Dettes et travail de la femme dans l’artisanat minier de l’or en RD Congo

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Exposé et validation de l’analyse : Marie-Rose Bashwira
Professeure associée à l’Université catholique de Bukavu
Rédaction : Julien Tondeur (historien, CARHOP asbl) 

La contribution que nous présentons aujourd’hui s’intéresse principalement à une double problématique, la contraction de dettes et le travail de la femme dans l’artisanat minier de l’or en République Démocratique du Congo (RD Congo). La RD Congo est connue pour ses innombrables ressources en minerais, de part et d’autre du pays, au nord comme au sud. Prendre le temps de regarder une carte qui met en lumière les ressources géologiques permet de rapidement comprendre à quel point la dynamique des minerais est importante pour la RD Congo, mais également pour saisir la complexité de la situation géopolitique de la région.

REKACEWICZ P., « Le Kivu entre richesses minières et désastre humanitaire », Le Monde Diplomatique, cartes, décembre 2008. Carte crée à partir des sources : Colette Braeckman,
Le Soir ; Nations Unies ; US Department of Energy, 2006. https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/kivupoudriere,page consultée le 05 septembre 2021.

Aborder la question de l’extraction de minerais, c’est évoquer deux aspects qui peuvent paraitre contradictoires à première vue. On constate en effet, d’un côté, l’exploitation et le travail forcé, ce que l’on nomme parfois l’exploitation abusive des ressources humaines dans les zones minières, et d’un autre côté, on perçoit que c’est un moyen de subsistance pour une bonne partie de la population. Ces dernières décennies, néanmoins, le secteur minier artisanal de la RD Congo est aussi désigné comme moteur des conflits armés. Ce constat a conduit à désigner certains minerais tels que le coltan, le wolframite, la cassitérite et l’or comme « minerais du sang » ou « minerais des conflits ». Plusieurs réformes minières ont alors vu le jour afin d’endiguer ce phénomène, et cela aussi bien au niveau national (code minier 2002, 2018), régional (certification de la CIRGL[1]) qu’au niveau international (Dodd Frank Act aux États-Unis[2], dispositions de l’Union européenne, programme iTSCi pour les chaines d’approvisionnement en minerais responsables[3]…).

Parmi les principales réformes minières actuellement mises en œuvre en RD Congo, la plus récente consiste à éliminer le financement des groupes armés par l’extraction et la vente de minerais, et à améliorer la gouvernance minière tout en augmentant les recettes de l’État provenant du secteur minier.

Le constat selon lequel la présence des minerais est la cause première des conflits armés en RD Congo reste toutefois à nuancer. Les causes des conflits sont complexes et aboutissent à des conséquences différentes. Malheureusement, la situation dans le secteur minier ne fait qu’accroitre la perte de moyens de subsistance pour les mineurs artisanaux et les personnes à leur charge. Ce constat prévaut encore plus spécifiquement pour les femmes, qui peuvent être marginalisées ou même exclues de l’économie minière.[4] Il apparait donc que les femmes représentent un public particulièrement à risque dans le secteur minier. Car bien que constituant une part non négligeable des acteurs du secteur, leur travail reste non reconnu et parfois mal rémunéré. Les femmes sont marginalisées et victimes de violences basées sur le genre, telles que les violences sexuelles ou les maltraitances physiques et morales, extrêmement fréquentes dans les zones minières artisanales. Il est indéniable que le travail dans les mines artisanales est une source d’exclusion, d’insécurité et d’exploitation importante de tous les acteurs, hommes et femmes qui travaillent dans ce secteur.

Nos recherches démontrent toutefois que des différences de travail et de rémunération, parfois importantes, existent entre les différents acteurs, bien que la qualité du travail effectué soit identique. Ce constat corrobore les travaux existants, tel que celui d’Eleanor Fisher qui a montré que l’exclusion, l’insécurité et l’exploitation sont étayées par des inégalités socio-économiques.[5] June Nash, quant à elle, a démontré à quel point le secteur minier artisanal exploite certains de ses acteurs, notamment avec son livre We eat the mines and the mines eat us.[6] Par la suite, Jocelyn Kelly, Alexandria King-Close et Rachel Perks ont surenchéri en précisant les opportunités et les risques pour les femmes qui travaillent dans le secteur minier du Sud-Kivu, notamment la dangerosité et l’impact physique de ce type de tâches pour les travailleuses.[7]

Position des femmes dans la chaine de l’extraction minière

En observant attentivement la chaine de la filière minière de l’or, en partant de l’extraction et l’exploitation au commerce de l’or au niveau local, il est possible de tirer divers enseignements. Par exemple, s’attarder sur les divers acteurs de cette filière permet de constater que la plupart des femmes occupent des positions d’intermédiaire de traitement. Que cela soit au niveau du transport ou au niveau du traitement effectué sur les minerais, les femmes sont majoritaires, alors que dans d’autres positions, qui sont reconnues directement par le code minier, on retrouve beaucoup plus d’hommes. Cette situation laisse les femmes dans une position assez vulnérable, du fait que leur activité dans la mine n’est pas reconnue par le code minier. L’examen des budgets des ménages dans et autour des sites miniers du Sud-Kivu corrobore ce constat, puisqu’on constate que 80,5 % des ménages miniers dirigés par des femmes étaient pauvres, contre seulement 68,97 % des ménages dirigés par des hommes.[8]

La réforme du code minier en RD Congo[9]

Le sous-sol de la RD Congo regorge de minerais et de métaux précieux (cuivre, coltan, cobalt, or, diamants, etc.). Par exemple, le pays dispose de plus de la moitié des réserves connues du globe en cobalt, minerai rare et très recherché, car indispensable aux nouvelles technologies. Cette richesse minière fait de la RD Congo un territoire très convoité L’ancien code minier, rédigé par des experts de la Banque mondiale, est adopté en 2002, juste après l’accession au pouvoir de Joseph Kabila. Ce code, qui affaiblissait plusieurs réglementations existantes, est considéré par la société civile congolaise et même par le Fonds monétaire international (FMI) comme très favorable aux investisseurs étrangers et très peu à l’avantage de l’État et de la population congolaise, qui ne bénéficient presque pas de l’exploitation minière.

Les négociations pour l’établissement d’un nouveau code commencent en 2012 et se terminent en 2018. Les principales innovations sont une augmentation des redevances minières dues par les entreprises, mais encore faut-il pouvoir prélever l’impôt ; une plus grande mainmise de l’État congolais sur le secteur minier ; de nouvelles garanties sociales et environnementales (si, dans l’ancien code, les communautés devaient prouver l’existence de conséquences négatives de pollution, dorénavant, tout titulaire d’un droit minier et/ou de carrières est automatiquement considéré comme responsable des dommages causés aux personnes, aux biens et à l’environnement, même en l’absence de toute preuve de faute ou négligence).

Concernant les creuseurs artisanaux, c’est-à-dire les personnes qui participent à l’exploitation d’une mine artisanale, on estime leur nombre à deux millions en RD Congo, même s’il est difficile de connaitre les chiffres exacts. Le code minier interdit implicitement le travail des enfants et des femmes enceintes, mais aucune autre protection des creuseurs artisanaux n’est cependant prévue.[10]

Carte des sites miniers artisanaux à l’Est de la RD Congo, BASHWIRA M. R, « Making sens of women’s economic activity within DRC’s artisanal gold mining sector », Briefing paper, n° 31, janvier 2019, Secure Livelihoods Research Consortium, p. 2. https:// securelivelihoods.org/wp-content/uploads/Gold-mining-briefing-ISS-Rose-final-online2-1.pdf, page consultée le 16 août 2021

Si on s’attarde un peu sur ces catégories d’intermédiaires, par exemple avec le cas du site minier de Kamituga (Sud-Kivu), que constatons-nous ? Nous allons réaliser ici une rapide description des différentes professions :

Les « bongeteuses » qui cassent les pierres en petits morceaux à l’aide d’un marteau de 2 kilos pour faciliter le concassage dans la machine.

Les « twangeuses » qui martèlent et broient les pierres, extraites des fosses, à traiter afin de les réduire en une poudre facilement nettoyable et séparable de l’or. Elles cassent les pierres, trient et lavent sable et minerais dans les carrières. Leur rémunération tourne autour de 2,5 dollars des États-Unis (USD) et 3,5 USD par « loutra » de pierres (une « loutra » correspond à la moitié d’un bidon jaune de 20 litres).

À gauche : wangeuse à Kamituga, 2018. Photographie de MarieRose Bashwira, extrait de BASHWIRA M.-R, « Making sens…, p. 1.
À droite : Bizalu à Kamituga, 2018. Photographie de Marie-Rose Bashwira, extrait de BASHWIRA M.-R, « Making sens…, p. 4.

Les transporteuses, appelées aussi « kasomba » ou « Hilux » en référence aux voitures 4×4 car elles peuvent transporter de très gros colis de minerais ou de sable minéralisé.[11] Leur salaire tourne autour de 0,30 USD et 1,5 USD par trajet suivant la distance à parcourir.

Enfin, il y a la catégorie des « toratora », qui travaillent en règle générale pour elles-mêmes. Leur tâche consiste à ramasser les restes de pierres minéralisées, laissées par les creuseurs autour des puits ou des rivières et des entités de lavage. Parfois, si la chance penche de leur côté, elles peuvent gagner jusqu’à 3 USD par jour.

Les activités dans lesquelles les femmes sont impliquées et leurs rémunérations

En 2020, nous avons effectué une recherche de terrain afin de tenter de comprendre dans quelles catégories de travail les femmes sont impliquées dans le secteur minier de l’or en RD Congo. Sur un nombre total de 225 femmes, un très grand pourcentage d’entre elles sont des « twangeuses », suivies des transporteuses et des « bizalous » et ensuite nous avons les « bongeteuses » et les « toratora ». Très peu de femmes se retrouvent dans d’autres types d’activités.

BASHWIRA M.-R, « Making sens of women’s economic activity within DRC’s artisanal gold mining sector », Briefing paper, Secure Livelihoods Research Consortium, n° 31, janvier 2019, p. 3, https://securelivelihoods.org/wp-content/uploads/Gold-mining-briefing-ISS-Rose-final-online2-1.pdf, page consultée le 16 août 2021.

Dans une étude en 2017, le Centre d’Expertise en Gestion Minière (CEGEMI)[12] tente de comparer le travail des femmes et des hommes dans trois types de sites miniers : Kamituga, Rubaya et Mongbwalu.[13]

Par exemple, pour l’activité de « twangeuses », pour piler 15 kilos de minerais, un homme reçoit 4 USD à 5 USD, alors qu’une femme en reçoit 3 USD. Pour transporter 40 kilos sur une même distance, un homme reçoit 1.5 USD à 3 USD alors qu’une femme reçoit 2 à 2.5 USD. À Rubaya, pour transporter 50 kilos sur une distance de 2 km, l’homme reçoit 6 USD alors que la femme reçoit 5 USD. Pour trier 250 kilos de minerai à Mongbwalu, l’homme reçoit 30 USD pendant que la femme n’en perçoit que 25.

En résumé, en moyenne, mensuellement, un homme peut percevoir jusqu’à 337 USD dans l’activité de l’or et 185 USD dans l’activité des « 3 T » (Twanguer, Transporter, Trier), alors que la femme n’en recevra qu’une somme comprise entre 40 USD et 120 USD. Cela représente donc une différence énorme pour des activités tout à fait similaires.[14]

Tableau comparatif des salaires entre les Hommes et les Femmes dans le secteur de l’extraction minière de l’or en RD Congo (sites de Kamituga, Rubaya et Mongbwalu)

Activités Salaire des Hommes (en USD) Salaire des Femmes (en USD)
Piler 15 kg de minerais (Kamituga) 4 – 5 3
Transporter 40 kg sur une même distance 1.5 – 3 2 – 2.5
Transporter 50 kg, distance de 2 km (Rubaya) 6 5
Trier 250 kg de minerai (Mongbwalu) 30 25
Mensuellement dans le secteur de l’or Jusqu’à
337
Entre
40 -120

Source : Tableau de l’auteure, réalisé dans le cadre de cette analyse.

Il arrive souvent que les femmes ne soient simplement pas payées pour le travail qu’elles fournissent. Ce cas de figure se présente surtout si le creuseur qui les a engagées n’a pas engrangé suffisamment de profit par rapport à ce qu’il escomptait. Dans ce cas, si le creuseur refuse de payer ou refuse de payer le montant convenu à la base, il arrive souvent que les femmes n’osent pas revendiquer leurs droits directement, parce qu’elles sont intimidées car elles se savent « sans-droits ». La prestation de travail n’a en fait quasi aucun effet sur la rémunération établie lors de l’accord initial : si le creuseur récupère beaucoup plus d’argent que ce qui avait été prévu ou qu’il pensait recevoir, la femme qui l’a aidé à piler ne recevra que le montant convenu au départ. A contrario, si le creuseur reçoit moins que ce qu’il pensait recevoir, la femme ne va pas être payée directement.

Selon une étude menée par la Banque mondiale en 2014, les femmes bénéficient peu du travail fourni par rapport à ce que le propriétaire du puits gagne dans cette activité. Elles ne perçoivent qu’une rémunération minime, peu importe qu’elles travaillent plus ou moins que ce qui est prévu initialement entre les deux parties.[15]

Des conditions de travail nocives pour les femmes

De nombreuses femmes savent qu’elles sont exploitées, mais elles préfèrent cette situation à une absence totale de revenu. La nocivité de ce type d’activités sur leurs corps est également notoire.

Il arrive que certaines femmes, du fait qu’elles savent pertinemment bien qu’il est possible qu’elles ne soient pas payées (ou pas de façon équitable) à la fin de leur journée de travail, tentent de se « faire justice » en dérobant quelques pierres minéralisées, afin de pouvoir les traiter pour elles. Dans ce cas-là, si le creuseur les attrape ou, simplement, les suspecte de vol, elles sont battues, insultées et marginalisées dans leur travail. Certaines d’entre elles nous ont même confié qu’elles sont inspectées sur tout leur corps, en ce compris les parties génitales, en cas de suspicion de vol de pierres minéralisées. Il ressort également de nos entretiens que du côté de la chefferie de Luhwindja[16], les femmes, qui décident de s’installer sur le site minier, doivent être détentrices d’une « carte jaune ou de visite » qu’elles se procurent auprès du centre de santé afin de prouver qu’elles ne sont pas séropositives. Dans le cas où elles le seraient, elles ne sont pas autorisées à rester sur le site minier. Ceci est corroboré par d’autres études dans le même secteur au Sud-Kivu.

Dans son rapport de 2014 sur l’évaluation du trafic humain dans le secteur minier, l’United States Agency for International Development (USAID) mentionne que sur les sites miniers, on peut constater « une faible incidence du trafic humain à des fins sexuelles, telles que les mariages forcés, l’incapacité exprimée de quitter le travail sexuel, ou le travail sexuel avant l’âge de 18 ans. Néanmoins, l’enquête révèle également qu’une forte proportion (31,1 %) des femmes interrogées déclarent avoir échangé des rapports sexuels contre de l’argent ».[17]

Dans un rapport de 2020, le Bureau d’études scientifiques et techniques (BEST) et le Norwegian Church Aid Actalliance mettent en évidence les conditions déplorables du travail des femmes dans ces mines artisanales : « La plupart d’entre elles travaillent pieds nus et sont exposées aux radiations de certains minerais qui nuisent à leur santé reproductive. La majorité des femmes travaillant dans les exploitations minières souffrent de perturbations menstruelles et sont victimes d’avortement involontaires. D’autres encore souffrent aussi de mycoses vaginales. Suite aux multiples transports des minerais, les femmes accumulent une fatigue incommensurable. D’après le rapport de l’Institute for the Study of International Development (ISID, 2017), les femmes se plaignent parfois du fait que les hommes leur confisquent leurs outils et usent de brutalité envers elles. En général, les femmes subissent des violences et des chantages au quotidien, y compris des tracasseries policières, sans pouvoir recourir aux forces de sécurité, ni avoir accès à la justice ».[18]

Contraction des dettes, quelles sont les explications ?

Un article, publié par l’USAID en 2014, démontre combien le travail dans le secteur minier artisanal est intrinsèquement lié aux nouvelles formes d’esclavage moderne en RD Congo, notamment avec la question de la servitude pour dettes. Si on se base sur la définition du ministère américain de la Santé et des Services sociaux, la servitude pour dettes s’entend lorsque « le travail est exigé comme moyen de remboursement d’un prêt ou d’un service dont les termes et conditions n’ont pas été définis ou dans lequel la valeur des services des victimes, telle qu’elle est raisonnablement évaluée, n’est pas appliquée à la liquidation de la dette ».[19] Dans cet article, l’USAID montre que 37,6 % des personnes interrogées pour réaliser cette étude sont incapables de rembourser leurs dettes rapidement. Ces personnes sont ensuite soit obligées de travailler librement pour rembourser les emprunts contractés, soit contraintes par la force de travailler gratuitement afin de les rembourser. En fait, si on veut garantir une production équitable du commerce de minerais, il est nécessaire de rémunérer les travailleurs et travailleuses de manière « durable » et de garantir et de protéger le respect des droits de l’humain.

Différentes études ainsi que les rapports de terrain montrent que le trafic de la servitude pour les dettes est extrêmement répandu, il est même beaucoup plus répandu que le trafic sexuel. Dans le monde de l’extraction minière, de nombreuses pratiques de travail coercitives existent et sont pratiquées principalement par des acteurs civils divers, liés au commerce des minerais. Néanmoins, ce que les études ne démontrent pas valablement jusqu’ici, c’est l’existence, oui ou non, d’un écart lié aux aspects de genre, écart qui pourrait ensuite être analysé.

Une dette « genrée » et transmissible

Ce que notre recherche tente à montrer, c’est que qu’effectivement la dette est très courante dans le secteur minier artisanal de l’or. Les femmes comme les hommes prennent un crédit. Mais si on observe attentivement la situation en détail, et qu’on essaye de faire une analyse de genre sur la dette dans le secteur minier, on se rend compte qu’il existe cependant des différences. Le crédit contracté par les femmes l’est souvent pour aider à supporter une partie des charges familiales, tandis que celui de l’homme est contracté directement pour investir dans le travail de la mine (parts de la concession, matériel, etc.).

Ce que notre étude démontre également, c’est que les femmes remboursent à peine leur dette, car le crédit est contracté pour la consommation et non pour l’investissement. Elles n’obtiennent donc pas de retour financier de cet emprunt, au contraire des hommes qui, si l’exploitation fonctionne, peuvent en espérer un. La plupart du temps, lorsque la femme contracte une dette, elle ne peut pas refuser de travailler gratuitement pour le créancier qui a accepté la dette en échange d’un délai de remboursement plus long. Cependant, si la femme ne peut pas rembourser à temps, cela conduit à un travail non libre, à un travail qui est forcé et à des conditions qui ressemblent à de l’esclavage contemporain.

Conséquence directe de cet esclavage contemporain, la transmission intergénérationnelle de la dette interpelle également. Car la dette se transmet de père en fils et de mère en fille. Les enfants sont obligés de travailler dans les mines jusqu’à ce que les dettes de leurs parents soient apurées. Dans le cas où les parents n’ont pas assez de forces pour travailler, ils peuvent inciter leurs enfants à travailler à leur place. Une relation assez patronale entre le créancier et l’enfant, qui vient maintenant travailler pour lui dans le site, se crée alors entre les parties. Si les parents endettés ont une fille, ils peuvent l’encourager à trouver un mari, et, de la sorte, l’argent obtenu de la dot sera utilisé pour rembourser la dette de la famille. Parfois, si le créancier le veut bien, la fille de la famille endettée peut directement être mariée de force à ce créancier en guise de remboursement de la dette. Cette pratique nous a été révélée par une femme de Kamituga que nous avons interviewée en 2017.[20] Durant cet entretien, cette personne nous explique que son premier mariage est le résultat d’un remboursement de la dette de son père.

De nos jours, il est coutume de dire et de penser que ce type de mariage n’existe plus en RD Congo. Pourtant, si des pratiques de ce type ne sont plus publiques, elles existent toujours bel et bien. Ce type de dette est le plus souvent contracté par le propriétaire de puits auprès de ses « sponsors », c’est-à-dire les personnes qui lui ont prêté de l’argent pour investir. Le propriétaire du puits s’entend avec son créancier, et les gens du village viennent au mariage de sa fille sans vraiment savoir ce qu’il se passe. C’est une situation qui est loin d’être une exception, et qui est considérée comme normale.

Conclusion

En guise de conclusion, on peut remarquer que l’attention internationale est actuellement accrue sur le travail des femmes et des enfants, ainsi que sur le type de marginalisations et d’exploitations dont ils font l’objet. Aux niveaux national et local, les réformes du code minier et les initiatives d’associations féminines portent un intérêt à l’amélioration et la protection de la condition de la femme dans les sites miniers.

Ainsi, de plus en plus d’Organisations non gouvernementales (ONG) internationales travaillent ces questions sur le terrain, avec bien souvent un regard neuf. Elles font pression pour lutter contre l’exploitation des femmes et les abus divers qu’elles subissent lorsqu’elles sont présentes dans les sites miniers. Nous pensons que ce travail amène quelques avancées pour ces femmes. Le problème qui reste crucial dans le secteur minier artisanal est le fait que, la plupart du temps, les contrats de travail sont conclus de manière orale, alors que les dettes sont contractées par écrit. Ceci augmente la vulnérabilité des acteurs artisanaux qui se retrouvent souvent dans une situation de servitude liée à la contraction de leur dette. Les problèmes des dettes intergénérationnelles, des mariages forcés et d’esclavages contemporains, que nous avons soulevés, sont des phénomènes peu connus parce que, pour de nombreuses personnes, ces phénomènes restent socialement « acceptables ». Cette acceptation amène la population à tenter de normaliser ces faits. La conséquence est que, puisque personne n’en parle ouvertement et ne souhaite soulever ces problèmes, ils continuent à se pratiquer sans qu’il ne puisse y avoir de changement.

Notes

[1] La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs est une organisation intergouvernementale de pays africains de la région.
[2] Le Dodd Frank Act est une loi-cadre américaine votée en 2010 sous la présidence de Barack Obama à la suite de la crise bancaire et financière mondiale de 2008. Elle vise à assurer une réforme du secteur bancaire, la protection des consommateurs et la gouvernance des entreprises. À ce titre, elle oblige les entreprises minières et pétrolières cotées en Bourse de publier les sommes qu’elles versent aux gouvernements des pays où elles opèrent, mais également de préciser si leurs produits peuvent contenir des « minerais des conflits » ou « minerais du sang ».
[3] Voir le site iTSCi https://www.itsci.org/fr/, page consultée le 01 octobre 2021.
[4] Voir notamment : GEENEN S., Qui cherche trouve, The political economy of access to gold mining and trade in South Kivu, DRC, Antwerpen, Universiteit Antwerpen, Thèse de doctorat, 2014 ; GEENEN S., RADLEY B., « In the face of reform : what future for ASM in the eastern DRC ? », Futures, n° 62, 2014, p. 58-66 ; KELLY J.T.D., KING-CLOSE A., PERKS R., « Resources and resourcefulness : roles, opportunities and risks for women working at artisanal mines in South Kivu, Democratic Republic of the Congo », Futures, n° 62, 2014, p. 95-105 ; CUVELIER J., VAN BOCKSTAEL S., VLASSENROOT K., IGUMA C., Analyzing the Impact of the Dodd-Frank Act on Congolese Livelihoods, New-York, Social Science Research Council (SSRC)-Conflict Prevention and Peace Forum-Ed. Tatiana Carayannis, 6 novembre 2014. https://s3.amazonaws.com/ssrc-cdn1/crmuploads/new_publication_3/analyzing-the-impact-of-the-dodd-frank-act-on-congolese-livelihoods.pdf, page consultée le 05 septembre 2021 ; BASHWIRA M.-R., Navigating obstacles, opportunities and reforms : Women’s lives and livelihoods in artisanal mining communities in eastern DRC, Wageningen, Wageningen University, Thèse de doctorat, 2017.
[5] FISHER E., « Artisanal gold mining at the margins of mineral resource governance : a case from Tanzania », dans Development Southern Africa, vol. 25 (2), s.l., 2008, p. 199-213.
[6] NASH J., We Eat the Mines and the Mines Eat Us : Dependency and Exploitation in Bolivian Tin Mines, New-York, Colombia University Press, 1979. La traduction française serait : « Nous mangeons les mines et les mines nous mangent : dépendance et exploitation dans les mines d’étain de Bolivie ».
[7] Voir KELLY J.T.D., KING-CLOSE A., PERKS R., « Resources and… »
[8] KAMUNDALA B., NDUNGU M., Étude de base sur la situation socioéconomique des ménages vivant dans et autour des sites miniers du Sud-Kivu, Bonn, Centre d’Expertise en Gestion du secteur Minier (CEGEMI-UCB), Deutsche Gesellschaft fur Internationale Zusammenarbeit (GIZ), 2017.
[9] Les informations de cet encadré sont principalement issues de : SMYTH A., « Code minier en RD Congo : les enjeux de la réforme », justicepaix.be, mis en ligne le 19 juillet 2019, https://www.justicepaix.be/code-minier-en-rd-congo-les-enjeux-de-la-reforme/, page consultée le 02 octobre 2021.
[10] SMYTH A., « Creuseurs miniers artisanaux : les oubliés de la crise du coronavirus », justicepaix.be, mis en ligne le 28 mai 2020, https://www.justicepaix.be/creuseurs-miniers-artisanaux-les-oublies-de-la-crise-du-coronavirus-2/?pdf=16871, page consultée le 20 aout 2021.
[11] Hilux est un modèle 4×4 de Toyota.
[12] Le CEGEMI est lié à l’Université catholique de Bukavu et à l’Universiteit Antwerpen.
[13] Kamituga est une ville de plus de 320 000 habitant.e.s, de la province du Sud-Kivu; Rubaya est une petite cité de 18 000 habitant.e.s du Nord-Kivu et Mongbwalu est une localité de 40 000 habitant.e.s de la province de l’Ituri. Toutes les trois sont des cités minières situées à l’est de la RD Congo.
[14] Voir KAMUNDALA B., NDUNGU M., Étude de base….
[15] Voir KELLY J.T.D., KING-CLOSE A., PERKS R., « Resources and… »
[16] Située dans le Sud-Kivu.
[17] Traduction libre de l’auteure d’un passage du rapport de l’USAID publié en 2014 : KELLY J., REENBERG N., SABET D., FULP J., Assessment of human trafficking in artisanal mining towns in Eastern Démocratic Républic of the Congo, Washington, USAID, août 2014, https://womenandmining.org/wp-content/uploads/2019/09/DRC-C-TIP-Asessment-Report_final.pdf, page consultée le 20 août 2021.
[18] Comprendre les inégalités dans l’exploitation minière en République Démocratique du Congo. Regards sur les Mines de Twangiza et Mushinga (Sud-Kivu) et Rubaya (Nord-Kivu), Bukavu, Bureau d’études scientifiques et techniques (BEST)-Norwegian Church Aid Actalliance, septembre 2020, p. 35.
[19] KELLY J., GREENBERG N., SABET D., FULP J., Assessment of human trafficking…, p. 26.
[20] Kamituga est une ville minière qui compte 325 000 habitant.e.s et qui est située dans la province du Sud-Kivu.

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

BASHWIRA M-R., « Dettes et travail de la femme dans l’artisanat minier de l’or en RD Congo », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°15-16 : Travail et conditions de travail en RD Congo hier et aujourd’hui, octobre 2021, mis en ligne le 18 octobre 2021. URL : www.carhop.be/revuescarhop