« S’englaiser » à Marchienne-Docherie : d’une boutique populaire à une Maison médicale

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Julien Tondeur (historien, CARHOP asbl)

Introduction

En 1975, de jeunes étudiant.e.s en médecine imprégné.e.s de l’idéal post-1968 et de ses luttes sociales, s’installent au cœur du quartier populaire et industriel de Marchienne-Docherie dans la région de Charleroi. Ils y ouvrent la Boutique populaire La Glaise, bientôt un point névralgique du quartier, aux activités sociales aussi diverses que foisonnantes : consultations médicales bien sûr, mais aussi consultations psychologiques, boutique de droit, animations de jeunes, point d’information de quartier, soutien aux populations immigrées, etc. S’appuyant sur les références théoriques et pratiques que sont le Mouvement d’animation de base (MAB) et la pédagogie de Paulo Freire, cette Boutique populaire donne naissance quelques années plus tard à la Maison médicale La Glaise, toujours active aujourd’hui.

Cet article revient sur cette histoire riche, variée et engagée, qui souffle bientôt ses 50 bougies, en mettant l’accent sur l’ancrage militant des jeunes médecins à l’origine de la Maison médicale, leur projet politique, leurs références théoriques et leurs méthodes pour soigner, conscientiser et émanciper des habitant.e.s d’un quartier ouvrier en proie à la désindustrialisation. Outre des articles de revue et quelques documents d’archives de la Fédération des maisons médicales (FMM), trois témoignages ont servi à sa rédaction : Jacques Charles, Monique Boulad et Thérèse Delattre ont accepté de se prêter au jeu de l’interview[1]. Leurs souvenirs forment l’ossature de ce texte.

Des pionnier.e.s ancré.e.s dans l’idéal post-1968

L’histoire de la Maison médicale La Glaise s’inscrit dans une dynamique de transformation sociale initiée à la suite des années 1960 et des événements de Mai 1968 en particulier. La médecine, comme de nombreux secteurs professionnels, est alors traversée par une remise en question profonde des modèles établis[2]. L’univers de la santé des années 1960 est dominé par un puissant courant de médecins conservateurs. En 1964, prenant le contrepied de ce dernier, un groupe de médecins hospitaliers progressistes met sur pied le Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM), un collectif qui porte une conception radicalement différente des soins de santé[3]. Inspiré.e.s par les critiques formulées par des collectifs tels que le GERM, de jeunes médecins et militant.e.s réfléchissent à une pratique médicale alternative, en rupture avec l’exercice libéral traditionnel de la médecine et plus proche des réalités des populations marginalisées​​.

C’est dans ce contexte que Xavier Rousseaux et Jacques Charles, jeunes étudiants carolorégiens à la faculté de médecine de Louvain, affinent, lors de leurs contacts avec le GERM, leur réflexion sur les pratiques de santé en médecine générale et développent un intérêt pour les maisons médicales. Après avoir étudié les initiatives existantes à Tournai, Molenbeek et Seraing, ils ressortent convaincus de l’importance de tenter l’expérience à Charleroi, dans le quartier de Marchienne-Docherie qui cumule les facteurs d’exclusion et de pauvreté et dans lequel la densité médicale est très faible. En 1974, ils s’installent dans le quartier afin d’en analyser plus précisément les besoins.

La Docherie, une colline entourée de terrils

Marchienne-Docherie, souvent abrégé en La Docherie ou plus familièrement « La Doche », est un quartier de Marchienne-au-Pont, une des 15 sections de la ville de Charleroi. Situé en périphérie, il s’inscrit dans la longue tradition industrielle de la région, marquée par l’exploitation du charbon, de la sidérurgie et du verre. Le hameau se peuple à partir de 1840, en parallèle au développement industriel et des puits d’extraction miniers qui s’ouvrent sur son espace. En 1853, 721 habitant.e.s y sont recensé.e.s alors qu’en 1893 il y en a plus de 6 000, démontrant la grande attractivité de la région[4]. À partir des années 1950, la crise industrielle s’installe. La fermeture des charbonnages et la restructuration des industries métallurgiques entraînent un effondrement de l’emploi et une paupérisation croissante de la population. Dans les années 1970 et 1980, ce phénomène s’accélère, laissant place à un paysage urbain marqué par la désindustrialisation, le chômage massif et l’exode des familles les plus aisées. Le quartier se transforme en un territoire fragilisé, où l’accès aux services de base se complique, notamment en matière de santé et de protection sociale.

Terrils et usines désaffectées à Marchienne-Docherie (Maison médicale La Glaise).

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Agir pour le bien-être mental d’hommes précarisés : un projet de l’Entr’aide des Marolles à Bruxelles

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Claudine Marissal (historienne, CARHOP asbl)

Introduction

Dans le dernier numéro de Dynamiques consacré aux maisons médicales, nous avons relaté la création et les premières années de vie de l’Entraide des travailleuses, un centre médico-social fondé en 1925 dans le quartier populaire des Marolles à Bruxelles. Dès 1931, cette association commence à prodiguer des soins médicaux pluridisciplinaires, à la fois préventifs et curatifs, à des milliers de familles précarisées, tandis que son service social travaille à l’amélioration de leurs conditions de vie[1]. Dans ce premier récit, nous avons montré l’ancrage ancien de la médecine sociale. Nous l’avons arrêté au seuil des années 1970, quand une nouvelle génération de maisons médicales s’apprête à reformuler les conceptions sociales de la médecine. L’histoire de l’Entr’aide ne s’arrête pas pour autant, mais elle s’adapte à un contexte renouvelé. En 2004, elle opte même pour un nouveau nom, Entr’aide des Marolles, qui efface son origine féminine.

L’Entr’aide des Marolles est située rue des Tanneurs, en plein cœur de Bruxelles (coll. Entr’aide des Marolles).

Dans cet article, nous revenons brièvement sur l’évolution de l’Entr’aide des années 1970 à nos jours. Ensuite, parmi toutes les possibilités qui s’offrent à nous – car l’histoire de cette association est riche –, nous choisissons de mettre en exergue un projet initié en 2005, les Hommes des Marolles, qui vise l’amélioration du bien-être mental d’hommes isolés et précarisés. Ce projet est intéressant à plus d’un titre. Il correspond aux actions de santé communautaire développées en maisons médicales qui, conformément à la Déclaration d’Alma-Ata de l’Organisation mondiale de la santé (URSS, 1978), visent à la fois le bien-être physique, mental et social, car la santé est « un état de complet bien-être et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité »[2]. Le projet Hommes des Marolles montre aussi, au seuil du 21e siècle, l’émergence d’une nouvelle attention au genre dans les pratiques médico-sociales, auquel les théoricien.ne.s et les pédagogues du travail social commencent seulement à s’intéresser[3]. Enfin, ce projet est aussi original parce qu’il vise spécifiquement des hommes éloignés des dispositifs sociaux. Il indique également la réactivité précoce du monde associatif à une nouvelle préoccupation du secteur social, et son aptitude à imaginer des pratiques en phase avec les besoins des bénéficiaires.

L’évolution organisationnelle de l’Entr’aide en quelques mots

En 1974, la fondatrice et cheville ouvrière de l’Entr’aide des travailleuses, Thérèse Robyns de Schnedauer, décède. Si sa mémoire reste longtemps très présente dans l’association, son décès mène au changement. Dans ses nouveaux statuts publiés en 1974, l’Entr’aide redéfinit ses objectifs. Elle vise désormais « un travail psycho-médicosocial par la création de consultations spécialisées (…) et une action individualisée en vue d’informer et d’éduquer les membres des familles, aussi bien les parents que les enfants, tant au niveau conjugal que parental »[4]. La dimension moralisatrice n’est plus énoncée et, dans un contexte de dépilarisation de la société qui atténue fortement les sentiments d’appartenance à un pilier philosophique[5], les références à l’apostolat chrétien s’effacent également.

L’Entr’aide des Marolles, une maison qui offre différents services médico-sociaux (coll. Entr’aide des Marolles).

L’Entr’aide s’adapte aussi à l’évolution des sources de financement. À l’origine, elle reposait surtout sur les investissements bénévoles et les dons privés. Même si l’éclatement des subsides complique la cohésion de ses activités pluridisciplinaires[6], l’association ne cesse ensuite de saisir les opportunités de financement des autorités publiques pour consolider son assise, une tactique pragmatique toujours d’actualité. Aujourd’hui, elle abrite des consultations pour femmes enceintes et jeunes enfants de l’Office de la naissance et de l’enfance, son service social est l’un des neuf Centres d’action sociale globale bruxellois agréés par la Commission communautaire française (CASG, depuis 1997), ses services médicaux sont devenus Maison médicale (depuis 2011) et son Service d’aide psychologique, Service de santé mentale (depuis 2024). Elle organise aussi des cours d’alphabétisation pour les adultes, notamment pour les personnes primo-arrivantes. En 2025, ce sont près de 90 personnes – médecins, infirmières, kinésithérapeutes, travailleuses et travailleurs sociaux, psychologues, formateurs et formatrices, personnel administratif et d’entretien, accueillant.es, etc., femmes et hommes, rémunérés ou bénévoles – qui s’y activent[7].

Soigner des femmes et des hommes précarisés, belges et immigrés

Dans les années 1970, le Groupe d’étude pour la réforme de la médecine (GERM), qui conteste la médecine traditionnelle et nourrit la nouvelle génération des maisons médicales, souligne l’impact de la condition sociale sur la santé et l’accès aux soins médicaux. Il s’intéresse aux personnes du quart-monde[8] et aux personnes migrantes[9] qui souffrent de privations multiples. Réactif à la nouvelle vague féministe qui dénonce les inégalités basées sur le sexe, il s’intéresse aussi à l’impact du genre sur l’accès des femmes aux soins médicaux[10]. Dès les années 1980, ces points d’attention sont repris par la nouvelle Fédération des maisons médicales. L’Entr’aide des travailleuses, qui dispense depuis des décennies des soins à des populations précarisées, s’inscrit dans cette évolution. Des personnes immigrées sont en effet nombreuses à venir s’établir dans le quartier des Marolles et dès les années 1980, l’Entr’aide constate que ses bénéficiaires sont pour moitié des personnes du quart-monde belge, et pour l’autre moitié des personnes immigrées principalement originaires du Maghreb[11]. Belges et immigré.e.s cumulent des difficultés similaires (problèmes administratifs, financiers ou de logement), mais les immigré.e.s souffrent en outre de problèmes spécifiques liés à l’exil.

L’Entr’aide s’adapte aux nouveaux profils de ses bénéficiaires. Ses travailleuses sociales se forment à la multiculturalité et de nouvelles activités d’autonomisation et d’intégration sociale sont organisées (cours d’alphabétisation, de calcul, de gymnastique ou de cuisine). Au tournant des années 1990, l’association commence à organiser des activités pour le bien-être des femmes, en particulier celui des femmes immigrées. Elle constate en effet que les confusions d’identité qui résultent de l’exil, les conflits de génération, les mariages arrangés, la violence conjugale ou les désirs d’émancipation, provoquent de graves souffrances qui altèrent leur santé mentale[12]. En 2002, un groupe Bien-être est mis sur pied à l’initiative de l’équipe médicale. Une infirmière, des travailleuses sociales et des kinés proposent aux femmes d’une quinzaine de nationalités, diverses activités pour briser leur solitude, échanger, connaître et activer leur corps et améliorer leur santé physique, sociale et mentale[13]. Ce groupe existe toujours aujourd’hui.

Extrait du Rapport du Service d’aide psychologique de l’Entraide, 2011[14].

« Nous observons un nombre accru de personnes en souffrance qui vivent dans une précarité multiple (sociale, financière, professionnelle, logement, droit de séjour, …). Ces personnes, ces familles, qu’elles soient belges ou étrangères, n’arrivent plus à vivre de façon décente et se retrouvent progressivement dans un processus d’exclusion. Le nombre de personnes qui souffrent de troubles psychiatriques lourds est également en augmentation, souvent en relation avec un phénomène d’exclusion sociale, une rupture de liens ou une insécurité administrative ».

L’Entr’aide ne porte pas seulement attention à la souffrance des femmes. Dans les années 2000, elle constate une précarisation croissante de ses bénéficiaires masculins, certains vivant même dans l’errance. Elle souligne « devoir gérer des situations de plus en plus complexes, liées au contexte de précarité rencontré par les sans-abris, les migrants, les clandestins, les primo-arrivants, etc. »[15]. C’est dans ce contexte que le groupe Hommes des Marolles est créé.

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Les Arsouilles, une maison médicale de quartier

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Edith Lepage (Étudiante en master en Histoire, UCL)

« Ma motivation quand j’ai choisi la médecine générale, c’était d’accompagner les personnes que j’allais soigner dans une meilleure maîtrise de leur santé ».
Françoise Laboureur

« La sensation qu’ont les gens d’avoir prise sur leur existence et de partager leurs préoccupations avec les voisins, ça a un effet extrêmement bénéfique. C’est là qu’on voit le lien avec la santé des habitants ».
Pierre Brasseur.

Le modèle des maisons médicales nait à la fin des années 1960 dans le but de proposer une alternative au modèle des soins de santé de l’époque. Les maisons médicales s’opposent à « l’hospitalocentrisme »[1] alors en vogue, et souhaitent offrir une meilleure accessibilité aux soins de santé primaires. Au niveau international, la conférence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1978 à Alma Ata met également en avant cet objectif en invitant les différents pays participants à mettre en place les structures nécessaires pour y parvenir. Lors de cette conférence, la santé est définie comme un état de bien-être physique, mais également mental et social, au-delà de l’absence de maladie.[2]

Par ailleurs, la charte d’Ottawa en 1986, fait suite à la conférence d’Alma Ata. Par la charte d’Ottawa, l’OMS fonde le courant de la « promotion de la santé » en réponse au constat que l’état de santé global des populations ne s’améliore pas proportionnellement à l’amélioration de l’offre et de la qualité des soins. Et ce, d’autant moins que l’on se retrouve bas dans l’échelle sociale. Il faut agir sur d’autres causes qui déterminent la santé et échappent à l’action des dispositifs médicaux et des actions de santé publique. La charte d’Ottawa, en l’occurrence, va plus loin et prévoit la « participation des citoyens à l’élaboration et la mise en œuvre de différentes stratégies en vue d’atteindre une meilleure santé ». La charte propose différents moyens de participation dont l’approche communautaire. « L’action communautaire tire (…) son fondement dans l’affirmation que les problèmes sociaux sont de nature collective et qu’ils doivent faire l’objet de solutions collectives. »[3] Elle est composée de différents domaines tels que des acteurs (citoyen.ne.s, décideurs et décideuses politiques, acteurs et actrices du communautaire), des espaces d’intervention privilégiés (une population vulnérable, un quartier, etc.), des finalités (amélioration de la santé et du bien-être, prévention, développement local, etc.), des méthodes (enquêtes, analyses, etc.) et des valeurs clés (justice sociale, engagement politique, etc.).[4]

En somme, la santé communautaire apparaît comme l’outil parfaitement adapté aux méthodes et aux valeurs promues par les maisons médicales. En effet, au fur et à mesure de leur développement, les maisons médicales ont intégré des principes fondamentaux, parmi lesquels on retrouve la globalité (soigner le patient en prenant en compte l’environnement économique, social, culturel, etc.), l’intégration (c’est-à-dire le fait d’articuler l’aspect curatif et l’aspect préventif, au travers d’activités qui reprennent ces aspects au sein d’un même service, ou d’une coordination entre plusieurs services), la continuité (implique que toutes les informations pour soigner le patient soient disponibles aux personnel médical) et l’accessibilité (l’accès aux soins d’un point de vue financier, géographique, dans de bonnes conditions : aménagements, horaires, personnel d’accueil, compréhension des informations…).[5]

Pour autant, chaque maison médicale est née d’un projet et d’un constat qui lui est propre. Une maison médicale ne ressemble pas à une autre. Cet article a pour but de retracer l’histoire de la maison médicale « Les Arsouilles », à Namur, et de souligner deux de ses caractéristiques : son ancrage territorial et son travail en santé communautaire.

L’interview de Françoise Laboureur et Pierre Brasseur, médecins fondateurs de la Maison médicale, constitue la source principale de cet article. Elle est complétée par les archives de la Fédération des maisons médicales, conservées au CARHOP, la revue Feuille de chou de la Maison médicale des Arsouilles, et d’autres articles sur le sujet.

Une maison médicale en devenir

Implantée dans le quartier Saint-Nicolas à Namur, la Maison médicale Les Arsouilles est créée en 2000 et trouve son origine dans une association de plusieurs médecins généralistes et d’une psychologue, fondée cinq ans plus tôt, dont font partie Pierre Brasseur et Françoise Laboureur. L’intérêt du docteur Laboureur pour la pratique en maison médicale remonte à ses études lorsqu’elle réalise, avec deux autres étudiantes, le projet d’une maison médicale comme travail de fin d’études. Celui-ci est à l’origine de la première maison médicale de Namur à Bomel, créée en 1994. C’est dans le cadre de ce travail qu’elle rencontre le médecin Pierre Brasseur.

À l’époque, Pierre Brasseur travaille en cabinet privé, mais a également développé un intérêt pour les maisons médicales lors de ses études universitaires, dans les années 1970. Il rappelle que l’apparition des premières maisons médicales s’accompagne du développement de centres de santé mentale et plannings familiaux. Ces collectifs s’inscrivent « dans un courant alternatif face à la médecine libérale, soutenant une approche pluridisciplinaire et participative, plus à l’écoute des patients ».[6] Pierre Brasseur raconte : « Mon stage dans une maison médicale très ancrée dans son quartier a été déterminant. Ce modèle m’attirait d’emblée dès ma sortie des études de médecine. »[7]

Lorsqu’il ouvre son cabinet privé à Namur en 1985, Pierre Brasseur rêve déjà depuis longtemps de créer une maison médicale, et plus particulièrement dans le quartier Saint-Nicolas. Ce quartier, dit aussi « quartier des Arsouilles », est un quartier populaire du centre de Namur composé d’une population précarisée et multiculturelle.[8] Nombre d’associations et d’organisations sociales s’y installent également.

Depuis le début du 20e siècle, la place l’Ilon, à l’entrée du quartier Saint-Nicolas, est l’endroit où se sont implantées les organisations constitutives du Mouvement ouvrier chrétien (CSC, Mutualités chrétiennes, Vie Féminine…), ainsi que des associations du pilier chrétien (ex : Centre de formation Cardijn – CEFOC), avant que certaines ne s’implantent ailleurs.[9] S’installe également une association très importante pour le quartier, le Cinex. Celui-ci est fondé en 1923 par les œuvres paroissiales de Saint-Nicolas et est devenu la maison de quartier.[10] On peut le constater, le quartier Saint-Nicolas n’est pas exempt de vie associative, lorsque la Maison médicale apparait. Cependant, ces associations ne sont pas nécessairement dirigées vers la vie de quartier. Celles liées au MOC couvrent un territoire bien plus grand que le quartier Saint-Nicolas, et seulement quelques associations, telles que l’école de devoirs et le Cinex se préoccupent du quartier en tant que tel.

Plan du quartier Saint-Nicolas, 4 juillet 2024, XMU, Opération de redynamisation. Quartier Saint-Nicolas. Namur, 4 juillet 2024, p. 8. Copyright © 2024 Entreprise XMU.

« Il suffisait de pousser la porte », vers la création de la maison médicale

Installé depuis 1985, Pierre Brasseur occupe un cabinet au premier étage d’une maison, sur la place l’Ilon. En 1995, le Fonds du logement lui donne l’opportunité de louer un rez-de-chaussée pour créer une association de médecins dont Françoise Laboureur fait partie, avec un autre médecin généraliste et une psychologue. À l’époque, la coopérative « Fonds du logement » est propriétaire de plusieurs bâtiments qu’elle souhaite louer pour des services et non plus pour des commerces. Le Fonds du logement, dont la Ligue des familles nombreuses est le référent, s’occupe de l’octroi de crédits sociaux, de la rénovation immobilière, du soutien aux associations, etc. Les transformations du local seront aux frais de la coopérative et selon les besoins des médecins.[11] « Ils avaient déjà une intuition, qui est aussi révélée maintenant dans la lutte contre la gentrification. Il ne suffit pas de lutter contre une hausse des loyers pour que les habitants restent dans un quartier, il faut aussi des services. »[12], explique le docteur Laboureur.

L’impact des caractéristiques des nouveaux locaux surprend les médecins. Contrairement au cabinet privé du Dr. Brasseur situé au premier étage, les locaux de l’associations de médecins sont plus accessibles. Il suffit de pousser la porte pour entrer dans la salle d’attente. Ce rez-de-chaussée a permis aux habitant.e.s du quartier d’entrer directement en contact avec un médecin. Notamment, des primo-arrivants (la communauté albanaise ou bengali), mais aussi des patients envoyés par le CPAS passent le pas de la porte. Pierre Brasseur explique : « la manière dont les gens ont investi notre cabinet nous a permis de prendre conscience de la dimension sociale de notre clientèle, des barrières qu’il y avait pour qu’elle puisse s’adresser à nous et de toute une série de problématiques liées au fait d’habiter ce quartier ».[13]

Ainsi, franchir le pas vers la constitution en maison médicale apparait comme une évidence. À cette fin, l’équipe est accompagnée par la Fédération des maisons médicales qui a mis à sa disposition un travailleur pendant un an pour les aider à constituer leur dossier, en vue de recevoir l’agrément comme maison médicale. Il est approuvé par l’assemblée générale de la Fédération en 2000, la Maison médicale ouvre ses portes peu de temps après. Dès la constitution de son dossier, la maison médicale des Arsouilles a insisté sur sa spécificité : son ancrage dans le quartier.[14]Aujourd’hui elle est constituée de 23 travailleurs : médecins, kinésithérapeutes, infirmiers, assistants sociaux, accueillantes, coordinatrice et une travailleuse en santé communautaire.

Lien entre maison médicale et quartier : une spécificité des Arsouilles

« C’était un quartier de relégation »[15] explique le docteur Laboureur. Le logement n’y était pas cher, et souvent en mauvais état, de ce fait, les gens y habitaient très peu de temps et partaient dès qu’ils le pouvaient. Dès lors, la vie du quartier et l’identité de celui-ci était au point mort.[16] Afin de redynamiser le quartier Saint-Nicolas, la Maison médicale réalise divers projets en santé communautaire. La santé communautaire est une démarche qui consiste à impliquer un groupe de personnes pour qu’elles redeviennent actrices de leur santé. « Nous on y croit très fort à cette action globale car on se rend compte combien la santé psychologique est influencée favorablement par toute cette dynamique » expliquent les deux médecins. L’inclusion des habitants dans le travail de l’équipe médicale intervient à plusieurs niveaux. En 2010, les patients sont invités à donner leur avis à propos du changement de local.[17] Certains font partie de l’AG de la Maison, d’autres participent également à l’écriture de la Feuille de chou, la petite revue de la Maison médicale, etc. Celle-ci apparait en 2011 et a pour objectif de partager des conseils en matière de santé et de qualité de vie. On y retrouve des articles médicaux, mais également des appels à une marche mensuelle (devenue hebdomadaire depuis septembre 2024), des recettes de cuisine, des actualités sur le quartier et la Maison médicale, etc. Cette revue permet également à la Maison médicale de rappeler à ses usagers son fonctionnement, ses règles et ses changements. C’est un moyen de rapprocher l’équipe médicale des habitant.e.s et patient.e.s du quartier. Les habitants s’investissent petit à petit dans le quartier au travers d’autres projets communautaires tels que le P’tit Kawa, un café hebdomadaire partagé à même la rue, le potager communautaire Les Herbes folles, etc.

Inauguration du jardin des Herbes folles, Maison médicale du quartier des Arsouilles asbl, Facebook, page consultée le 27 novembre 2024.

Focus sur un projet de santé communautaire : Coquelicot

Un des premiers projets de santé communautaire de la Maison médicale est le projet Coquelicot. En 2003, la Maison médicale réalise deux constats. D’une part, l’état de santé physique des patients est très mauvais. Le nombre de patients porteurs de problématiques complexes augmente (pathologies somatiques chroniques chez des patient.e.s de plus en plus jeunes, pathologies psychiatriques, addictions, rupture de liens sociaux et familiaux, etc.).[18] D’autre part, l’état du logement est inquiétant et l’environnement urbain dans le quartier est très dégradé. Les logements sont délabrés et insalubres. Il y a une absence totale d’infrastructures urbaines telles que des aires de jeux, des poubelles, des bancs publics, etc. Tout cela participe à une sorte d’état dépressif collectif qui empêche les habitant.e.s de se soucier correctement de leur santé, observe la Maison médicale.[19]

Forte de ces constats, l’équipe médicale décide de tenter une approche plus communautaire, afin de résoudre ces différents problèmes. Dans un premier temps, elle mobilise les associations et pouvoirs publics afin de discuter de l’avenir du quartier. À sa grande surprise, quantité de monde répond à son appel. « Dans la salle du Cinex, c’était bondé (…), même la police était venue » raconte Pierre Brasseur. La situation du quartier en « intéresse donc plus d’un ». En 2005, la Maison médicale démarre le projet Logement, santé et développement quartier Saint-Nicolas financé par la Communauté française. Cela débute par une enquête longue et minutieuse auprès des habitant.e.s du quartier. L’équipe médicale se rend directement au contact de ces derniers et prend le temps de discuter avec eux du quartier, du logement, de leur état de santé, et de l’impact des premiers sur le dernier.[20]

Un premier résultat se présente. Les habitant.e.s semblent motivés à se mobiliser autour des problématiques liées à la vie sociale et associative dans le quartier. « Le fait de demander leur avis aux habitants a eu déjà un premier impact »[21], raconte Françoise Laboureur. Dans un second temps, des groupes de travail se mettent en place. Ils rassemblent des habitant.e.s, représentant.e.s d’associations et pouvoirs publics. Ils élaborent des réflexions autour de thèmes tels que l’interculturalité, le logement, le vivre ensemble, etc.[22]

Affiche informative. Intéressé par la vie de quartier ? Désireux de vous y investir ? D’avoir votre mot à dire ?, 2 octobre 2024, asbl Coquelicot, Facebook, page consultée le 27 novembre 2024.

Tout au long de ce projet, la Maison médicale tient le rôle central, dans le but de continuer à promouvoir la santé. À terme, elle souhaite prendre un rôle plus secondaire. À cette fin, et pour consolider la mobilisation naissante, il devient nécessaire de créer un organe de concertation de quartier. Cet organe sera chargé de récolter les avis et les besoins des différents acteurs du quartier Saint-Nicolas, de soutenir les projets et d’« assurer, dans la durée, l’existence de lieux d’expression et d’écoute, ainsi qu’une vigilance sur la situation globale du quartier. »[23] Par ailleurs, il est important que les habitant.e.s du quartier prennent leur place dans ce nouveau dispositif. Ils seront dès lors, représentés par un comité d’habitants. En conclusion de ce long processus, l’asbl Coquelicot (Concertation-quartier-lien-coordination) nait en 2009. Il s’agit d’une structure permettant de consulter les acteurs du quartier (habitants, associations, pouvoirs publics, maison médicale, etc.) à propos des problématiques que les habitants peuvent rencontrer et de concrétiser des actions. Par exemple, en 2023, les habitants du quartier Saint-Nicolas se sont opposés à la création d’un « hub de dépôt » (hangar de stock de marchandises) par la ville dans le quartier au travers d’une lettre destinée à la ville. Les habitant.e.s ont également obtenu la piétonnisation de la rue Ponty, au cœur du quartier et dont l’angle est occupé par l’asbl Cinex (maison de quartier).[24] La mise en place de Coquelicot permet à la Maison médicale de se recentrer sur son métier principal d’acteur de la santé tout en restant un acteur du quartier.

Maison médicale Les Arsouilles, « La rue Ponty va devenir piétonne ? Pourquoi ? Comment ? Mais d’où vient cette idée ? », Feuille de Chou. Les Arsouilles en santé, avril-mai-juin 2022, p. 7.

Un enjeu actuel : la gentrification

La question qui préoccupe la Maison médicale depuis deux ans est le problème de la gentrification dans le quartier Saint-Nicolas. La gentrification est « un processus par lequel des jeunes ménages rachètent et réhabilitent d’anciens bâtiments dans des quartiers populaires ».[25] Cela s’illustre par l’opération de redynamisation du quartier Saint-Nicolas. Celle-ci s’inscrit dans une remise à neuf de la ville de Namur au travers des différents travaux (extension du piétonnier, rénovation de la salle de spectacle Grand manège, construction du palais de justice, etc.). À présent on parle du quartier Saint-Nicolas comme un quartier « plein de potentiel ».[26] Les loyers sont de plus en plus élevés, obligeant une partie des habitant.e.s à quitter leur logement, et une nouvelle population plus aisée s’installe dans le quartier. Par ailleurs, la spéculation immobilière, qui ne vise pas nécessairement à réhabiliter les logements et à y loger des personnes, soutient cette gentrification. « Il y a une dimension de perte de maitrise et de peur » de la part des habitant.e.s.[27] C’est pourquoi la Maison médicale mène des campagne d’affichage afin de sensibiliser la population à la question. Ces affiches sont réalisées dans le cadre d’activités en santé communautaire lors d’un atelier de sérigraphie.

L’équipe organise également des conférences, notamment avec Mathieu Van Criekingen, géographe à l’ULB, ainsi qu’une conférence gesticulée avec Sarah De Laet sur le thème de la spéculation, afin que les habitants comprennent et puissent poser leurs questions relatives à cette problématique. La Maison médicale et les habitant.e.s sont pleinement acteurs de cette lutte et interpellent la commune, ainsi que le CPAS qui possède une série de bâtiments dans la rue. Cette implication des habitant.e.s vise à établir une pression sur les pouvoirs publics pour les sensibiliser à générer une action de leur part.[28]

Gentrification. Quartier en lutte. Zone à risque… de gentrification !, (Winandy N., “Le quartier Saint-Nicolas à Namur …”).

Conclusion

« La santé communautaire se distingue par un rapport au social marqué par la participation et l’insertion dans une démarche de développement » expliquent les auteurs de l’étude de 2012 sur la notion de « santé communautaire » et « santé publique ».[29] Le but est de permettre aux individus de prendre conscience de leur capacité à « faire face aux situations difficiles, clé pour le maintien de la santé mentale ». Ceci caractérise une des missions que la Maison médicale Les Arsouilles s’est donnée en s’installant dans le quartier Saint-Nicolas. En effet, Pierre Brasseur explique qu’une dynamique de démocratie directe est enclenchée dans le quartier depuis plusieurs années. La mise en place d’une dynamique de santé communautaire dans le quartier a permis aux habitant.e.s de se sentir écoutés et de réaliser ce qu’ils étaient capables de faire.

Cette évolution vers une démocratie directe et une activité intense de quartier sont assez spécifiques au quartier Saint-Nicolas, la Maison médicale et, surtout, l’asbl Coquelicot étant d’ailleurs souvent citées en exemple.[30] Cependant, cette participation des habitants à la vie de leur quartier a également le revers de sa médaille. Le docteur Brasseur explique qu’on sent également qu’une telle vie de quartier pourrait déplaire dans les administrations et les lieux de décisions politiques. Le hub n’est pas le seul point auquel les habitants se sont opposés. Les habitants se mobilisent régulièrement en faveur ou en opposition de projets défendus par la ville et ayant un impact sur le quartier. « Je trouve qu’il y a un vrai enjeu là, on a enclenché quelque chose et il faut que les gens continuent de s’en emparer et que ça continue de se structurer. »[31], explique Pierre Brasseur. Il continue en disant « Il faut aussi que ce soit entendu par les autorités communales ».[32]

On le voit, l’action de la Maison médicale des Arsouilles dépasse de loin l’acte médical. L’équipe se place dans une approche globale qui prend en compte la santé physique et mentale des habitants, mais également leur environnement économique, social et de logement. En effet, se préoccuper de l’habitat et de la santé psychologique des habitants permet à ceux-ci de retrouver un lien social. Françoise Laboureur résume ainsi « Ça aide les gens aussi à mieux se soigner, parce que quand on retrouve du lien social on retrouve du goût à la vie. ça aide à prendre soin de soi. »[33]

Maison médicale Les Arsouilles, « Venez comme vous êtes ! Notre Maison médicale souhaite accueillir tout le monde sans discrimination », Feuille de Chou. Les Arsouilles en santé, juillet-décembre 2024, p. 13.

Notes

[1] « L’hospitalocentrisme » est un système dans lequel l’hôpital occupe la place centrale dans l’organisation des soins de santé. Cela signifie qu’il s’occupe également des soins de première ligne, fonction normalement exercée par les médecins généralistes. Cette organisation des soins de santé se développe au cours des années 1960, lorsque les technologies médicales (imagerie médicale, etc.) et les connaissances en maladies infectieuses se développent. Mais l’hospitalocentrisme tend à « déshumaniser les rapports entre patients et médecins » et à disperser les savoirs médicaux au travers de la spécialisation « à outrance » des soignants. Le développement des maladies chroniques (cancer, dépression, diabète, etc.) remet en cause le système de soins centré sur l’hôpital pour redonner une place au médecin généraliste. L’opposition à l’hospitalocentrisme est une des positions défendues par la Fédération des maisons médicales. Hendrick A. et Moreau J-L., De A à Z. Histoire(s) du mouvement des maisons médicales, Bruxelles, Hayez, 2022, p. 55.
[2] Fettuci D., « Parcours d’une intégration », Magazine C4, n°230, octobre 2017, p. 10. ; Motamed S., « Qu’est- ce que la santé communautaire ? Un exemple d’une approche participative et multisectorielle dans une commune du Canton de Genève, en Suisse », L’Information psychiatrie, vol. 91, n° 7, 2015, p. 563. ; OMS Déclaration d’Alma Ata, Organisation mondiale de la Santé. Bureau régional de l’Europe, 1978, Déclaration d’Alma-Ata, page consultée le 23 novembre 2024.
[3] Morel J., « L’approche communautaire de la santé : une des stratégies d’intervention sur les déterminants socio-économiques », Santé communautaire, n° 40, avril 2007, p. 75-76.
[4] Jourdan D., O’Neil M., Dupéré S. et Stirling J., « Quarante ans après, où en est la santé communautaire ? », Santé publique, vol. 24, n° 2, p. 166-169.
[5] Roland M., et Mormont M., « 1945-1990 : maisons médicales, semailles et germination », Politique, n° 101, septembre 2017, mise en ligne le 22 décembre 2022, 1945-1990 : maisons médicales, semailles et germination – Politique , page consultée le 12 octobre 2024.
[6] Delperdange L., « Corps non soumis », Secouez-vous les idées, Juin/Juillet/Août 2019, CESEP asbl, Nivelles, p. 19. ; Fettuci D., « Parcours … », p. 8-10.
[7] Delperdange L., « Corps … », p. 19.
[8] Carhop, « Interview Françoise Laboureur et Pierre Brasseur » par Edith Lepage et François Welter, 14 octobre 2024 ; Corbeau N., « Au cœur de l’ancien quartier des Tanneurs L’hôtel « Les Tanneurs de Namur » a conservé l’âme des tanneries, malgré une vraie rénovation Namur à la Belle Epoque », Le Soir, mise en ligne le 7 août 2003, https://www.lesoir.be/art/au-coeur-de-l-ancien-quartier-des-tanneurs-l-hotel-les-_t-20030807-Z0NE92.html, page consultée le 20 octobre 2024. Cependant, le quartier, dit aussi quartier des Arsouilles, connaît une vie de folklore développée, notamment lors des fêtes de Wallonie pendant lesquelles on enterre « l’Arsouille », c’est-à-dire la « petite canaille », qui marque la fin des festivités. Comité central de Wallonie, Quartier des Arsouilles, https://www.fetesdewallonie.be/quartier/quartier-des-arsouilles/, page consultée le 23 octobre 2024.
[9] Dresse R., L’Ilon : histoire du Mouvement ouvrier chrétien à Namur (1850-1980), Namur, Carhop, 2004, p. 52-184.
[10] Fobe G., « Namur : le Cinex fête ses 100 ans », RTBF, mis en ligne le 6 novembre 2023, https://www.rtbf.be/article/namur-le-cinex-fete-ses-100-ans-11282516, page consultée le 30 octobre 2024.
[11] Fonds du logement de Wallonie, Les régies des quartiers, https://www.flw.be/associations-regiesdesquartiers/, page consultée le 09 octobre 2024.
[12] Carhop, « Interview Françoise Laboureur et Pierre Brasseur » par Edith Lepage et François Welter, 14 octobre 2024.
[13] Ibidem.
[14] Ibidem.
[15] Ibidem.
[16] Ibidem.
[17] Carhop, fonds de la Fédération des maisons médicales, n° 291, Dossier concernant la mise en œuvre de la réforme relative aux associations de santé intégrée (décret ASI). Plans d’action déposés par les maisons médicales, Les Arsouilles (Namur), 2010-2012, p. 12.
[18] CARHOP, fonds de la Fédération des maisons médicales, n° 291, Dossier concernant la mise en œuvre de la réforme relative aux associations de santé intégrée… p. 7 ; Mormont, M., « Les Arsouilles : de la santé communautaire à la cohésion sociale », Alter Echos, n° 297, mis en ligne le 19 juin 2010, Les Arsouilles : de la santé communautaire à la cohésion sociale – Alter Echos, page consultée le 10 octobre 2024.
[19] Baudot E., Brasseur, P. et Delvaux M., « La santé communautaire, un long fleuve tranquille ? Développement d’une dynamique de quartier », Santé conjugée, n°49, juillet 2009, p.67.
[20] Carhop, « Interview Françoise Laboureur et Pierre Brasseur » par Edith Lepage et François Welter, 14 octobre 2024.
[21] Ibidem.
[22] Baudot E., Brasseur, P. et Delvaux M., « La santé communautaire … », p. 68.
[23] Ibidem.
[24] Ovyn E. « La rue Ponty va devenir piétonne ? Pourquoi ? Comment ? Mais d’où vient cette idée ? » Feuille de chou, des Arsouilles en santé, avril-mai-juin 2022, p. 7-9.
[25] Winandy N., « Le quartier Saint-Nicolas à Namur – Gentrification et Résistance citoyenne », Action Vivre ensemble, mis en ligne le 27 février 2024, Le quartier Saint-Nicolas à Namur – Gentrification et Résistance citoyenne – Action Vivre Ensemble, page consultée le 12 octobre 2024.
[26] Carhop, « Interview Françoise Laboureur et Pierre Brasseur » par Edith Lepage et François Welter, 14 octobre 2024.
[27] Ibidem.
[28]Ibidem.
[29] Jourdan D., O’Neil M., Dupéré S. et Stirling J., « Quarante ans après … », p. 165-178.
[30] Carhop, « Interview Françoise Laboureur et Pierre Brasseur » par Edith Lepage et François Welter, 14 octobre 2024.
[31] Ibidem.
[32] Ibidem.
[33] Ibidem.

Lepage E., « Les Arsouilles , une maison médicale de quartier », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n° 26 : Les maisons médicales, le droit à la santé pour tous et toutes !, mai 2025, mis en ligne le 28 mai 2025, https://www.carhop.be/revuecarhop/

Soigner et défendre les droits de la patientèle : la Maison médicale de Médecine pour le Peuple à La Louvière

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Camille Vanbersy (historienne, CARHOP asbl)

Dans la mosaïque des maisons médicales fondées dans les années 1970, Médecine pour le Peuple occupe une place particulière. Comme l’a montré un premier article publié dans Dynamiques en décembre 2024[1], ces maisons médicales s’implantent dans des localités industrielles où, initiées par des médecins communistes, elles dispensent des soins gratuits à des populations précarisées et défendent collectivement des travailleurs et travailleuses frappés de maladies professionnelles. Bientôt ralliées au Parti du travail de Belgique (PTB-PvdA), elles remettent profondément en cause la médecine privée et subissent de graves sanctions de la part de l’Ordre des médecins. Initiée en Flandre, Médecine pour le Peuple s’est étendue en Wallonie et à Bruxelles, avec les maisons médicales de Schaerbeek (1992), Marcinelle (1996), Molenbeek (1998) et enfin La Louvière en 1999.

C’est sur cette « jeune » Maison médicale logée au cœur de la cité des Loups que porte cet article, qui montre comment le projet politique de Médecine pour le Peuple prend forme sur le terrain, y compris dans son opposition à l’Ordre des médecins. Pour identifier ses spécificités et ses enjeux, nous avons rencontré les médecins Jan Harm Keijzer et Elisa Munoz Gomez[2]. Jan Harm Keijzer est le fondateur de la Maison médicale. Avant d’emménager dans la région du Centre, il a travaillé plusieurs années à Haïti puis a exercé pendant huit ans à la Maison médicale de Médecine pour le Peuple de Lommel. Originaire de Bruxelles, Elisa Munoz Gomez a débuté sa carrière à la Maison médicale de Médecine pour le Peuple de Marcinelle. Depuis quatre ans, elle est responsable de la Maison médicale de La Louvière.

La création de la Maison médicale de La Louvière

En 1999, pour répondre aux besoins des ouvriers et ouvrières des industries louviéroises et leur proposer une médecine gratuite, le PTB demande à Jan Harm Keijzer d’ouvrir une nouvelle maison médicale à La Louvière. Il l’établit dans l’ancienne salle de boxe du café Le Ring situé à la rue de Bouvy, à deux pas du centre-ville, dans un bâtiment vétuste et trop étroit qui sera rénové à plusieurs reprises pour répondre à ses nouvelles fonctions. À l’origine, la consultation comptait un seul médecin mais aujourd’hui, la Maison médicale comprend trois cabinets de consultation pour la médecine générale, les soins infirmiers et les consultations psychologiques, ainsi qu’une salle des fêtes pour des activités communautaires. Cinq médecins, deux infirmières, un psychologue, trois accueillantes et une technicienne de surface s’y activent, et des patient.e.s bénévoles viennent aussi en appui, s’occupant du courrier, de la mise en ordre hebdomadaire des stocks de médicaments, de réparations au bâtiment, etc. Bien que la Maison médicale dépende du PTB, les membres de l’équipe n’y sont pas tous affiliés mais, comme l’explique Jan Harm Keijzer, tous et toutes ont :

« en eux, cette fibre sociale et solidaire (…), le refus de l’injustice [et la volonté] de s’engager pour améliorer la situation et apporter une autre manière de soigner »[3].

Un café se transforme en Maison médicale : évolution de la façade depuis 1999 (coll. Médecine pour le Peuple, La Louvière).

Les conflits avec l’Ordre des médecins

Dès l’ouverture de la Maison médicale, les problèmes débutent avec l’Ordre des médecins qui accuse depuis les années 1970 les maisons médicales de concurrence déloyale envers les praticiens privés. La fête d’inauguration de la Maison louviéroise est ainsi assimilée à de la publicité illégale et l’Ordre des médecins, selon une tactique éprouvée depuis de longues années contre d’autres praticiens, assigne devant sa chambre disciplinaire, puis devant les tribunaux, les médecins louviérois accusés de pratiquer une médecine gratuite.

Les médecins sont condamnés, mais reçoivent un beau soutien de leur patientèle. Des pétitions sont lancées et des autobus sont affrétés pour les soutenir en nombre lors de leurs convocations devant l’Ordre des médecins et les tribunaux. La patientèle se mobilise aussi pour faire barrage aux saisies de biens. Jan Harm Keijzer se souvient :

« il y avait ici, à l’accueil, une accueillante bénévole âgée de 76 ans à ce moment-là, et sur ses deux béquilles, elle a dit « il faudra me passer sur le corps pour entrer » »[4].

Des barricades d’objets et de meubles sont dressées pour s’opposer aux saisies des huissiers de justice. La Maison médicale peut également compter sur le soutien des syndicats louviérois :

« On a été reçu à la réunion du SETCA ici à La Louvière, et ils nous ont promis qu’au moindre problème, on pouvait faire appel à eux et qu’ils étaient prêts à se mobiliser immédiatement pour empêcher toute prise de meubles et cela, c’est très impressionnant, car on sent toute la force des syndicats »[5].

Aujourd’hui les relations avec l’Ordre des médecins se sont apaisées et la Maison médicale peut se concentrer sur ses missions premières : soigner la patientèle.

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