Le GAFFI entre expérience de terrain et regard militant

Agnès Derynck (directrice du GAFFI)
Naima Ragala (formatrice au GAFFI)

 

Actuellement, le GAFFI se structure en 3 secteurs correspondant à 3 types de financement : l’éducation permanente, l’insertion socioprofessionnelle et l’accueil extrascolaire.

Le premier secteur, l’insertion socioprofessionnelle, développe pour des personnes demandeuses d’emploi, des formations de base, des formations FLE (Français Langue Etrangère) conduisant à l’emploi ou la préparation d’une qualification personnelle. Le projet d’autonomie est donc fort lié à l’emploi.

Le second secteur est l’éducation permanente qui permet d’accueillir plus largement des femmes peu ou pas scolarisées et cela sans condition de statut. Des femmes, qui aspirent à une maîtrise du français pour accéder à plus d’autonomie, vont participer à différentes activités culturelles. Beaucoup d’activités en commun permettent de s’essayer à l’expression artistique, à l’élaboration de projets collectifs, dont la table d’hôtes pour une cuisine qui s’inscrit dans le développement durable, le jardin collectif pour le contact avec la terre et la nature et les sacs à lire pour stimuler la lecture.

Le troisième secteur, l’accueil extrascolaire, concerne des enfants de 6 à 12 ans accueillis pour l’aide aux devoirs, les activités extrascolaires, des ateliers d’expression et des séjours en centres de vacances pendant les congés scolaires.

Lieu d’interaction et de collaboration

L’histoire du GAFFI montre l’importance de ces démarches d’éducation permanente qui impliquent  de partir des réalités des personnes, de l’implémentation des droits, de leur frustration et leur indignation parfois, mais aussi de leurs savoirs, de leurs désirs et de leurs rêves. C’est avec elles qu’on peut construire des nouveaux possibles. Il est important de montrer que c’est possible de sortir du fatalisme si l’on s’engage tous ensemble. C’est de toute évidence une co-construction avisée de conscientisation et d’émancipation en vue de renforcer le pouvoir d’agir pour une transformation sociale et politique.

Ce mouvement avec les personnes s’inscrit contre la tendance à la résignation et vise à passer de la souffrance à la mobilisation et à l’organisation d’une action collective. Ces actions collectives ont été nombreuses  au GAFFI. Pour les réaliser et  permettre aux femmes de prendre la parole, de co-construire des savoirs et d’augmenter la confiance en soi, des espaces sont nécessaires. Malheureusement, il manque encore beaucoup de ces lieux où les gens peuvent se rencontrer, des lieux de confiance où l’on ouvre des possibles, mais aussi où l’on reconnait les compétences et les capacités de chacun-e, où l’on peut reconnaitre une égale dignité des personnes. Le GAFFI fait partie de ces lieux trop rares où il y a beaucoup d’interactions possibles entre les formateurs, les femmes et le monde culturel, mais aussi entre les experts, les syndicats, et les services de logement. Ces interactions sont très importantes en termes de liens sociaux, car elles créent autour des personnes tout un réseau par des rencontres avec les autres, des occasions de créer des liens. Cela fonctionne aussi  en termes d’apprentissage démocratique, d’intégration et d’émancipation voire comme incitation à la coopération, car on apprend avec les autres à construire ensemble et à transformer la société en une société plus juste, plus égalitaire et solidaire.

Importance des partenariats face aux difficultés

Tout au long de l’histoire du GAFFI, nous avons affronté plusieurs obstacles. L’un d’entre eux se présenta lors de la création des cours d’insertion socioprofessionnelle. Ces cours, beaucoup plus intensifs que les autres, ne permettaient plus aux mamans qui avaient de petits enfants de les déposer dans la famille pour quelques heures comme auparavant. Des mamans ont donc proposé de garder à tour de rôle les enfants des mamans qui voulaient suivre la formation. Ensuite, la possibilité fut donnée dans le cadre des programmes « Intégration et Cohabitation » de la commune de Schaerbeek où nous avons nos locaux, d’obtenir un subside à condition de travailler avec le CPAS. Cette collaboration n’a pas bien fonctionné parce que la vision du projet et les valeurs portées n’étaient pas les mêmes. Après un an, nous avons réintroduit un projet auprès de la commune, malheureusement sans succès à cause des tensions au niveau des partis politiques qui  voulaient subsidier le CPAS plutôt que l’associatif.  Nous avons donc introduit un recours auprès de la COCOF (Commission communautaire française) pour dénoncer cette décision. Le recours obtenu a obligé la commune à donner au GAFFI un financement équivalent à celui du CPAS. Aujourd‘hui, la crèche « Les Amis d’Aladin » est une asbl autonome qui emploie plus de 15 personnes avec des profils divers et variés. Nous avons également créé avec la COBEFF (Coordination Bruxelloise pour l’Emploi et la Formation des Femmes)  une formation d’auxiliaire polyvalente, d’auxiliaire à la petite enfance, afin de permettre aux femmes d’avoir un brevet. Malheureusement, le brevet n’était à l’origine pas reconnu par l’ONE et il fallut se battre pour obtenir un certificat de  la même valeur que le diplôme d’une puéricultrice.

Un autre obstacle est également apparu dans le cadre du contrat de quartier. À l’époque, l’association avait besoin de locaux pour développer ses activités. Le contrat de quartier « Brabant Vert » représentait  une véritable opportunité pour avoir des locaux plus grands. Il fallut néanmoins se battre durant plusieurs années d’abord pour l’achat du bâtiment, puis pour défendre le projet dans le cadre du contrat de quartier, et enfin dans les négociations avec la commune. Celle-ci devait déposer le dossier à la Région bruxelloise, mais ne l’a pas remis dans les dates prévues, ce qui entraina la perte des subsides. Malgré ces difficultés et tous les obstacles rencontrés, nous avons toujours pu compter sur une importante mobilisation de notre public et de nos réseaux de partenariat. Ils nous ont accompagnées lorsque nous  sommes allés interpeller la commune.

Pour les membres du GAFFI, ces difficultés furent vraiment des moments-clés de l’histoire de l’association parce que ce sont des moments où nous avons mobilisé toutes les forces en présence –  le public, les équipes, les partenaires – pour faire avancer les choses, mais aussi pour faire bouger certaines décisions politiques. Si, dans les années 1990, nous avons voulu créer des structures d’accueil pour les enfants et pour les mamans en formation, c’est parce qu’il n’y avait pas suffisamment de places dans les crèches qui n’étaient organisées que pour les mamans qui travaillaient. Aujourd’hui, dans toutes les crèches, il y a des places qui sont ouvertes pour les mamans qui sont en formation. Et nous avons pu changer certaines pratiques grâce à la force et à la persévérance des femmes. Il s’agissait vraiment  de moments de prise de conscience des enjeux politiques, de recherches de stratégies, de co-construction, mais également de résolution de problèmes concrets. L’éducation permanente et la volonté d’émancipation sont véritablement au centre de notre action. Notre devise au GAFFI, c’est « Ensemble, on peut changer les choses ». C’est un slogan qui a été lancé au début de l’asbl et qui reste toujours le mot-clé dans toutes nos activités.

Des principes communs

Si la répartition en secteurs implique une organisation et des objectifs particuliers, cela n’empêche cependant pas de développer une philosophie commune à partir de trois grands principes communs qui sont la conscientisation, la participation et la volonté d’être acteur de changements.

En ce qui concerne la « conscientisation », l’alphabétisation et la formation sont des moyens de prise de conscience et de libération pour les femmes. Lorsque le débat sur la libération et l’émancipation s’est ouvert, le GAFFI a tout de suite compris l’importance d’inscrire l’initiation à la citoyenneté dans ses programmes et cela bien avant le monde politique. Ainsi, à travers le cours de vie sociale et les ateliers de citoyenneté,  des sujets importants pour les femmes sont abordés. Et  c’est à leur demande que sont développés des thèmes tels que l’histoire de la Belgique pour comprendre l’actualité, l’origine et le fonctionnement de la sécurité sociale, les élections, les luttes féministes en Belgique et dans les pays d’origine.

La participation est au cœur de nos démarches. Des structures participatives mises en place dans les groupes permettent aux femmes de vivre des démarches démocratiques. Nous organisons, par exemple, des conseils de participation où les femmes s’exercent à prendre la parole, à échanger des avis, à analyser une situation, à proposer des projets et à prendre des décisions collectives. C’est notre manière de les encourager à s’approprier des comportements de citoyenneté active qu’elles peuvent réutiliser ailleurs dans d’autres contextes, par exemple dans les réunions de parents à l’école de leurs enfants, dans un comité de quartier ou sur le lieu de leur travail.

Afin que les femmes puissent être « acteur de changement », nos actions sont envisagées et menées avec des méthodologies d’émancipation sociale, économique et culturelle. La diversité et la solidarité constituent aussi la spécificité du GAFFI qui offre un lieu de rencontre, d’accompagnement où le chemin individuel est nourri de l’échange avec les autres. Les femmes arrivent au GAFFI seules, démunies et dans le groupe, elles trouvent un soutien, des ami-e-s et certaines disent même une famille. Elles découvrent d’autres cultures. Encore aujourd’hui, des femmes nous confient que, bien que vivant en Belgique depuis de nombreuses années, elles n’ont jamais eu un vrai contact avec d’autres nationalités.

Aujourd’hui, environ 250 adultes et 60 à 70 enfants fréquentent régulièrement le GAFFI où se côtoient désormais plus de 30 nationalités. Dans ce formidable creuset interculturel, nous faisons de la différence une richesse et une force. Nous expérimentons chaque jour avec bonheur et succès le vivre ensemble dans la diversité et la solidarité.

Une intégration réussie ?

À cette question, on ne peut apporter une réponse parce que le GAFFI accueille des femmes pour qui les problématiques ont certes changé au fil des années, mais qui, en tant que femmes et immigrées, sont confrontées à des difficultés particulières.

La plupart des femmes se présentent pour apprendre le français et très vite, il apparaît que cette demande en cache bien d’autres. Pour elles comme pour l’équipe, les cours et les formations sont des outils d’émancipation sociale, économique et culturelle. Elles cherchent à s’approprier ces outils pour dépasser le stade de la dépendance et du manque de confiance en soi. Nous valorisons le fait de construire nos savoirs ensemble et de les mettre en situation. Cette mise en situation permet d’inscrire l’apprentissage dans un contexte concret, lié à la vie quotidienne, via des projets collectifs, des expériences valorisant leurs savoirs et compétences. Cette concrétisation mobilise alors d’autres capacités comme prendre la parole, négocier et agir ensemble. Cela demande beaucoup d’énergie, du temps et peut déclencher des effets inattendus qu’il faut canaliser et gérer. Au final, cette démarche peut se solder par un autre regard sur soi et sur les autres.

Plus qu’un lieu de formation et de rencontre, le GAFFI se veut un espace où les femmes peuvent exprimer leurs revendications par rapport à tout ce qui touche leur vie quotidienne. Par la suite, ensemble, elles tentent de trouver des pistes de solution, toujours dans un brassage de cultures et de savoirs. Le GAFFI constitue pour toutes ces femmes un moyen de s’intégrer dans la société, de faire valoir leurs droits et d’exercer leurs devoirs.