Introduction au dossier

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Claudine Marissal (historienne, CARHOP asbl)

Aujourd’hui, dans un contexte de poussée du néolibéralisme, de défiance croissante envers les institutions, de montée en puissance de l’extrême droite et de la stigmatisation des migrant.e.s et des allocataires sociaux, les initiatives se multiplient pour défendre la solidarité et les droits humains. Mais comment agir efficacement ? Dans un texte mobilisateur publié en 2025 par la Fondation Ceci n’est pas une crise, le militant et communicant politique Jérôme Van Ruychevelt Ebstein constate en effet une « déconnexion croissante entre les organisations de gauche et les classes populaires qu’elles veulent représenter »[1], une déconnexion qu’il attribue notamment à la disparition progressive selon lui, durant le dernier quart du 20e siècle, d’une série d’organisations ouvrières de terrain qui, depuis le 19e siècle, avaient inlassablement agi pour rassembler, échanger sur les dures conditions d’existence, conscientiser politiquement et mobiliser pour une société plus juste et solidaire. Ce « maillage social », qui allait du café au syndicat, en passant par la coopérative, la mutualité, le club sportif, la fanfare ou la troupe de théâtre, « nourrissait les combats des organisations qui devaient traduire politiquement les problématiques des gens » ; elles « façonnaient un rapport au monde (…) notre manière d’interpréter la société »[2]. Outre une refonte des narratifs de gauche, ce militant plaide dès lors pour la (re)multiplication des espaces de rencontre et de mobilisation des milieux populaires, et il présente les maisons médicales comme « un excellent point d’entrée pour ce genre de démarche »[3].

Les maisons médicales, des centres de soins qui visent l’émancipation des patient.e.s. Dessin paru dans Tant qu’on a la santé…, revue de la Coopérative des patients de la Maison médicale Bautista Van Schowen, été 1994 (coll. CARHOP).

Dans une période qualifiée de « critique », marquée par la marchandisation des services publics, la destruction de l’État social et la dissolution des liens sociaux et des cultures du vivre-ensemble, le Mouvement ouvrier chrétien s’interroge aussi, durant sa Semaine sociale en 2024, sur les « formes plurielles de résistance qui, si elles ne permettent pas de faire dérailler ce train fou, ont la capacité de poser de nouveaux rails »[4]. Là aussi, les maisons médicales, parce qu’elles développent une médecine de proximité à vocation sociale, figurent parmi les quelques initiatives mises à l’honneur[5]. Fortes de leurs 300 000 patient.e.s, les 140 maisons médicales de Wallonie et de Bruxelles représentent en effet un véritable potentiel de transformation sociale.

Nées au début des années 1970, dans la foulée des mouvements contestataires des années 1960 et en réaction à la médecine marchande et hospitalière, les maisons médicales développent en effet depuis plus cinquante ans une médecine sociale de première ligne qui vise à l’émancipation de leurs patient.e.s, avec une attention particulière pour les personnes précarisées et marginalisées. C’est cette facette de leur histoire que ce présent numéro de Dynamiques entend mettre en exergue.

Soigner les personnes précarisées et marginalisées

Les pionniers et pionnières des maisons médicales se nourrissent notamment des théories du Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM) qui, fondé en 1964, entend défaire les relations hiérarchiques et marchandes dans le monde médical. Dès la fin des années 1960, dans le dessein d’offrir une médecine de première ligne efficace et accessible, quelle que soit la condition sociale de la patientèle, le GERM promeut le modèle théorique du Centre de santé intégré (CSI) bientôt repris par les maisons médicales[6]. Il porte aussi une attention particulière aux populations précarisées et marginalisées qui suscitaient jusqu’alors peu d’intérêt dans les milieux médicaux. En 1975, il publie un dossier sur les personnes du quart-monde, annonçant d’emblée dans son introduction :

« Il s’agit, dans l’immédiat, d’approcher un des milieux les plus délaissés et ignorés, en tout cas le plus aliéné et « étranger » de notre société de surabondance médicale, pharmaceutique, hospitalière, scolaire, universitaire, etc. : celui des exclus »[7].

Un an plus tard en 1976, il se penche sur la situation sanitaire des personnes migrantes qui, en plus de la pauvreté, subissent les épreuves de l’exil[8]. Au-delà des différences, comme « la santé des migrants est plus l’affaire de classe que de culture »[9], le GERM établit des convergences dans les vécus des personnes migrantes et du quart-monde : les privations multiples qui affectent leur santé physique et mentale, et les contrastes culturels qui influencent la perception du corps, la capacité à sentir et à accepter la maladie, à décrire les symptômes et à comprendre le langage des professionnels de la santé. Il s’ensuit que :

« les travailleurs les plus démunis, mal logés, mal nourris, employés dans les conditions les plus malsaines et en prise avec des problèmes d’usure physique et mentale d’une époque pour nous révolue, demeurent en marge des institutions médicales modernes »[10].

Sensible à la deuxième vague féministe qui réclame haut et fort l’égalité et la levée des tabous sur le corps des femmes, le GERM cherche aussi à identifier, durant les années 1970, l’impact du corps et des rôles sociaux féminins sur la santé physique et mentale des femmes, leur accès aux soins médicaux et leurs relations avec le corps médical. Car :

« Le manque d’intérêt, quand il s’agit des maladies, pour ce que vit la femme, et plus généralement le manque d’intérêt pour les problèmes spécifiquement féminins, nous a frappé. Il est temps que cela change »[11].

Des maisons médicales pour soigner et transformer le monde

Au tournant des années 1970, des étudiant.e.s et des travailleurs et travailleuses de la santé s’intéressent aux théories du GERM. Souvent reliés par l’amitié, très engagés socialement, situés à gauche voire à l’extrême gauche politiquement, et bien convaincus de leur capacité à transformer le monde, ils décident de passer à l’action. Ils choisissent un quartier où s’établir et fondent les premières maisons médicales : d’abord à Tournai (Le Vieux Chemin d’Ère, 1972), à Molenbeek (Norman Béthune, 1972), à Seraing (Bautista Van Schowen, 1974). Au fil des ans, une mosaïque d’initiatives riches et très variées se construit, « au point qu’on peut se dire qu’il n’y a pas deux maisons médicales semblables dans leurs apparences extérieures, même si leurs objectifs généraux concordent »[12]. Cette variété montre la grande souplesse des maisons médicales, leur capacité à construire de multiples synergies et à s’adapter aux nécessités locales et aux réalités de terrain.

Même si elles agissent de manière spontanée et autonome, les maisons médicales partagent d’évidentes convergences avec le GERM. Chacune à leur manière, elles adoptent le modèle du CSI. Pluridisciplinaires, agissant en autogestion, prodiguant des soins globaux, continus et intégrés, elles montrent une sensibilité forte aux besoins des quartiers et de leurs habitant.e.s et se préoccupent d’emblée des personnes du quart-monde, des personnes issues de l’immigration, des femmes et d’autres personnes vulnérables. Pour défendre collectivement leur philosophie de soins auprès des autorités publiques, une trentaine de maisons médicales décident en 1979 de s’assembler en une Fédération des maisons médicales. Souvent en collaboration avec le GERM, c’est ensemble qu’elles défendent à présent le modèle du CSI et, fortes de leurs pratiques de terrain, elles enrichissent la connaissance sur la santé et l’accès aux soins des populations précarisées et marginalisés[13].

Les maisons médicales se construisent donc en opposition avec la médecine libérale et marchande et s’érigent en espaces de revendications et de transformation politique. En 1997, Pierre Drielsma, qui s’implique à la fois à la Maison Bautista Van Schowen à Seraing et à la Fédération des maisons médicales, écrit avec fougue dans un article intitulé « Pour la guerre sociale ! » :

« Le Modèle marchand vise non seulement à l’hégémonie, mais plus encore au monopole de la pensée. C’est la fameuse pensée unique, en ce qu’elle prétend à l’impossibilité de penser une autre vie, un autre mode de fonctionnement social. (…) Historiquement, les maisons médicales se sont toujours trouvées du côté des petits. Il y a urgence à fournir des armes contre le Moloch’ Marchand »[14].

Trente ans plus tard, les maisons médicales restent des lieux de résistance qui entendent à présent servir de point d’appui pour lutter contre les extrémismes. C’est le message que la secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales, Fanny Dubois, vient d’adresser aux patient.e.s et aux travailleurs et travailleuses des maisons médicales, aux autorités politiques et aux citoyen.ne.s :

« Osons le dialogue mutuel, car la division est notre pire ennemie. Ouvrons nos maisons médicales vers l’extérieur, à la découverte de l’autre, de celui ou de celle qui va bousculer les « entre soi » pour faire vivre la démocratie. Ouvrons nos cœurs aux liens de soins pour les protéger de la culture comptable qui transforme l’humain en un chiffre dénué de sa subjectivité. Résistons aux logiques qui poussent à l’individualisme, à rompre nos collectifs, à rendre nos rapports sociaux marchands. Ces autres histoires de rencontre avec l’altérité que nous tissons au quotidien fabriquent l’avenir de l’histoire de l’humanité, indispensable pour l’avenir de nos enfants et du vivant »[15].

Au menu de ce Dynamique

Sans occulter l’ancrage ancien de la médecine sociale, un premier numéro de Dynamiques, paru en décembre 2024, était revenu sur la création du mouvement des maisons médicales, leur projet politique et leur constitution en organisation fédérative, la Fédération des maisons médicales[16]. Cette fois, l’objectif est de mettre en exergue des initiatives inspirantes de terrain, jeunes et moins jeunes, situées en Wallonie et à Bruxelles, toutes singulières, mais partageant des caractéristiques communes qui les démarquent radicalement de la médecine libérale et privée: le terreau de l’engagement, l’ancrage dans un quartier, la volonté d’assurer une médecine de première ligne globale, continue et intégrée, accessible à tous et toutes, mais aussi celle de défaire les hiérarchies par l’autogestion et de travailler, via l’émancipation de leur patientèle, à une refonte beaucoup plus profonde de la société.

Dans un premier article, Julien Tondeur nous mène à Marchienne-Docherie dans l’entité de Charleroi, un quartier populaire et ouvrier en proie à la désindustrialisation. En 1974, des jeunes médecins épris de justice sociale s’y installent, bien décidés à y pratiquer une médecine sociale et émancipatrice. Ils fondent une Boutique de droit, un lieu d’expérimentation sociale qui offre différents services et qui mobilise les techniques du Mouvement d’animation de base pour conscientiser et émanciper les habitant.e.s du quartier. Ils y dispensent aussi des soins médicaux, à l’origine de la Maison médicale La Glaise. Outre l’ancrage militant, Julien Tondeur raconte les interactions fortes entre l’équipe médicale et les habitant.e.s du quartier, ainsi que les défis de l’institutionnalisation et du renouvellement des équipes pour la continuité du projet politique.

Avec la Maison médicale du Nord, c’est dans un autre quartier précarisé que nous convie Marie-Thérèse Coenen, un quartier situé aux alentours de la Gare du Nord à Bruxelles, qui concentre une forte proportion de populations immigrées vivant dans des conditions très difficiles. C’est dans ce contexte que des soignant.e.s impliqués dans d’autres projets socio-médicaux, décident de fonder une maison médicale. Pour répondre aux multiples problèmes sociaux de la patientèle, ils s’organisent en collaboration étroite avec l’association Services sociaux des quartiers, tandis que dans un contexte multiculturel, ils pensent et adaptent leurs pratiques médicales à la sensibilité et aux besoins de santé de patient.e.s confrontés à l’exil et au déracinement culturel.

Dawinka Laureys nous rapporte le témoignage du docteur Pierre Drielsma qui s’investit pendant plus de quarante ans à la Maison médicale Bautista Van Schowen à Seraing, et à la Fédération des maisons médicales où il défend le paiement au forfait. Outre ses racines post-soixante-huitardes, il raconte la volonté émancipatrice d’une Maison médicale installée au cœur d’une localité industrielle et ouvrière, qui a l’originalité de mettre sur pied une coopérative de patient.e.s. Son témoignage montre aussi l’envers du décor, comme les revers de l’implication de la patientèle, de l’autogestion et de l’égalité salariale.

Avec la Maison médicale du Maelbeek fondée à Ettebeek (Bruxelles) en 1976, c’est au genre que nous convie Claudine Marissal. Dans une période où les violences contre les femmes sont encore largement minimisées, y compris dans le monde médical, la Maison médicale du Maelbeek construit une collaboration étroite avec le Collectif pour femmes battues, une association féministe qui gère le premier refuge dédié aux femmes victimes de violences familiales. L’équipe est socialement très engagée, et prendre soin des personnes les plus exclues, avec toute la prudence et la délicatesse que leur fragilité réclame, s’inscrit pleinement dans ses conceptions de la médecine.

Quelques décennies plus tard, au tournant du 21e siècle, c’est aussi le genre qui pousse l’Entr’aide des Marolles à Bruxelles à initier un projet de santé communautaire pour améliorer le bien-être mental d’hommes isolés et précarisés, parfois dans l’errance, qui restent à l’écart des services médico-sociaux. C’est en favorisant le lien social et l’estime de soi et en les associant progressivement à des activités collectives du quartier, que le projet Hommes des Marolles entend agir sur leur santé mentale. Avec l’Entr’aide des Marolles, Claudine Marissal montre aussi la capacité d’adaptation d’une association médico-sociale fondée dans l’entre-deux-guerres[17], aux nouvelles conceptions de la médecine et de l’action sociale, jusqu’à s’intégrer dans le mouvement des maisons médicales.

Avec la Maison médicale Les Arsouilles fondée en 2000 dans le quartier populaire Saint-Nicolas à Namur, Édith Lepage pointe aussi l’importance des activités de santé communautaire pour améliorer l’état sanitaire. Après avoir rappelé les textes des organisations internationales promouvant ces pratiques, elle explique leur mise en œuvre aux Arsouilles, dans un quartier populaire délaissé souffrant de l’absence d’infrastructures et de logements dégradés, à l’origine d’un état dépressif collectif contre lequel la Maison médicale entend agir. C’est pourquoi, dès le début des années 2000, l’équipe initie un vaste projet citoyen de réhabilitation du quartier, en interaction étroite avec les habitant.e.s et les associations de terrain. De diverses manières, elle veille aussi à impliquer la patientèle dans l’organisation de la Maison médicale, pour en faire des acteurs et actrices à part entière de leur santé.

Avec la Maison médicale de Médecine pour le Peuple fondée en 1999 à La Louvière, Camille Vanbersy nous plonge dans une médecine contestataire à vocation révolutionnaire. Elle montre en effet comment le projet politique communiste de Médecine pour le Peuple, présenté dans le précédent numéro de Dynamiques[18], prend forme dans une localité post-industrielle. Pour Médecine pour le Peuple, le droit à la santé implique une réforme en profondeur de la société. C’est pourquoi, avec le soutien de sa patientèle, la Maison médicale se confronte à l’Ordre des médecins. Elle documente aussi les problèmes sanitaires et sociaux et se mobilise pour défendre collectivement les droits sociaux ou le pouvoir d’achat de la patientèle.

Enfin, pour conclure sur une vision politique, François Welter a recueilli les propos de Fanny Dubois, la secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales, sur les enjeux et des maisons médicales. Elle évoque notamment leur implantation territoriale, la mixité sociale de leur patientèle et le financement au forfait pour soutenir la solidarité. Elle n’élude pas les menaces des politiques néolibérales pour les soins de santé, insistant sur l’importance primordiale d’une protection sociale forte et de la concertation sociale pour assurer la sécurité collective. En conclusion, François Welter rappelle qu’en travaillant à la transformation sociale, les maisons médicales font partie intégrante du processus d’éducation permanente.

Au terme de ces deux numéros de Dynamiques consacrés aux maisons médicales, constatons humblement que nous n’avons dévoilé que quelques facettes d’une riche histoire d’engagements. Souvent partis de presque rien, les pionniers et pionnières ont réussi à lancer un mouvement qui réunit d’aujourd’hui 140 maisons médicales et une Fédération qui défend leur projet politique. Cette histoire montre la force du oser agir, espérons qu’elle serve de levier pour de nouveaux engagements.

Notes

[1] VAN RUYCHEVELT EBSTEIN J., Pourquoi les narratifs de gauche ne touchent plus les classes populaires ? Le cas de la Belgique francophone : comprendre les échecs et reconstruire des récits qui gagnent la bataille culturelle, Fondation Ceci n’est pas une crise, 2025, https://cecinestpasunecrise.org/wp-content/uploads/2025/03/Pourquoi-les-narratifs-de-gauche-ne-touchent-plus-les-classes-populaires_VdefWeb.pdf.
[2] Ibidem, p. 12.
[3] Ibidem, p. 38.
[4] 101e Semaine sociale du MOC. Quels services publics et associatifs depuis nos lieux de vie, demain ?, revue Politique, collection Politique, n° 6, 2025, p. 8.
[5] THIÉMARD C., NAVEAU, B., « Diagnostic et territoire », 101e Semaine sociale du MOC…, p. 58-62.
[6] Sur l’histoire du GERM et son influence sur les maisons médicales : POUCET T., VAN DORMAEL M., « 1964-1990 : le GERM pour un système de santé solidaire, » et MORMONT M. et ROLAND M., « Maisons médicales, semailles et germinations », Politiques, n° 101, septembre 2017, p. 28-37, https://www.revuepolitique.be/wp-content/uploads/2017/11/Pour-une-gauche-me%CC%81dicale.pdf; HENDRICK A. & MOREAU J.L., « Esquisse historique de la Fédération des maisons médicales », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 25, décembre 2024, www.carhop.be.
[7] MOERMAN F., « Présentation : les exclus… », GERM : lettre d’information, n° 87, avril 1975, p. 3.
[8] « La santé des migrants », GERM : lettre d’information, n° 94, janvier 1976.
[9] MEESTERS J., « Santé des migrants ou santé des ouvriers ? », GERM : lettre d’information, n° 94, janvier 1976, p. 25.
[10] Extrait de : de VOS van STEENWIJK A.A., La provocation sous-prolétarienne, Sciences et services, 1972. Cité dans GALAND P. (Dr), « Santé et Quart-monde », GERM : lettre d’information, n° 87, avril 1975, p. 33.
[11] « La femme, objet de santé publique », GERM : lettre d’information, n° 99, juin 1976, p. 3.
[12] « Ces maisons médicales qui ont 10 ans et plus…, Actualité Santé, une publication du GERM, n° 56, novembre 1983, p. 3.
[13] À partir des années 1980, des articles paraissent régulièrement sur les personnes précarisées, les personnes immigrées et les femmes dans les revues du GERM et de la Fédération des maisons médicales.
[14] DRIELSMA P., « Pour la guerre sociale ! (éléments pour une stratégie politique) », Courrier, périodique de la Fédération des Maisons médicales et Collectifs de santé francophone, n° 7, février 1997, p. 5-6.
[15] Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones, Rapport d’activités 2024, p. 7, mis en ligne en 2025, https://www.maisonmedicale.org/wp-content/uploads/2025/05/rapport-annuel-2024.pdf.
[16] Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 25 : Les maisons médicales. Le droit à la santé pour tous et toutes !, mis en ligne le 18 décembre 2024, www.carhop.be.
[17] Sur la création de l’Entr’aide en 1925 et son évolution jusqu’aux années 1970 : MARISSAL C. « Soigner pour évangéliser ? L’Entr’aide des travailleuses (1925-années 1960) », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 25, décembre 2024, www.carhop.be.
[18] Sur la création et le projet politique de Médecine pour le Peuple : COENEN M.-Th. « Médecine pour le Peuple : des maisons médicales luttent pour le droit à la santé », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 25, décembre 2024, www.carhop.be.

Pour citer cet article

Marrisal C., « Introduction au dossier  », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 26 : Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes ! Panorama d’initiatives inspirantes, mai 2025, mis en ligne le 28 mai 2025, https://www.carhop.be/revuecarhop/

Esquisse historique de la Fédération des maisons médicales

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Annette Hendrick (archiviste et historienne indépendante (ORAM))
Jean-Louis Moreau (archiviste et historien indépendant (ORAM))

Les antécédents (1964-1979)

Bien que née en 1980-1981, la Fédération des maisons médicales a des racines plus anciennes, qui plongent jusqu’aux années 1960 et plus précisément jusqu’à la grève des médecins de 1964.[1] Au lendemain de cet événement dramatique, un groupe de médecins, dont beaucoup travaillent dans de grands hôpitaux, s’insurgent contre le caractère corporatiste du mouvement dans lequel leurs Chambres syndicales les ont entraînés malgré eux. Ce groupe dénonce pêle-mêle : l’incohérence de la politique de santé en Belgique, la dévalorisation du rôle du médecin généraliste, la formation hospitalo-centriste des soignant.e.s, l’absence d’un système d’échelonnement des soins, la pauvreté de la médecine préventive, etc. De tendances philosophiques et politiques diverses – mais avec une nette tendance à gauche – il constitue une plateforme de réflexion, le GERM : Groupe d’étude pour une réforme de la médecine. À travers les Cahiers du GERM et d’autres publications, le groupe de médecins dresse un tableau des réformes du système de santé à entreprendre selon eux en Belgique. Les lignes de force de ce programme restent aujourd’hui pour une large part celles de la Fédération.

« Santé des plus pauvres : la course d’obstacles », Les cahiers du GERM, n° 9, mai 1987, p. 1 (CARHOP).

Parallèlement aux travaux du GERM, les premières maisons médicales sont fondées à partir de 1972 en réaction à une médecine technocratique et libérale et dans la foulée des événements de mai 1968. Elles réunissent des équipes interdisciplinaires de soignant.e.s de première ligne (médecins, infirmier.e.s, kinésithérapeutes), s’appuyant le cas échéant sur les compétences de psychologues, accueillant.e.s, assistant.e.s sociaux… Ces équipes fonctionnent en autogestion, sur un mode non hiérarchique. Influencées par les idées du GERM, elles entendent prodiguer des soins accessibles à tou.te.s, des soins continus (suivi des patient.e.s sur le long terme), des soins intégrés (qui mettent l’accent sur la prévention) et des soins globaux (en s’intéressant non seulement au somatique mais aussi au cadre de vie des patient.e.s, à leurs activités, à leur situation professionnelle, sociale, familiale).

Ces premières initiatives sont spontanées et non coordonnées, elles se concentrent essentiellement dans les centres urbains de Bruxelles, Liège et Charleroi. La plupart des maisons médicales (mais pas toutes) desservent des quartiers populaires. Elles revendiquent « la socialisation de la santé au lieu de la médicalisation de la société ». À la fin des années 1970, il existe une trentaine de maisons médicales.

La grève des médecins orchestrée par l’ABSyM[2] en 1979 semble avoir joué le rôle de catalyseur pour une structuration du mouvement des maisons médicales : celles-ci contribuent à briser la grève qu’elles jugent corporatiste et motivée essentiellement par l’appât du gain. Après un an de réflexion, une Fédération des maisons médicales est organisée en association sans but lucratif lors de l’assemblée générale de septembre 1980.

Le temps des utopistes (1980-1989)

La Fédération compte une trentaine de membres à sa fondation ; 35 en 1983 ; 40 en 1988 ; et 44 en 1990. Chaque année, ce sont donc une ou deux maisons médicales supplémentaires qui s’affilient durant cette période. Le groupe bruxellois est le plus important (17 équipes sur 35 en 1983, 20 sur 40 en 1988). Vient ensuite, par ordre d’importance, le groupe de Charleroi, avec une douzaine de maisons. Le groupe liégeois compte une demi-douzaine d’équipes en 1988. Et les maisons médicales de Tournai et Barvaux sont un peu isolées sur cet échiquier. Le nombre de travailleurs et travailleuses en maison médicale est évalué à quelque 220 en 1988, dont une centaine de médecins.

Faute de moyens, les premières années de la Fédération sont laborieuses : elle ne dispose d’aucun.e permanent.e, toute son action repose sur le bénévolat. De plus, sa tâche comme relais des maisons médicales vers la politique est compliquée par la deuxième réforme de l’État qui confirme que l’Assurance maladie-invalidité reste une matière fédérale mais que certaines compétences comme la prévention, l’agrément des hôpitaux et l’octroi de subventions à des structures de soins sont confiées aux Communautés. La coordination des politiques de la Fédération devient particulièrement compliquée lorsque les différents niveaux de pouvoir présentent des majorités asymétriques.

Disposant de peu de moyens propres, la Fédération peut néanmoins compter sur l’appui du GERM. Celui-ci contribue à la maturation du modèle du centre de santé intégré dont s’inspirent toujours les maisons médicales. Les permanent.e.s du GERM soutiennent les recherches-actions de la Fédération entre sa création en 1980 et la dissolution du GERM en 1994.

Sur le plan politique, la Fédération réussit à cette époque deux coups de maître : la reconnaissance du financement des soins au forfait et l’octroi de subsides aux Centres de santé intégrés (CSI).

Le financement au forfait (dit aussi à l’abonnement), organisé en 1982 par l’INAMI, est une des victoires les plus significatives des maisons médicales sur la médecine libérale. C’est à la demande de la Fédération et avec l’appui des mutuelles, des syndicats et du Groupement belge des omnipraticiens (GBO) que l’INAMI met en place le système. Celui-ci se base sur un contrat qui lie une maison médicale, un.e patient.e et sa mutuelle. Cette dernière verse un forfait mensuel à la maison médicale pour financer les soins de chaque patient.e inscrit.e. Les patient.e.s ne déboursent rien (sinon parfois un droit minime d’inscription). Le montant du forfait versé pour chaque patient.e inscrit.e en maison médicale est calculé en fonction de la moyenne nationale de consommation de soins.

Bien sûr, la formule du forfait a ses limites : seules les prestations couvertes par l’INAMI dans le système à l’acte sont concernées, soit celles des médecins, kinésithérapeutes et infirmier.e.s. La prise en charge psychosociale de l’abonné.e n’est pas couverte. Le système est donc boiteux par rapport au projet de médecine globale et intégrée voulu par les maisons médicales. Tel quel, il a cependant représenté un pas important pour améliorer l’accès aux soins (les patient.e.s ne doivent plus avancer l’argent des consultations). L’inscription des patient.e.s facilite aussi leur suivi individuel. À l’échelle du territoire desservi par la maison médicale, il rend possible des études épidémiologiques et stimule les démarches de prévention (les soignant.e.s ont intérêt à ce que la population qu’ils et elles soignent reste en bonne santé – cela leur coutera moins d’efforts).

Il y a malheureusement un frein à l’adoption du forfait : son montant est si bas que les maisons médicales rechignent à adopter le système. De ce fait, celles qui s’y engagent (à partir de 1984) rencontrent de grosses difficultés financières.

Au niveau de la Communauté française, la Fédération obtient en 1983 l’octroi de subsides aux « Centres de santé intégrés » (CSI) de première ligne, animés par des équipes interdisciplinaires. En 1986, la Fédération organise d’ailleurs son premier congrès sur ce thème : Le CSI, base d’une politique de santé. Cinq délégations étrangères y participent. Le financement des Centres de santé intégrés est toutefois remis en cause en 1986-1987 suite à un changement de majorité politique.

La nécessité de définir plus ou moins strictement le modèle de CSI que reconnaîtrait la Communauté française, suscite des conflits entre différentes tendances qui coexistent au sein de la Fédération. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point sur lequel il y a des divergences. La nécessité d’un texte programmatique se fait cruellement sentir. En 1989, un premier essai est rédigé, intitulé Plateforme pour la Fédération des maisons médicales, qui ramasse en une page la conception de la politique de santé défendue par la Fédération. Ce texte liste aussi les fonctions que doit assumer l’équipe pluridisciplinaire d’un CSI. Il ne s’impose pas comme un modèle rigide, mais doit permettre l’évaluation de chaque maison médicale par rapport à un idéal.

La reconnaissance d’un modèle (1989-1997)

Affiche de promotion pour le premier colloque de la Fédération des maisons médicales, intitulé « Après 10 ans de Fédé, creusons-nous la cervelle », 9 et 10 juin 1990 (CARHOP).

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