquent un nombre important de personnes – pas que les affilié.e.s qui payent une cotisation pour bénéficier des cours, des conseils, des achats groupés et des plaisirs de faire collectif  mais aussi de nombreux bénévoles qui font tourner la boutique.[1] Mais les FO ont une histoire plus ancienne. Fondées en 1969, une décennie d’activités précède le jardin. C’est dans cet avant que l’auteur est impliqué (bien plus que dans le jardin[2]). C’est donc sur la décennie 1970 qu’il mobilise ses souvenirs. L’article interroge ainsi le préquel du jardin, ce qui s’est passé avant et, partant de là, propose quelques éléments de compréhension : de quel vivier émerge le jardin des FO ? Quelles en sont les forces vives ? Au final, de quelles trajectoires collectives le jardin est-il révélateur ?

Gageons qu’il n’y a pas de copyright sur “Le jardin extraordinaire” parce qu’il s’agit aussi du nom d’une très populaire émission de la Radio-télévision belge de la Communauté française (RTBF) ! Ce n’est pas de l’émission que nous allons traiter mais d’un jardin particulier, celui des Fraternités ouvrières (FO), qui a d’ailleurs, une fois ou l’autre, eu les honneurs du… Jardin extraordinaire, l’émission. Bien caché en intérieur d’îlot, entre gare et Grand Place de la petite ville de Mouscron, accessible par la rue Charles Quint, alignement de maisons modestes ne payant pas de mine. À côté du n° 58, une seconde porte ouvre sur un couloir latéral – qu’à vrai dire on a souvent vu encombré – arrivée ensuite dans une pièce claire dont l’un des murs impressionne par le nombre de livres qu’accueillent les étagères. Et ça défile : traversée d’une petite cour attenante, puis soudain… La jungle !

Reportage du journal télévisé de 19h30, RTBF, septembre 2016.

Mais une drôle de jungle quand même qui parvient aussi à être potager : où qu’on passe, quel que soit le végétal qu’on frôle ou contourne, malgré le sentiment de chaos et de désordre qu’on peut ressentir, il y a fruits à cueillir et légumes à ramasser, et ce en toutes saisons. C’est tout à la fois grand et pas bien grand : 1 800 m² (en rectangle, ça ferait 45 mètres sur 40) pour un entrelacs de 6 000 espèces estimées, dont 2 000 arbres fruitiers différents. Les visites du lieu se succèdent, avec aussi la surprise de s’y retrouver dans un mini microclimat, où il fait bon en hiver (la taille des arbres leur fait offrir une protection naturelle contre les vents du Nord), tandis qu’il devient îlot de fraicheur par temps de canicule. On en irait presqu’à dire que la nature s’y autogère (mais ce n’est évidemment pas vrai, car c’est aussi le produit de nombreuses impulsions humaines).

Une fois par mois, un dimanche matin, cours de jardinage biologique, avec parfois des extras un autre jour (cours sur la greffe des arbres fruitiers ou sur les jardins ornementaux, mais aussi conférences et débats sur des sujets de société). Chaque jeudi, “grainothèque”, groupement d’achat de plus de 5 000 variétés de graines, mobilisant les bénévoles pour les mises en sachet de ce qui a été acheté en gros, les répertoires, les classements, le contact avec les acquéreurs et les acquéreuses. Ce n’est accessible qu’aux membres de l’association, qui s’acquittent d’une modeste cotisation.[3] Selon les FO, ils sont de l’ordre de 3 000 ! Pas uniquement vivant à Mouscron, petite ville de de 60 000 habitant.e.s, mais aussi des environs : la position géographique singulière du lieu fait rayonner l’activité auprès de voisin.ne.s flamand.e.s (Kortrijk) et français.es. Une petite coopérative de produits naturels participe de l’offre. La bibliothèque compte, quant à elle, environ 2 000 livres, eux aussi disponibles aux membres.[4] Avec ceci, on a posé l’aujourd’hui des FO et de son jardin. Plongeons maintenant dans ses racines.

Le mystère des origines

À l’origine des FO : Gilbert Cardon et Joséphine, dite Josine, Marchal. Gilbert, entré en usine dès l’âge de 15 ans, est travailleur frontalier, ouvrier du secteur chimique dans le nord de la France. C’est à l’occasion d’un déplacement en Amérique latine, dans le cadre de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) que le couple se rencontre : Josine y assurait le secrétariat du fondateur de la JOC, le futur cardinal Joseph Cardijn. Un peu plus tard, le couple s’installe à Mouscron, au 58 rue Charles-Quint, et y fonde les FO en 1969.

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