Aperçu historique de la conquête d’un temps de formation et l’Institut Supérieur de Culture Ouvrière

PDF

BALKICH Abdelkarim (Étudiant, ISCO-CNE)
LECHANTEUR Arnaud (Étudiant, ISCO-CNE)
OUAHABI Samira (Étudiante, ISCO-CNE)

Qu’est-ce que l’Institut Supérieur de Culture Ouvrière ? À quels enjeux répond-t-il et pourquoi est-il créé en 1962 ? Quelle est sa place dans l’histoire belge et plus particulièrement dans celle du mouvement ouvrier ?

Si l’éducation populaire est absente dans la description des deux précédents sujets, elle n’en est pas moins l’une des composantes. Ainsi, Jean-Baptiste Godin déclare, dans son livre « Solutions sociales », que « Ce qu’il faut découvrir c’est l’éducation et l’instruction démocratiques ; c’est l’éducation et l’instruction pour tous les enfants du peuple, sans exception ; c’est la culture intégrale de l’esprit humain par la culture intégrale de l’espèce tout entière ; c’est enfin l’éducation et l’instruction conduisant tous les hommes à la vie utile et productive qu’il faut réaliser. ». Selon lui, l’instruction individuelle permet l’édification du bon travailleur et est donc nécessaire à la bonification collective. Du côté du mouvement ouvrier belge, l’éducation des travailleurs est vue comme un outil d’émancipation. Avec les émeutes de 1886, cette question prend de plus en plus place aux centres des réflexions. Elle fait l’objet d’importants débats méthodologiques sur le fait de porter ou d’apporter une éducation aux travailleurs et aux travailleuses. Ses actions en faveur de l’éducation populaire sont longtemps accompagnées de revendications sur la diminution du temps de travail, et donc sur l’augmentation de temps disponible pour la connaissance et la culture.

Pour ce sujet, les trois auteur.e.s travaillent en deux temps. D’une part, ils et elle se concentrent sur l’histoire de l’Institut et, d’autre part, ils et elle analysent des enjeux historiques plus globaux dans lesquels il s’inscrit. C’est donc un sujet historique à deux vitesses qui est proposé. Un temps long qui détaille l’évolution de l’éducation populaire et permanente en Belgique, et un temps court qui apporte une description institutionnelle. Pour finir, ils et elle proposent une conclusion sur les enjeux démocratiques de la formation des travailleurs. Voici le fruit de leurs recherches et réflexions.

Amélie Roucloux, formatrice

Historique de l’Institut Supérieur de Culture Ouvrière

La formation des travailleurs et des travailleuses est un enjeu démocratique qui évolue avec le contexte historique dans lequel elle s’inscrit. La signature du Pacte social en 1944 marque un tournant dans l’histoire de l’éducation populaire belge. À ce moment-là, représentants du patronat et représentants des travailleurs institutionnalisent les relations collectives en Belgique. À la volonté d’émancipation collective des travailleurs s’ajoute celle de former des interlocuteurs sociaux capables de négocier dans les organes de discussion paritaire. La création de l’Institut est le fruit de cette évolution.

Les enjeux démocratiques

Au XIXe siècle,

Les conditions de vie et de travail sont très dures pour les ouvriers et leurs familles. Les journées de travail sont longues, de 10 à 12 heures, les salaires ne permettent pas d’avoir des conditions de vie décentes, les ateliers et les logements sont insalubres et il n’existe pas de droit à des jours fériés réguliers. Cette situation crée des tensions sociales qui atteignent leur paroxysme en mars 1886.Le mouvement ouvrier belge revendique des avancées sociales et politiques pour les travailleurs et les travailleuses. Il pointe, notamment, le fait que leurs conditions de vie et de travail ne leur laissent pas le temps nécessaire à l’apprentissage et au développement des connaissances. Cet état de fait empêche alors les travailleurs et les travailleuses d’exercer pleinement leurs droits. Ainsi, pour le mouvement ouvrier, l’amélioration de la condition ouvrière passe aussi par la transmission des outils nécessaires à leur émancipation et donc par des structures d’éducation populaire. Il considère que c’est là une des solutions permettant de répondre à la question sociale qui interroge la Belgique en cette fin de XIXe siècle. Ainsi, à partir de 1886, les initiatives préexistantes tendent à s’institutionnaliser et à se multiplier. Toutefois, le monde chrétien et le monde socialiste ne les structurent pas de la même manière.

Du côté socialiste, on assiste en 1885 à la création du Parti Ouvrier Belge. Étant un parti ayant pour objectif de porter les revendications ouvrières au Parlement, le POB structure rapidement des organismes de formation pour les travailleurs et les travailleuses. Ainsi, il participe au développement des actions éducatives et culturelles en Belgique via, notamment, l’organisation d’écoles mutuelles d’orateurs. Leur objectif est de répondre au besoin d’éducation politique et de formation des cadres du mouvement ouvrier socialiste. En 1908, le POB institutionnalise les premières écoles socialistes et, afin de coordonner l’ensemble des structures d’éducation populaire et socialiste, il crée en 1911 la Centrale d’Éducation Ouvrière.

Du côté chrétien, et suite aux révoltes de mars 1886, des congrès catholiques sociaux sont organisés en 1886, 1887 et 1890. À l’ordre du jour, on retrouve une thématique qui est alors d’une brulante actualité, à savoir la question sociale en Belgique. L’objectif de ces congrès est donc de réfléchir sur les moyens de restaurer le catholicisme dans la vie sociale, de reconquérir la classe ouvrière et de lutter contre le socialisme. Deux courants s’y affrontent, l’un interventionniste et l’autre non interventionniste par rapport à la question sociale. Le premier donne naissance à l’École de Liège, faisant de la Cité ardente l’un des bastions de la démocratie chrétienne. Dans le monde chrétien, elle n’est pas la seule structure à choisir le courant catholique démocratique. Toutefois, les initiatives restent éclatées, hétéroclites et longtemps difficiles à coordonner. Il faut attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale pour assister à la création de la Ligue Nationale des Travailleurs Chrétiens, qui prend le nom de Mouvement Ouvrier Chrétien en 1947.

Malgré leurs différences idéologiques, les mouvements chrétiens et socialistes dénoncent la longueur du temps de travail et revendiquent l’obtention de plus de temps libre pour les travailleurs et les travailleuses. Pour eux, cette avancée sociale offre la possibilité de partager l’emploi et, donc, de réduire le taux de chômage dans le pays. Toutefois, ils n’envisagent pas ce temps de liberté gagnée comme étant un temps d’oisiveté. Offrant de nouvelles perspectives, ce temps doit être rempli utilement, via l’éducation populaire, en favorisant la transmission de la culture et de la connaissance. De cette manière, les ouvriers et les ouvrières ont la possibilité de s’instruire et d’acquérir les connaissances nécessaires à la défense de leurs droits.Après la Première Guerre mondiale,

Les initiatives d’éducation populaire du mouvement ouvrier, tant socialiste que chrétien, tendent à s’institutionnaliser. En 1929, le Conseil Supérieur de l’Éducation Populaire est créé dans l’objectif de superviser et d’organiser le temps libre gagné par les ouvriers. Son objectif est de coordonner les structures d’éducation populaire. Le mouvement ouvrier revendique également des congés payés. Toutefois, cette revendication ne s’imprègne pas tout de suite dans la société, notamment parce que les mentalités de l’époque sont encore fort imprégnées par la valeur « travail ». Pour soutenir cette revendication, le mouvement ouvrier met en place des structures pour encadrer le temps libre. Ainsi, les maisons de vacances sont créées pour garantir que ce temps soit utile, profitable et indispensable.

CARHOP, Revue JOC, « Les sports et les vacances à la JOC », 14 juin 1930.

Après la Seconde Guerre mondiale,

Les enjeux de l’éducation populaire évoluent vers de nouveaux besoins. D’une part, l’instruction obligatoire et le développement de la culture de masse éloignent les travailleurs et les travailleuses des structures éducatives et culturelles du mouvement ouvrier. En effet, l’augmentation des congés payés poussent les ouvriers à remplir leur temps libre autrement que par l’instruction et la culture. D’autant plus que l’apparition de la télévision, l’évolution des moyens de transport et les destinations ensoleillées plus accessibles renforcent cette tendance. Cette nouvelle culture de masse correspond bien peu à la philosophie de l’éducation populaire.

D’autre part, la signature du Pacte Social en 1944 et l’institutionnalisation des relations collectives qui en découle, renforce le besoin de formation des travailleurs afin qu’ils soient capables d’intervenir au sein d’un cadre institutionnel et strict.

L’Institut supérieur de culture ouvrière (ISCO) concilie ces deux visions. Il cherche à associer émancipation culturelle et formation de cadre syndicaux. Le Centre d’information et d’éducation populaire (CIEP), fondé par le mouvement ouvrier chrétien, crée donc l’ISCO en octobre 1962. Son objectif est de former les travailleurs, les militants et les permanents d’organisation sociales ouvrières dans des disciplines sociales et économiques. L’ISCO veut donner une formation et une connaissance aux militants pour renforcer l’efficacité de leurs actions.

L’ISCO doit beaucoup à la collaboration active et régulière des Facultés universitaires Notre Dame de la Paix de Namur et, à partir de 1967, de la fondation Travail-Université. Il ouvre d’abord deux groupes. L’un à Charleroi, la première section compte 28 participants au départ, dont 25 terminent la formation. L’autre à Liège, il y a 25 participants au départ et 23 en fin de cycle. Sur les 200 premières personnes à avoir terminé l’ISCO, 56 présentent un mémoire. En plus de l’histoire, la formation comporte notamment des cours de philosophie, de sociologie, de méthodologie et est destinée aux hommes et aux femmes âgés de 25 à 35 ans. Chaque cycle est composé de quatre années d’études avec un total de 180 heures de formation par année.Conclusion

Au XIXe siècle, les initiateurs des structures d’éducation populaire désirent apporter des connaissances aux ouvriers et ouvrières dans un but d’émancipation. En effet, des raisons souvent d’ordre social et économique empêchent les familles ouvrières d’accéder à la culture, renforçant ainsi leur état de servitude. L’absence de législation sociale protégeant les ouvriers et les ouvrières entrainent des conditions de travail et de vie difficiles qui renforcent cet état. Bien que les raisons en soient disparates, le mouvement ouvrier belge s’accorde sur la nécessité démocratique et sociale de l’éducation populaire.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’éducation populaire connait un tournant décisif au lendemain de la Seconde Guerre. En effet, suite à la signature du Pacte social en 1944 et aux élections sociales de 1950, la conflictualité s’institutionnalise au sein d’organes paritaires. Les travailleurs et les travailleuses peuvent alors choisir leurs représentants démocratiquement parmi les leurs. Ces nouveaux représentants syndicaux, issus du monde ouvrier, doivent être formés à ces nouveaux enjeux. Il y a alors un réel besoin de formation de ces nouveaux délégués pour pouvoir négocier avec le patronat qui est souvent issu d’une classe sociale plus éduquée et mieux formée.

À sa création en 1962, l’Institut Supérieur de Culture Ouvrière veille à remplir cet objectif. Il ne travaille pas à la promotion personnelle des étudiants, mais bien dans un souci d’actions sociales. Ainsi, la formation s’adresse à des personnes qui sont engagées dans l’action économico-sociale, politique, apostolique, éducative et culturelle ou qui sont susceptibles de l’être. La formation acquise a pour objectif de les rendre plus aptes à mener ces engagements à bien ou de les y préparer.

Pour en savoir plus

Max BASTIN, « Bilan et perspectives de l’action culturelle parmi les travailleurs. Discours de M. Bastin », Les dossiers de l’action sociale catholique, n°7, Nov. 68, pp. 499-501.

Luc ROUSSEL, « Héritage des XIX et XXème siècle : L’éducation populaire et permanente. », CARHOP, 2009, p. 499. URL : https://www.carhop.be/images/education_populaire_et_permanente_l.roussel_2009.pdf

Max BASTIN et Emile CREUTZ, Institut Supérieur Culture Ouvrière, Les éditions vie ouvrière, juin 1968.

Christine MACHIELS, « Former des adultes à l’université », Presses universitaires de Louvain, 2018, p. 27.

Amélie ROUCLOUX, « À la découverte de la culture » [exposition en ligne], CARHOP, 2011. URL : https://sites.google.com/site/educationpermanentecarhop/home

Céline CAUDRON, « Congé-éducation payé : nos droits culturels à défendre », Démocratie, éd. MOC, 2011. URL : http://www.revue-democratie.be/index.php/societe/enseignement/370-conge-education-paye-nos-droits-culturels-a-defendre

François WELTER, « La lutte pour la démocratie culturelle d’hier à aujourd’hui », CARHOP, 2014. URL : https://www.carhop.be/images/Democratie_culturelle_F.Welter_2014.pdf

POUR CITER CET ARTICLE

Référence électronique

Balkich, A., Lechanteur, A., Ouahabi, S. « Aperçu historique de la conquête d’un temps de formation et l’Institut Supérieur de Culture Ouvrière », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°10 , septembre 2019, mis en ligne le 24 octobre 2019. URL : http://www.carhop.be/revuescarhop/