Pierre Massart & l’aventure Rasquinet. Deuxième partie : Du Club des rues à l’école de devoirs

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Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

Pierre Massart est tourné vers les enfants, les enfants d’immigrés en particulier, par profession, par vocation, par choix, quand il s’installe à Josaphat, dans ce quartier où se concentrent dans les années 1970, les plus grandes précarités et injustices sociales. Souvent, il évoque la Messe des jeunes l’Olivier comme point de départ de son action, mais aussi ses expériences de moniteur en Champagne et auprès d’ATD Quart Monde en Île de France. Il y puise ses modèles pour agir : club des rues, terrain d’aventure, camps, centre d’expression et de créativité et enfin école de devoirs. Rasquinet est tout cela. L’association, dont le relais a été fait et l’avenir assuré, poursuit année après année, son projet pédagogique et éducatif dans le quartier, avec de nouvelles générations d’enfants dont les familles continuent à s’inscrire dans le mouvement des migrations.

Le Club des rues

De septembre à décembre 1972, Pierre, Jeanne et des jeunes de la Messe des jeunes lancent un club des rues Josaphat. Ces « moniteurs et monitrices » improvisé.e.s partent à la rencontre des enfants du quartier, avec plus ou moins de succès.

« On se promène dans les rues avec un ballon, des billes, du savon liquide pour bulles ; on contacte les enfants ; on se joint à leurs jeux ou on leur en apprend d’autres. D’autres activités sont proposées, des sorties, une bibliothèque de rue et des histoires à raconter sur place ou au parc Josaphat, tout proche. »[1]

Il y a le désir d’être positif en faisant quelque chose pour eux et avec eux, suivant la méthode d’ATD Quart Monde. Il s’agit aussi, écrit Pierre, « d’apporter aux immigrés le témoignage concret de Belges désireux d’exprimer leur idéal de fraternité et de solidarité pour contester le racisme et toutes les manifestations hostiles dont les étrangers sont sujets. Et par les enfants, entrer en contact avec les parents »[2].

À la hauteur des numéros 117-123, bordant la rue Josaphat, les anciens établissements Rasquinet qui fabriquaient jusqu’en 1968 des pièces mécaniques pour vélo, sont à l’abandon. Le site en intérieur d’îlot, est borné par l’avenue Rogier, la chaussée d’Haecht, la rue Seutin et la rue des Coteaux. La rue Josaphat traverse de part en part le quartier. En 1972, la Société coopérative des locataires dans laquelle la commune de Schaerbeek détient la majorité des parts rachète le terrain pour quinze millions de francs belges ainsi que d’autres maisons situées dans le même périmètre avec un projet de constructions de logements.

Décembre 1972 : « Noël sous les poutrelles »

« Noel sous les poutrelles », affiche du Club des rues, Schaerbeek, 1972 (Collection Rasquinet).

Les jeunes de l’Olivier avaient pris l’habitude d’organiser pour la Noël, une animation dans le quartier, avec guitares, chants et distribution de soupe à l’oignon[3]. Quand Pierre Massart sollicite auprès de l’échevinat de la Jeunesse de Schaerbeek, la mise à disposition de l’ancienne usine, au moins les jours de pluie, l’échevin lui demande d’organiser, pour les jeunes du quartier, un réveillon dans les anciens halls de l’usine.

Ce n’est pas la première fois que le site est occupé. Des expériences théâtrales s’y étaient déroulées : une pièce, La colonne Durutti, du metteur en scène Armand Gatti[4] par les étudiants de l’Institut des arts de diffusion (IAD) et un projet de l’Université libre de Bruxelles (ULB)[5]. Pour le club des rues, ce sera « Noël sous les poutrelles » avec des ateliers, des jeux et un repas. La première grande réalisation du Centre culturel Rasquinet est une réussite. Organiser l’évènement et occuper un tel lieu plaisent aux jeunes. Pierre demande à l’échevin de prolonger l’occupation. Désormais, chaque mercredi, la grille de l’entrée de l’ancienne usine Rasquinet s’entrouvre et les gosses du quartier prennent possession des lieux. Il y a le terrain, un bâtiment avec une douzaine de petites pièces (ce qui permet un grand nombre d’ateliers différents) et surtout un grand hall de 600 mètres carrés pour les jeux, les activités sportives. L’usine est aménagée en espace jeux, ateliers et une bibliothèque mobilisant les faibles moyens du Club des rues et beaucoup d’énergie. Plus de 120 enfants de 4 à 14 ans viennent les mercredis après-midi, les samedis et les dimanches après-midi. La plaine est ouverte pendant les périodes de congés, si l’encadrement est assuré.

Le statut d’occupation précaire laisse toute liberté aux jeunes pour s’approprier le lieu. Le revers de la médaille est qu’il n’y a aucun confort, ni aucune mesure de sécurité. Être sans eau et sans électricité pose problème. Dès qu’il sollicite la commune pour obtenir ces aménagements élémentaires, Pierre essuie le refus de l’échevin des Travaux publics. Finalement, sur ordre du bourgmestre, l’usine est démolie en septembre 1973 pour des raisons de sécurité. C’est un coup dur pour les activités du Club, mais aussi un espoir puisque la commune annonce à la presse son projet d’y réaliser un parc public[6].

Pierre Massart soutien les jeunes du quartier qui utilisent l’espace de l’usine désaffectée comme terrain d’aventure. On y construit une cabane. Schaerbeek, s.d. (Collection Rasquinet)

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L’école de devoirs du Béguinage, une aventure qui commence sur le pas d’une porte…

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Marie-Thérèse Coenen (historienne, CARHOP asbl)

L’école de devoirs du Béguinage commence de manière informelle au début des années 1970. Au point de départ, une institutrice, mise en disponibilité depuis 1963 pour raison de santé, s’installe dans le quartier du Béguinage, au cœur de Bruxelles. Les enfants l’intéressent, c’est son ancien métier. Rosa Collet raconte avec humour qu’engageant la discussion avec une petite Espagnole, elle accepte de l’aider à faire son devoir. Elle s’installe sur le pas de sa porte et explique à la fillette le problème à résoudre. « C’est une histoire de train, de temps de parcours à des vitesses différentes que la fillette ne comprend pas. C’est normal », souligne Rosa, « elle n’a jamais pris le train et ne voit pas comment cela fonctionne »[1]. Le lendemain, quatre garçons se présentent à elle avec la même demande. L’école de devoirs commence sur le trottoir. Avec l’autorisation des parents, elle reçoit sept à huit enfants du quartier chez elle. Elle leur apporte ainsi une aide personnelle et les accueille pour faire du bricolage, des promenades, mais rien n’est organisé systématiquement[2].

Nous nous proposons de retracer l’histoire de l’école de devoirs du Béguinage, à travers l’approche biographique de sa fondatrice et principale animatrice. La mise en œuvre est complexe et évolue avec le temps. L’approche biographique met en lumière l’articulation de ce projet, étroitement lié à la personnalité de Rosa Collet, avec le milieu dans lequel elle s’active, une communauté paroissiale évoluant à la marge de l’Église officielle, et l’action socioculturelle et politique du Groupe d’action de Bruxelles-sur-Senne (GABS). Ce comité d’habitants se mobilise pour la défense de leur quartier de vie, le Béguinage, pendant les années 1970, années noires pour Bruxelles-centre, où la spéculation immobilière se cumule à des projets pharaoniques de la Ville, en total décalage avec les besoins des habitants.

Portrait de Rosa Collet, Bruxelles, 11 novembre 2020, elle a 96 ans. (Collection privée Marie-Thérèse Coenen).

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