Introduction au dossier : Les luttes antiracistes en Belgique… Encore et toujours…

PDF

Josiane JACOBY (sociologue au Carhop)

Il y a bientôt 10 ans, en 2013, la Semaine Sociale du Mouvement ouvrier chrétien (MOC) consacre ses travaux au thème « Égaux et différents. Diversité ethno-culturelle et justice sociale ». En introduction aux débats, Pierre Georis, alors secrétaire général du Mouvement, dresse un constat, celui de la difficile lutte contre le racisme, alors même que l’Autre, ce différent, vit bien souvent en Belgique depuis plusieurs générations. « Dans de très nombreuses situations, le contexte doit désormais être qualifié de post-migratoire : les personnes sont installées durablement, leurs enfants et petits-enfants sont Belges, dans un pays qui se caractérise de plus en plus par sa diversité ethno-culturelle. Est-ce grave docteur ? Cela pourrait fort bien ne pas l’être ! Il faut malheureusement bien constater que ce n’est pas si simple : il y a des « frottements », parfois des conflits, beaucoup de discriminations et d’injustices. »[1]

Le MOC est alors membre de « la plateforme de lutte contre le racisme et les discriminations » créée en février 2012, par Fadila Laanan (PS), ministre de l’Égalité des chances de la Communauté française. On y retrouve de multiples associations : CIRE, CAL, CBAI, Amnesty international, CCLJ, CNAPD, Ligue des droits de l’Homme, les Centres régionaux d’intégration… La ministre souhaite à travers cette plateforme solliciter le mouvement antiraciste à travers ses associations afin qu’il porte une revendication forte.[2] Le Centre régional d’intégration de Charleroi résume l’initiative :« Le lancement de cette « plateforme contre le racisme» met le secteur associatif au cœur de la réflexion. Les acteurs associatifs sont ici le maillon incontournable reconnu dans de nombreux combats pour plus d’égalité et d’avancée dans la lutte contre le racisme. De son expertise découle le triste constat que malgré un arsenal judiciaire bien complet, une réprobation institutionnelle et sociale des actes de racisme, la réalité du terrain regorge d’exemples de comportements et d’injures racistes. La vocation de ce nouveau dispositif serait d’être une plateforme associative, un lieu de rencontre, de réflexion et d’élaboration d’une stratégie concertée contre le racisme.[3] »

Quelques années plus tard, en 2021, le Centre d’information et d’éducation populaire (CIEP) en charge des activités éducatives et culturelles du MOC lance la campagne « Raciste malgré moi. Ensemble, déconstruisons le racisme structurel ! » À cette occasion, le Centre dresse le même constat. Les différentes formes de discriminations raciales (éducation, emploi, santé…) persistent. La campagne du CIEP dénonce l’existence d’une ségrégation raciale aux multiples tentacules. Un racisme dit « structurel » qui s’immisce dans chaque recoin de la vie sociale et qui n’est pas le fait, uniquement, de celles ou ceux qui adhèrent aux thèses d’extrême-droite. « Depuis des années, le MOC et ses organisations luttent contre la triple domination capitaliste, patriarcale et raciste. Cette campagne vise à mettre l’accent sur la domination raciste, beaucoup plus invisibilisée dans notre société et dans notre mouvement. »[4]

Présentation de la campagne 2021, Raciste malgré moi ! CIEP, 2021. (CIEP, Affiche, Raciste malgré-moi! Ensemble déconstruisons le racisme structurel, 2021).

Enfin, un dernier constat saisissant qui vient, une fois encore, confirmer la persistance des discriminations raciales. Il y a un peu plus d’un an, le centre pour l’égalité des chances et contre le racisme, Unia, annonce, à l’occasion de la parution de son Rapport annuel 2021, avoir traité plus de 100 000 signalements de discriminations. Un chiffre qu’Unia qualifie de record. Le centre informe que ces signalements aboutissent à l’ouverture de 2 379 dossiers. Parmi ceux-ci, 32,4 % sont motivés par des critères raciaux. Il s’agit du pourcentage le plus élevé. À titre de comparaison, le handicap est le deuxième critère de discrimination avec 19,4 %.[5] Ainsi donc, le racisme se porte bien en 2022 et les différentes formes de discriminations raciales restent toujours une préoccupation centrale pour les militants et militantes des droits humains.

Pourtant, depuis plusieurs décennies, le mouvement antiraciste agit en élaborant des revendications et en mettant sur pied des actions en faveur « du vivre ensemble ». Il en est de même au niveau politique où les gouvernements successifs adoptent des lois sur l’immigration ainsi que des lois antiracistes. Enfin, l’Union européenne infléchit ces politiques nationales. En effet, celle-ci manifeste à plusieurs occasions son souhait d’harmoniser les politiques de l’immigration au sein des pays membres. À cette fin, les politiques nationales adaptent, bon gré mal gré, leur arsenal législatif aux directives européennes telles que celles définissant la citoyenneté, la libre circulation, les discriminations, … C’est le cas notamment pour l’adoption de mesures qui respectent les principes du traité de Maastricht ou de la convention de Schengen.

Le droit de vote pour les étrangers est une revendication importante pour le mouvement antiraciste. Avec l’Europe, dans les années 1990, un pas est franchi en sa faveur. « En ce qui concerne l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux immigrés, le Traité de Maastricht a institué une citoyenneté européenne et a accordé également le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales et européennes dès 1994 pour les ressortissants de pays membres de l’Union européenne ».[6] Quant à la convention de Schengen ou l’espace Schengen qui entre en vigueur en 1995, elle consacre la liberté de circuler et abolit les contrôles aux frontières intérieures de ses pays membres. Dernier exemple, la loi de 2003 sur les discriminations est une réponse à l’exigence européenne en la matière comme le rappelle Unia : « Sous l’impulsion de la réglementation européenne, la législation (fédérale) antidiscrimination a subi une profonde réforme en 2003 avec l’adoption de la loi antidiscrimination du 25 février 2003, qui est venue compléter la loi antiracisme (1981) – à l’époque de nature exclusivement pénale – et la loi sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes (dite ‘loi sur le genre’) (1999). »[7]

Ce numéro de Dynamiques se propose de retracer quelques moments clés de la lutte contre le racisme qui, faut-il le rappeler, figure dans la Déclaration universelle des droits humains.

L’article de Benjamin Biard retrace diverses initiatives adoptées par les partis politiques francophones, pensées comme autant d’outils en faveur du respect de la démocratie. En leur sein d’abord, ces partis travaillent à des propositions de lutte ou organisent des conférences, des actions, des journées de travail… sur la problématique. Entre eux, également, les partis s’engagent en respectant les principes du cordon sanitaire. Ces résolutions évoluent au fil des ans : tantôt faibles voire absentes comme l’illustre le cas de « l’affaire Nols » des années 1970 qui n’aboutit à aucune sanction de la part de son parti, tantôt fortes comme les diverses exclusions de mandataires politiques qui se succèdent dans les années 2010. Ces partis politiques sont aussi actifs au niveau parlementaire ou gouvernemental. Par exemple, en finançant le centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, Unia. Au niveau législatif, le pays adopte différentes lois antiracistes majeures comme la loi Moureaux de 1981 et les lois anti-discriminations qui lui succèdent. Pourtant, aucune ne permet d’interdire les partis d’extrême-droite. Enfin en conclusion, l’auteur montre que la lutte antiraciste au niveau du monde politique reste une question évolutive qui ne peut se résumer à un front antiraciste face à l’extrême-droite, comme l’atteste la posture de partis dits démocratiques.

La société civile porte depuis longtemps des revendications fortes[8] en matière de lutte contre le racisme comme  l’obtention du droit de vote, d’une loi antiraciste, notamment. Les articles suivants de ce numéro de Dynamiques présentent des initiatives émanant de la société civile.

L’article de François Welter retrace le combat des syndicats contre l’extrême-droite dès le lendemain des élections législatives qui donnent lieu à une montée en puissance des partis d’extrême-droite. En 1991, lors des élections législatives, le score électoral de trois partis politiques suscite l’émoi. Le Front national (FN), le Vlaams Blok[9] (VB) et Agir, trois partis politiques d’extrême-droite obtiennent un score inédit. En tête, le score important du VB inquiéte, quant aux résultats électoraux du FN et Agir, s’ils sont plus insignifiants , ils questionnent pourtant: sont-ils les prémisces d’une poussée plus importante lors d’élections prochaines ? Toujours est-il que, les résultats obtenus par ceux-ci, près de 500 0000 voix, surviennent après une campagne électorale clairement axée sur des thématiques racistes. Suite à ce « dimanche noir », la CSC pose un geste fort en 1994 lorsqu’elle tient un congrès à propos de ses valeurs. d’où ressortent des lignes de force et des résolutions d’activités. Il en découle une politique de lutte contre les idées d’extrême-droite et le racisme qui articule plusieurs dispositifs: la formation, l’information des affilié.e.s et des militant.e.s; l’intégration des travailleurs et travailleuses d’origine étrangère dans les structures syndicales; la collaboration avec d’autres organisations dans la lutte contre l’extrême-droite et le racisme; l’exclusion des membres de la CSC porteurs d’idées incompatibles avec les valeurs syndicales.

L’article de Julien Tondeur analyse la position de la JOC face aux  discriminations et  au  racisme que vivent les immigré.e.s dans les années 1970 en Belgique. Epoque où la crise économique et sociale de la deuxième moitié des années 1970 est propice,  à l’intensification d’une certaine racialisation des rapports sociaux. Les pratiques administratives et les discours publics d’alors reflètent la pensée d’État qui considère illégitimes les revendications des immigré.e.s et leurs descendant.e.s à l’obtention de droits égaux. La crise aidant, les formes de luttes changent, les revendications et les militant.e.s également. C’est avec ce contexte socio-économique et politique comme cadre que la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) s’investit davantage dans le champ de la lutte contre les discriminations et le racisme. Les militant.e.s immigré.e.s et de « deuxième génération » deviennent les fers de lance des combats menés par le mouvement dans les entreprises, les écoles et sur la place publique pour une égalité des droits entre belges et immigré.e.s. Le recours à la méthode « Voir-Juger-Agir » les aide à analyser leur situation et à planifier leurs actions, leur permettant d’être acteurs et actrices du monde qui les entoure. Le témoignage d’Alfredo Alvarez Lafuente, jociste belgo-espagnol et permanent de la JOC de Bruxelles, contemporain de ces événements, donne du relief à cette histoire puisée dans les archives du mouvement.

L’article de Josiane Jacoby « Le MOC et la lutte contre le racisme, regard d’une actrice de terrain » a comme point de départ l’interview de Véronique Oruba, secrétaire nationale au MOC. Son  témoignage, qui est un regard subjectif et non exhaustif de l’engagement du MOC au sein du mouvement antiraciste des années 1980 à aujourd’hui qu’elle revisite, constitue un premier niveau de lecture. Un deuxième niveau a l’ambition de préciser, d’approfondir les propos de cette militante en s’attardant sur les mobilisations du Mouvement ouvrier chrétien durant la période couverte par la témoin. Durant ces années, le MOC se mobilise, par exemple, dès les années 1980 contre le racisme à l’occasion de l’adoption de la loi Gol[10] en 1984 où il lance un appel à manifestations. En parallèle à ses actions propres, le MOC s’associe également à une multitude d’autres initiatives tels que des collectifs, des réseaux, des plateformes. Du MRAX au Collectif de soutien aux sans-papiers, il occupe le terrain d’une lutte de plusieurs décennies. Une lutte qui crée des convergence avec d’autres mouvements comme ceux luttant contre l’extrême-droite, ou ceux revendiquant une politique humaine en matière d’accueil des candidat.e.s au statut de réfugié.e. Enfin, la rencontre avec Véronique Oruba est l’occasion de mettre en lumière un questionnement contemporain concernant la légitimité des acteurs et actrices de l’antiracisme. En d’autres termes, qui aujourd’hui peut porter les revendications antiracistes ? Un débat qui interroge la possibilité de construire, encore aujourd’hui, un front qui associe les acteurs institutionnels et les victimes de discriminations raciales.

Notes

[1] GEORIS P., “ Un monde en mouvement ; introduction et présentation générale des travaux” , Mouvement ouvrier chrétien, Programme de la 91ième SSW, avril 2013.
[2] KECH A., « S’attaquer aux sources du racisme », BePax, mai 2013, .
[3] Centre régional d’Intégration de Charleroi (CRIC), « Lancement d’une plateforme associative de lutte contre le racisme », octobre 2013, https://www.cricharleroi.be/2013/10/11/lancement-dune-plateforme-associative-de-lutte-contre-le-racisme, page consultée en septembre 2022.
[4] LESCEUX T., TINANT N., « Ensemble, déconstruisons le racisme ! L’Esperluette n°109, 2021, p.4.
[5] « Unia, Le travail d’Unia exprimé en chiffre , « Rapport annuel 2021 : un autre monde est possible », https://www.Unia.be/fr/publications-et-statistiques/publications/le-travail-dUNIA-en-2021-exprime-en-chiffres, consulté en ligne en août 2021.
[6] KAGNÉ B., « Représentations de l’immigration en Belgique », Quadermi n°36, 1998, p. 18.
[7] https://www.Unia.be/fr/legislation-et-recommandations/legislation/loi-du-10-mai-2007-tendant-a-lutter-contre-certaines-formes-de-discrimination, consulté en octobre 2022.
[8] comme la plateforme antiraciste de 2012 l’ambitionne.
[9] Actuel Vlaams Belang
[10] La loi permet notamment de limiter l’inscription d’immigré.es dans certaines communes (Forest, Molenbeek, Schaerbeek, … adoptent cette mesure), de limiter les possibilités de regroupement familial, d’octroyer une prime au retour. Pour en savoir plus, voir Lire et Ecrire, CARHOP, « Une Ligne du temps pour découvrir l’histoire, comprendre le présent et construire l’avenir », Livret de l’animateur 2019, p.89.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

JACOBY J., « Introduction », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°19 : Histoire des mobilisations antiracistes, septembre 2022, mis en ligne le 4 novembre 2022. www.carhop.be/revuescarhop

Partis politiques francophones et antiracisme : quel bilan en 2022 ?

PDF

Benjamin BIARD (Docteur en sciences politiques, Chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politiques – CRISP) 

Les moyens déployés par les partis politiques belges francophones pour lutter contre le racisme et les discriminations sont variés. Depuis longtemps, des engagements sont pris par ceux-ci afin d’afficher leur respect des valeurs démocratiques fondamentales et leur opposition à toute forme de racisme ou de discrimination. D’ailleurs, en interne, les organisations partisanes adoptent des mesures spécifiques permettant de sanctionner pareilles expressions. En outre, elles tentent de mettre en œuvre leurs engagements à travers les arènes institutionnelles. Cela se traduit notamment par la construction d’un arsenal juridique sur la base duquel des poursuites judiciaires peuvent être engagées. Plus qu’un combat militant, c’est souvent en tant que combat pour la démocratie que la lutte antiraciste est envisagée par les partis.

Un engagement antiraciste ancien

De longue date, les principaux partis politiques s’engagent à lutter contre le racisme et les discriminations. La journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, célébrée le 21 mars de chaque année depuis 1966[1], est une occasion pour ces partis de réaffirmer leurs engagements. Plus encore, cette date constitue une impulsion leur permettant de déposer des propositions pour les concrétiser. Ainsi, le 21 mars 2021, le MR annonce préparer une série de mesures visant à lutter contre les discriminations, notamment à l’embauche. Le 7 juin de la même année, son bureau politique adopte un plan appelé à être décliné en initiatives parlementaires et ministérielles. Plus globalement, la plupart des partis sont régulièrement mobilisés contre le racisme à travers l’organisation de conférences ou d’actions de sensibilisation diverses. Par exemple, en 2021, à l’occasion du quarantième anniversaire de la loi Moureaux (cf. infra), le centre d’étude du Parti socialiste organise une série de quatre séminaires en ligne sur la question de la lutte contre le racisme.

En leur sein, ces mêmes partis réagissent généralement de façon rapide et sans équivoque à l’expression de propos racistes, xénophobes ou, par extension, négationnistes tenus par leurs mandataires, souvent à travers les réseaux sociaux. Ainsi, en octobre 2014, le comité de déontologie du CDH décide à l’unanimité des membres présents d’exclure Thierry Van De Plas, échevin à Crainhem, après qu’il eût déclaré « les chambres à gaz c’est du bidon » lors d’un échange sur Facebook. En septembre 2015, deux mandataires socialistes font également l’objet d’une procédure disciplinaire. Ayant relayé une photo du Front national contenant des propos racistes sur Facebook, Jean-Jacques Tavernini, échevin à Aiseau-Presles, est suspendu du parti pour une période de six mois et se voit retirer son mandat d’échevin. Après avoir publié des « propos déplacés et insultants à l’égard des réfugiés », Serge Reynders, conseiller au CPAS de Saint-Nicolas, est quant à lui  exclu. Au MR aussi, des exclusions sont à recenser pour des motifs similaires. Cela est le cas de Guy Flament, échevin à Soignies, et de son fils Steve Flament – alors appelé à devenir échevin lors de la mandature suivante –, pour avoir partagé sur Facebook des propos à caractère raciste en octobre 2018. En juin 2020, à nouveau à Soignies, la conseillère communale Nathalie Dobbels est par ailleurs  exclue du parti libéral après avoir à son tour diffusé de tels propos.

Enfin, la plupart des partis s’engagent à ne pas conclure d’alliance et à ne pas gouverner avec des formations d’extrême droite compte tenu du racisme ou de la xénophobie qui les caractérisent souvent. Pris par plusieurs partis conjointement, cet engagement est plus connu sous le nom de cordon sanitaire. Vieux de près de trente ans en Belgique francophone, il vient d’être à nouveau réaffirmé[2].

Si l’engagement antiraciste des partis est ancien, il évolue toutefois et n’a pas toujours la même vigueur. Particulièrement dans les années 1970-1980, les sanctions adoptées à l’encontre des mandataires tenant des discours ouvertement racistes ou posant des actes qualifiés comme tels sont nettement moins évidentes. Ainsi, alors qu’il multiplie les positions et attitudes xénophobes ou racistes durant cette période[3] et commet divers actes illégaux[4], Roger Nols, alors bourgmestre de Schaerbeek, n’est exclu ni du FDF ni du PRL, qu’il rejoint en 1983[5].

Affiche n° 1225, « Nols Le Pen », s.d. (CARHOP, Collection Affiches, n°1225, Komitee tegen de komst van Le Pen naar Brussel, MRAX – VOCOM).

Vers l’adoption de politiques publiques

En matière de lutte contre le racisme, les partis politiques sont aussi actifs au sein des enceintes parlementaires et gouvernementales, et ce à différents niveaux de pouvoir. Concrètement, ils participent à la création et/ou au financement d’institutions actives en la matière, développent des outils permettant de stimuler la réflexion et de dégager des solutions et contribuent à l’adoption d’un arsenal juridique de plus en plus contraignant.

Tout d’abord, plusieurs institutions dont la mission première est de lutter contre le racisme et/ou les discriminations sont actives à l’initiative ou grâce au soutien de l’État. Tel est le cas du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, devenu Unia en 2016, institution publique indépendante fondée par la loi du 15 février 1993 et chargée de « promouvoir l’égalité des chances et de combattre toute forme de distinction, d’exclusion, de restriction ou de préférence ». De son côté, le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (MRAX) est fondé après la Seconde Guerre mondiale en tant qu’initiative de la société civile ; il fonctionne actuellement sur la base de subsides publics afin de mener des actions de sensibilisation, de soutien aux victimes et de dénonciation (judiciaires, le cas échéant) des discriminations et propos racistes. Plus largement, l’État subventionne bon nombre de projets dont l’objectif est de lutter contre le racisme ou d’autres discriminations. Ainsi, le 21 mars 2022, la secrétaire d’État fédérale à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité, Sarah Schlitz (Écolo), annonce le lancement d’un appel à projets de 500 000 euros contre le racisme. Au même moment, en Wallonie, la ministre régionale en charge de l’Égalité des chances, Christie Morreale (PS), indique avoir débloqué 750 000 euros afin de soutenir 45 projets visant à lutter contre les discours haineux en ligne, à informer et à aider les victimes ou encore à sensibiliser la population.

Ensuite, des réflexions visant à mieux cerner la problématique du racisme et à lui apporter des réponses sont également initiées au sein des institutions publiques. Ainsi, en avril 2021, le Parlement bruxellois lance les premières assises consacrées à cette question. Nourries par de nombreuses discussions et auditions, celles-ci débouchent en janvier 2022 sur pas moins de 207 recommandations transmises, entre autres, à l’exécutif régional afin de l’aider à se doter d’un plan régional de lutte contre le racisme.

Enfin, l’arsenal juridique visant à réprimer toute expression raciste, xénophobe, négationniste ou discriminatoire trouve à se renforcer au fil des années, et ce depuis 1981 (cf. infra).

Bref, l’ensemble des partis politiques belges francophones représentés au sein d’une assemblée parlementaire renouvellent régulièrement leur engagement contre le racisme et tentent de le traduire en actions concrètes, que ce soit au sein des institutions publiques ou non. Un consensus peut d’autant plus être forgé entre eux qu’aucun élu francophone ne provient d’une formation d’extrême droite[6] ; il n’en va pas de même du côté flamand où le Vlaams Belang (VB) redevient la deuxième force électorale[7].

Malgré cela, la Belgique est régulièrement pointée du doigt pour ses manquements en matière de lutte contre le racisme et les discriminations. Sur la scène internationale mais aussi au sein de la société civile organisée en Belgique[8], les demandes adressées à l’État pour que celui-ci se dote d’un plan d’action interfédéral de lutte contre le racisme se font pressantes depuis longtemps. En effet, du 31 août au 8 septembre 2001, à Durban, la Belgique participe à la conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée et s’est engagée à élaborer et mettre en œuvre pareil plan. Néanmoins, ainsi que le repère Patrick Charlier, codirecteur d’Unia, « au fil des législatures, le dossier est passé des mains d’un premier ministre à l’autre sans jamais aboutir, et ce jusqu’au 23 janvier 2020 »[9]. À cette date, la Première ministre Sophie Wilmès annonce la mise sur pied d’une conférence interministérielle chargée de réaliser un plan national d’action contre le racisme. Il faut toutefois attendre juillet 2022 pour qu’un plan soit adopté par le gouvernement fédéral.

La législation anti-raciste

Depuis le début des années 1980, la volonté des partis dits démocratiques de lutter contre le racisme et ses expressions – mais aussi, ce faisant, de se conformer à un ensemble d’obligations internationales, par exemple contenues dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale – se traduit par l’adoption de plusieurs lois majeures[10].

La première d’entre elles est la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie (dite loi Moureaux). Celle-ci érige en infraction pénale le fait de commettre ou de prôner la discrimination sur la base de la nationalité, d’une prétendue race, de la couleur de peau, de l’ascendance ou de l’origine nationale ou ethnique. Son applicabilité a fait l’objet de vifs et longs débats par le passé. Primo, alors que la loi ne définissait pas la notion de « discrimination », il faut attendre 1994 pour que celle-ci reçoive une définition légale. Secundo, jusqu’à l’adoption de la loi du 4 mai 1999 instaurant la responsabilité pénale des personnes morales, les poursuites ne peuvent concerner que les personnes physiques[11]. Tertio, alors que les incitations à la haine raciale et à la discrimination prennent le plus souvent la forme de délits de presse[12] (impliquant la constitution d’un jury d’assises), c’est en 1999 que les délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie sont correctionnalisés. Aujourd’hui, l’application de la loi Moureaux est toutefois large et s’étend aussi aux propos tenus en ligne, par exemple sur les réseaux sociaux.

Deuxièmement, une loi du 23 mars 1995 tend à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale. Celle-ci est votée à la Chambre des représentants à l’unanimité des membres présent.e.s (y compris ceux du VB) ainsi qu’au Sénat à l’unanimité des membres présent.e.s moins une abstention (CVP)[13]. Quatre ans plus tard, une nouvelle loi vient la compléter, prévoyant que les juges puissent prononcer une peine accessoire visant à priver une personne condamnée sur cette base de l’exercice de certains droits politiques.

Enfin, la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination érige en infraction pénale toute discrimination fondée sur l’âge, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, les convictions religieuses ou philosophiques, les convictions politiques, la langue, l’état de santé actuel ou futur, le handicap, les caractéristiques physiques ou génétiques et l’origine sociale. Aujourd’hui, de nombreuses condamnations sont aussi prononcées sur cette base légale.

Malgré l’adoption de ces lois, il n’est pas possible de procéder à l’interdiction de partis politiques – notamment d’extrême droite – en Belgique. Cela tient au fait que les partis belges ne disposent pas de la personnalité juridique. Ils n’existent donc guère au regard du droit et ne peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires, à la différence de ce qui existe dans plusieurs pays européens, comme en Allemagne ou en République tchèque. Néanmoins, ainsi que le rappelle Jérôme Jamin, ces lois peuvent « servir de base pour justifier certains choix et activer certains mécanismes mis en place par les démocrates pour se protéger contre ce qu’ils considèrent comme des ennemis de la démocratie »[14]. Par exemple, en Belgique, les lois de 1981 et de 1995 peuvent justifier une demande de suspension du financement public d’un parti politique auprès de la commission de contrôle des dépenses électorales[15]. Elles peuvent aussi permettre le maintien du cordon sanitaire médiatique en Belgique francophone, ou écarter les formations d’extrême droite des bénéfices de la loi du Pacte culturel (par exemple en termes de représentation au sein d’organismes publics)[16].

Conclusion

Les partis politiques dits démocratiques sont engagés depuis longtemps dans la lutte contre le racisme, que ce soit en interne, par la conclusion d’accords politiques, par le financement de certains organismes ou actions, ou encore à travers l’adoption de mesures législatives. Pour autant, la concrétisation de ces dernières n’est pas toujours évidente. Certaines lois nécessitent parfois d’être affinées pour devenir pleinement applicables. Mais plus encore, la survie de textes ou de mécanismes déjà mis en œuvre est parfois menacée. En attestent la volonté du VB d’abroger la loi Moureaux[17] ou celle des partis de la majorité flamande actuelle (N-VA, CD&V, Open VLD) de quitter Unia[18]. Le défi est donc double et le consensus politique autour de la lutte antiraciste loin d’être total.

Notes

[1] Le 26 octobre 1966, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte une résolution par laquelle elle institue le 21 mars comme journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. Celle-ci commémore les évènements survenus le 21 mars 1960 en Afrique du Sud lors desquels la police tue 69 personnes venues manifester pacifiquement à Sharpeville pour s’opposer à l’Apartheid.
[2] C’est le 8 mai 1993 que la « charte pour la démocratie » consacrant le principe du cordon sanitaire est signée pour la première fois en Belgique francophone. Elle est réactualisée à trois reprises : en 1998, 2002 et 2022.
[3] En 1979, R. Nols publie dans le bulletin communal Schaerbeek Info un « Appel aux immigrés », indiquant notamment : « Il faut bien admettre (…) que vous avez engendré dans notre population un laisser-aller dans la propreté des rues (…). Nos correspondants, qui sont aussi nos contribuables, comprennent mal, en cette période de crise économique et de chômage, le maintien de votre présence parmi nous ». En 1991, il diffuse une affiche électorale comportant l’image de deux hommes habillés en djellabas sur fond de palmiers ainsi que le texte « En charter ou en C 130, avec Nols, ils y seraient déjà ».
[4] En 1971, R. Nols établit une séparation linguistique entre les guichets communaux de Schaerbeek. Quelques années plus tard, la pratique est jugée illégale par la Commission permanente de contrôle linguistique et par le Conseil d’État.
[5] Quittant le mayorat de la commune bruxelloise en 1989, officiellement pour des raisons de santé, R. Nols finit sa carrière politique en rejoignant le Front national en 1995 puis le Front nouveau de Belgique l’année suivante.
[6] Le Front national a perdu son dernier siège en 2010 et le Parti populaire, dont le rapport à la question du racisme est pour le moins complexe, a disparu en 2019.
[7] BIARD B., « Le Vlaams Belang », dans DELWIT P., VAN HAUTE E. (dir.), Les partis politiques en Belgique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2021, p. 397-419.
[8] C’est le cas de NAPAR Belgium, qui est une coalition de plus de 60 organisations de la société civile engagées dans la lutte contre le racisme et toutes les formes de discrimination qui y sont liées en Belgique.
[9] Le Vif/L’Express, 24 mars 2022.
[10] BIARD B., La lutte contre l’extrême droite en Belgique. I. Moyens légaux et cordon sanitaire politique , Bruxelles, CRISP, 2021 (Courrier hebdomadaire, n° 2522-2523), p. 15-30.
[11] C’est sur la base de cette loi et après cette modification qu’ont été condamnées en 2004 trois ASBL liées au Vlaams Blok.
[12] JAMIN J., NOSSENT J., « Groupements liberticides et pluralisme politique », dans BOUHON F., REUCHAMPS M. (dir.), Les systèmes électoraux de la Belgique, 2e édition, Bruxelles, Larcier, 2018, p. 238.
[13] GRANDJEAN G., « La reconnaissance des génocides et la répression du négationnisme », Bruxelles, CRISP, 2016 (Courrier hebdomadaire, n° 2304-2305).
[14] JAMIN J., « Trente ans de lutte contre le racisme en Belgique : bilan et perspectives », La Revue Nouvelle, n° 4, 2013, p. 81.
[15] GÖRANSSON M., FANIEL J.,  Le financement et la comptabilité des partis politiques francophones , Bruxelles, CRISP, 2008 (Courrier hebdomadaire, n° 1989-1990).
[16] BIARD B.,  La lutte contre l’extrême droite en Belgique. II. Cordon sanitaire médiatique, société civile et services de renseignement , Bruxelles, CRISP, 2021 (Courrier hebdomadaire, n° 2524-2525), p. 5-20.
[17] Par ex. : Sénat, Proposition de loi abrogeant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, déposée par Filip Dewinter, Anke Van Dermeersch et Bart Laeremans (VB), n° 5 – 1383/1, 7 décembre 2011.
[18] Le 6 juillet 2022, le Parlement flamand adopte un décret autorisant le gouvernement flamand à résilier l’accord de coopération du 12 juin 2013 entre l’Autorité fédérale, les Régions et les Communautés visant à créer un Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations sous la forme d’une institution commune au sens de l’article 92bis de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. Cf. Moniteur belge, 1er août 2022.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

BIARD B., « Partis politiques francophones et antiracisme : quel bilan en 2022 ? », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°19 : Histoire des mobilisations antiracistes, septembre 2022, mis en ligne le 4 novembre 2022. www.carhop.be/revuescarhop