La Maison médicale Bautista Van Schowen à Seraing : témoignage du docteur Pierre Drielsma 

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Propos entre autres recueillis par Dawinka Laureys (historienne, IHOES asbl)

À partir de 1981, Pierre Drielsma s’implique activement à Maison médicale Bautista Van Schowen à Seraing (BVS) et à la Fédération des maisons médicales (FMM)[1]. Il a confié ses archives à l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale de Seraing (IHOES). Féru de mémoire orale, ce centre d’archives privées a choisi, à l’occasion de cet article, de recueillir les propos de Pierre Drielsma sur son parcours de vie et son engagement dans le mouvement des maisons médicales. Des étudiant.e.s en histoire de l’ULg l’ont interrogé sur sa jeunesse, sa formation, sa pratique médicale à l’étranger et les aspects médicaux, sociaux et organisationnels du travail en maison médicale, tandis que Dawinka Laureys l’a questionné sur la création, les spécificités et l’évolution de BVS, mais aussi sur les défis actuels des maisons médicales[2]. Elle nous livre ici différents extraits de ces deux entretiens, qui témoignent de l’expérience du docteur Drielsma à la BVS. Pour plus de fluidité, des modifications de forme ont été apportées, en respectant le fond des propos.

Action pour la libération du militant chilien Bautista van Schouwen, arrêté en 1973 et dont la mort avait été dissimilée. Affiche, 1974 (coll. Amsab-IHS, Gand).

La Maison médicale Bautista Van Schowen[3] voit le jour en février 1974 à Seraing[4]. Première du genre en région liégeoise, elle remet « en question l’image d’une médecine technique toute puissante » et défend « une approche holistique de la santé, la non-hiérarchie, l’autonomie et la participation des patients »[5]. Elle porte le nom d’un médecin chilien, militant révolutionnaire assassiné sous Pinochet en 1973. Elle s’enracine dans le mouvement de contestation de Mai 1968 et dans les travaux du Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM). Occupant le territoire de « l’ancien Seraing »[6], sa patientèle représente moins de 2 000 personnes au départ et plus de 4 000 actuellement. L’une des caractéristiques de ce centre de santé intégré est de fonctionner en autogestion. En 1980, une coopérative de patients s’y constitue. La même année, BVS fait partie des membres fondateurs de la Fédération des maisons médicales. En 1984, elle adopte le financement au forfait, une première pour une maison médicale. Longtemps, elle pratique l’égalité salariale de ses travailleurs et travailleuses, au nombre de huit en 1977 et de 34 aujourd’hui.

Brève biographie de Pierre Drielsma

Pierre Drielsma est né à Liège le 28 janvier 1952. Voulant se lancer dans la recherche, il entreprend d’abord des études de biologie à l’Université de Liège. Enfant de Mai 68, soucieux de faire correspondre sa carrière professionnelle avec un combat politique ancré à gauche, il s’oriente ensuite vers des études de médecine à l’Université libre de Bruxelles, discipline plus « concrète » qui lui permettra de pratiquer son métier en milieu populaire et d’appliquer sur le terrain le changement social radical qu’il appelle de ses vœux.

En octobre 1981, son diplôme en poche, il est engagé au centre de santé intégré Bautista Van Schowen à Seraing. Il y porte une vision holistique de la médecine, consistant à dépasser la seule relation thérapeutique pour s’intéresser au patient dans sa globalité. Pierre Drielsma est également l’un des pionniers de la conquête du paiement au forfait en maisons médicales. Après 39 ans à BVS, il passe à la Maison médicale de Jemeppe-sur-Meuse et au Centre médical des Marêts à Seraing.

Outre son travail de praticien, Pierre Drielsma est actif au sein de diverses institutions ou commissions en lien avec la santé, notamment dans le Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM), dont il a été le dernier président à partir de 1993 ; à la Fédération des maisons médicales (FMM) dont il rejoint l’organe d’administration en 2023, après plusieurs décennies passées dans diverses de ses instances (cellule politique, bureau stratégique, etc.) ; à l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI) ; à la Commission d’agrément des Associations de santé intégrées (ASI) de la Région wallonne ; au Groupement belge des omnipraticiens (GBO) ; ainsi qu’à l’Agence wallonne pour une vie de qualité (AVIQ).

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Soigner et défendre les droits de la patientèle : la Maison médicale de Médecine pour le Peuple à La Louvière

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Camille Vanbersy (historienne, CARHOP asbl)

Dans la mosaïque des maisons médicales fondées dans les années 1970, Médecine pour le Peuple occupe une place particulière. Comme l’a montré un premier article publié dans Dynamiques en décembre 2024[1], ces maisons médicales s’implantent dans des localités industrielles où, initiées par des médecins communistes, elles dispensent des soins gratuits à des populations précarisées et défendent collectivement des travailleurs et travailleuses frappés de maladies professionnelles. Bientôt ralliées au Parti du travail de Belgique (PTB-PvdA), elles remettent profondément en cause la médecine privée et subissent de graves sanctions de la part de l’Ordre des médecins. Initiée en Flandre, Médecine pour le Peuple s’est étendue en Wallonie et à Bruxelles, avec les maisons médicales de Schaerbeek (1992), Marcinelle (1996), Molenbeek (1998) et enfin La Louvière en 1999.

C’est sur cette « jeune » Maison médicale logée au cœur de la cité des Loups que porte cet article, qui montre comment le projet politique de Médecine pour le Peuple prend forme sur le terrain, y compris dans son opposition à l’Ordre des médecins. Pour identifier ses spécificités et ses enjeux, nous avons rencontré les médecins Jan Harm Keijzer et Elisa Munoz Gomez[2]. Jan Harm Keijzer est le fondateur de la Maison médicale. Avant d’emménager dans la région du Centre, il a travaillé plusieurs années à Haïti puis a exercé pendant huit ans à la Maison médicale de Médecine pour le Peuple de Lommel. Originaire de Bruxelles, Elisa Munoz Gomez a débuté sa carrière à la Maison médicale de Médecine pour le Peuple de Marcinelle. Depuis quatre ans, elle est responsable de la Maison médicale de La Louvière.

La création de la Maison médicale de La Louvière

En 1999, pour répondre aux besoins des ouvriers et ouvrières des industries louviéroises et leur proposer une médecine gratuite, le PTB demande à Jan Harm Keijzer d’ouvrir une nouvelle maison médicale à La Louvière. Il l’établit dans l’ancienne salle de boxe du café Le Ring situé à la rue de Bouvy, à deux pas du centre-ville, dans un bâtiment vétuste et trop étroit qui sera rénové à plusieurs reprises pour répondre à ses nouvelles fonctions. À l’origine, la consultation comptait un seul médecin mais aujourd’hui, la Maison médicale comprend trois cabinets de consultation pour la médecine générale, les soins infirmiers et les consultations psychologiques, ainsi qu’une salle des fêtes pour des activités communautaires. Cinq médecins, deux infirmières, un psychologue, trois accueillantes et une technicienne de surface s’y activent, et des patient.e.s bénévoles viennent aussi en appui, s’occupant du courrier, de la mise en ordre hebdomadaire des stocks de médicaments, de réparations au bâtiment, etc. Bien que la Maison médicale dépende du PTB, les membres de l’équipe n’y sont pas tous affiliés mais, comme l’explique Jan Harm Keijzer, tous et toutes ont :

« en eux, cette fibre sociale et solidaire (…), le refus de l’injustice [et la volonté] de s’engager pour améliorer la situation et apporter une autre manière de soigner »[3].

Un café se transforme en Maison médicale : évolution de la façade depuis 1999 (coll. Médecine pour le Peuple, La Louvière).

Les conflits avec l’Ordre des médecins

Dès l’ouverture de la Maison médicale, les problèmes débutent avec l’Ordre des médecins qui accuse depuis les années 1970 les maisons médicales de concurrence déloyale envers les praticiens privés. La fête d’inauguration de la Maison louviéroise est ainsi assimilée à de la publicité illégale et l’Ordre des médecins, selon une tactique éprouvée depuis de longues années contre d’autres praticiens, assigne devant sa chambre disciplinaire, puis devant les tribunaux, les médecins louviérois accusés de pratiquer une médecine gratuite.

Les médecins sont condamnés, mais reçoivent un beau soutien de leur patientèle. Des pétitions sont lancées et des autobus sont affrétés pour les soutenir en nombre lors de leurs convocations devant l’Ordre des médecins et les tribunaux. La patientèle se mobilise aussi pour faire barrage aux saisies de biens. Jan Harm Keijzer se souvient :

« il y avait ici, à l’accueil, une accueillante bénévole âgée de 76 ans à ce moment-là, et sur ses deux béquilles, elle a dit « il faudra me passer sur le corps pour entrer » »[4].

Des barricades d’objets et de meubles sont dressées pour s’opposer aux saisies des huissiers de justice. La Maison médicale peut également compter sur le soutien des syndicats louviérois :

« On a été reçu à la réunion du SETCA ici à La Louvière, et ils nous ont promis qu’au moindre problème, on pouvait faire appel à eux et qu’ils étaient prêts à se mobiliser immédiatement pour empêcher toute prise de meubles et cela, c’est très impressionnant, car on sent toute la force des syndicats »[5].

Aujourd’hui les relations avec l’Ordre des médecins se sont apaisées et la Maison médicale peut se concentrer sur ses missions premières : soigner la patientèle.

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